Certaines araignées alimentent avec des bulles d'air sur leur abdomen une plus grosse bulle – comme une cloche d'air sous l'eau – où elles vivent, et Kaplan (2011) rapporte dans une News de Nature qu'une équipe de chercheurs allemands et australiens a mesuré les concentrations d'O2 autour et dans la bulle pour conclure que l'O2 qui diffuse vers l'intérieur suffist pour assurer les besoins de l'animal au repos. L'araignée supporte apparemment des concentrations d'O2 faibles. Elle prolonge ainsi très fortement ses plongées et semble utiliser cette cloche comme organe respiratoire principal : une sorte de branchie extra-corporelle.
Un mode de respiration de plus ?
On connait la respiration pulmonaire et branchiale, les poumons à feuillet des arachnides, et sans doute encore quelques autres formes de respiration, sans compter la respiration par diffusion chez de nombreux animaux. On connait d'autres arthropodes qui utilisent une bulle d'air pour respirer dans l'eau. Mais
Argyroneta aquatica, qui passe la quasi-totalité de sa vie sous l'eau dans cette bulle, est encore un cas différent. Son abdomen muni de poils hydrophobes (fig 2a) capture une bulle d'air à la surface et l'apporte vers une sorte de cloche de plongée : une plus grosse bulle qui est maintenue par une toile tissée entre des plantes (fig 2b) et ouverte vers en bas. Elle en renouvelle l'air 2.6 fois par heure environ. Elle se nourrit d'invertébrés aquatiques et de petits poissons (Fig 1)
Fig 1 : Argyroneta aquatica utilise sa bulle comme organe d'échange pas seulement comme réserve. [img]Source : Oxford Scientific/Photolibrary.
Les élèves sont souvent perplexes quant à l'intérêt sur l'usage de l'air et cette bulle par rapport aux branchies qui paraissent plus adaptées dans l'eau.
Les contraintes physico-chimiques de la respiration
Règle 1 : Plus la concentration d’un gaz dans l’environnement est élevée par rapport à celle du milieu intérieur d’un organisme, plus le gaz se répandra rapidement dans l’organisme
Deux faits biologiquement importants découlent de la diffusion des gaz en fonction d’un gradient de concentration : premièrement, la concentration d’un gaz à l’intérieur d’une cellule en activité métabolique doit être inférieure à celle de l’environnement dans lequel il est absorbé passivement.
Deuxièmement, les organismes qui vivent dans des habitats où un gaz est en concentration élevée doivent maintenir un taux de diffusion élevé de ce gaz à l’intérieur du corps.
Règle 2 : Plus la surface disponible pour la diffusion est grande, plus le gaz se répandra rapidement
Le rapport entre la surface et le taux de diffusion a deux conséquences biologiques importantes. Premièrement, les organismes unicellulaires ainsi que les petits organismes pluricellulaires présentent un rapport surface/volume plus élevé comparé aux organismes plus grands. Deuxièmement, les grands organismes pluricellulaires dépendent de structures spécialisées dans l’échange gazeux qui optimisent la superficie d’échange. Les poumons humains, les espaces aériens intercellulaires des plantes et les branchies des animaux aquatiques sont des exemples de ces structures
Règle 3 : Plus la distance qu’un gaz doit parcourir est courte, plus la diffusion de gaz disponible pour l’organisme peut être rapide
Cain (2006) p 471 - 3 |
Les principes qui régissent les échanges gazeux, et qui contraignent les très différentes structure respiratoires, sont décrits en trois règles par Cain (2006) dans son ouvrage "Découvrir la biologie"
On y trouve aussi p. 473 que le pourcentage d'O
2 dans l'air est bien plus élevé (21%) que dans l'eau ( 0.5-1% selon la T°). Et que la diffusion est bien plus rapide dans l'air.
" En plus de ces différences quantitatives d’O
2 et de CO
2 entre l’air et l’eau, une différence dans le mécanisme de diffusion gazeux existe également entre ces 2 environnements. L’oxygène et le gaz carbonique se répandent plusieurs milliers de fois plus lentement dans l’eau que dans l’air." p. 473.
Ainsi les organismes très actifs et grands dans l'eau doivent avoir de très grandes surfaces d'échange respiratoire : Cain mentionne que la surface des branchies du maquereau nageur rapide fait 50 fois son poids. Alors que chez les baudroies qui nagent lentement ce ratio n'est que de 1. Je présume que le Thon doit avoir un ratio énorme. Et on sait que les petits organismes - notamment unicellulaire - n'ont pas besoin de structures spécialisées car chaque partie de leur organisme est très près de la surface (Règle 3).
Cela explique, en partie, que certains organismes aquatiques comme les dauphins vont respirer dans l'air, et cela donne du sens au fait que certains organismes combinent une respiration à partir de l'air avec un supplément à partir de l'eau.
L'araignée est de taille intermédiaire, et quand même assez active. Comment respire-t-elle dans l'eau avec sa cloche ?
Cette bulle : une réserve ou une sorte de "branchie" ?
On sait, depuis longtemps, que certaines araignées emportent une bulle avec elles sous l'eau pour respirer. Mais un débat entre spécialistes ne permettait pas de déterminer s'il s'agissait d'une simple réserve, qu'elle renouvelle une fois l'O
2 épuisé ou si les échanges gazeux de cette "cloche" constituent une part importante de la respiration. En d'autres termes : respire-t-elle de l'air stocké dans la cloche ou de l'oxygène diffusé depuis l'eau dans cette cloche.
On savait aussi que les bulles de certains insectes absorbent l'O
2 leur permettant d'obtenir bien plus d'O
2 que ce qu'il y a avait dans la cloche au départ. La question de savoir si les araignées profitent aussi de cet effet n'était pas étayée par des données et toutes les hypothèses s'afrontaient.
La News ne le dit pas, mais l'article dont elle est issue est bien plus clair sur les méthodes les présupposés : le coeur de la question est la pression partielle d'O
2 que l'araignée arrive a supporter : plus elle est faible par rapport à l'extérieur (
PO2out–
PO2in ) plus vite l'O
2 diffusera vers l'intérieur. En effet les transferts de gaz à travers la surface de la bulle peuvent être modélisé avec l'équation de Fick de diffusion,
, où
est le taux de transfert d'oxygène (μmol h
–1),
GO2 est la conductance diffusive d'O
2 (μmol h
–1 kPa
–1) et
PO2out–
PO2in la différence de pression partielle d'Oxygène
PO2 (kPa) entre l'eau et l'air interne à la cloche.
Fig 2 : Argyroneta aquatica apporte des bulles depuis la surface avec son abdomen (a) et utilise sa bulle -cloche (b) comme organe d'échange pas seulement comme réserve. La cloche peut être petite (b) ou plus grande et accueillir la femelle et le cocon (d) . [img]Source :Seymour, R. S. and Hetz, S. K. (2011) Dans cette étude, Seymour, R. S. & Hetz, 2011) montrent que l'araignée, Argyroneta aquatica, utilise une cloche d'air comme branchie : non seulement elle y stocke de l'air comme réserve d'O2 mais aussi comme surface d'échange, ce que les auteurs appellent une sorte de branchie.
Seymour et Hetz ont étudié des araignées
Argyroneta aquatica capturées en Allemagne et installées dans des aquariums (les pédants diront
aquaria ?).
Avec des sondes à oxygène, ils ont mesuré la pression partielle d'O
2 dans les bulles-cloches et à 5-10 mm plus loin dans l'eau et ceci en présence de l'araignée ou en son absence. A partir du volume d'air de la bulle-cloche et les variations d’Oxygène, ils ont pu mesurer combien d'O
2 entrait et combien était consommé par l'araignée.
Ils ont trouvé que la pression partielle était inférieure à l'intérieur et que les flux d'O
2 suffisaient à alimenter l'araignée au repos en tous cas même dans des milieux stagnants et à température élevée (25-31°). Cependant la bulle doit être réalimentée car l'azote disparait peu à peu en se dissolvant dans l'eau, cela expliquerait les apports d'air réguliers.
This study demonstrates that the diving bell of A. aquatica functions as a physical gill, exchanging enough O2 from the water to satisfy the requirements of resting spiders at least, even at high temperature and in stagnant water. Frequent replenishment with air from the surface is necessary only in severely hypoxic water or in exceptionally small bells. Bell size is highly variable and can be adaptively matched to ambient PO2 and metabolic demand to minimize trips to the surface, an objective with considerable ecological significance. However, replenishment is necessary over longer terms because of N2 loss from the diving bell.
Les araignées ont montré une remarquable tolérance à l'hypoxie : elles en remontaient chercher une nouvelle bulle à la surface qu'à 10-20% de la pression partielle de l'O2 de l'atmosphère.
Par comparaison, "la plupart des insectes ne paraissent pas à l'aise au-dessous de 4 ou 5 kilopascals d'O
2" explique l'entomologiste John Terblanche de la
Stellenbosch University in South Africa, "mais ces araignées descendent à 1 ou 2 kPa sans signes de détresse visible." Il présume que l'araignée dispose d'adaptations remarquables pour supporter l'hypoxie. Ces capacités d'adaptation mériteraient d'être étudiées.
Et le CO2 ?
Dans la news on peut être surpris que la discussion porte sur l'O
2seulement, et pas sur le CO
2 qu'il est probablement aussi tout important d'éliminer. D'autant plus que cela renforce une erreur fréquente chez les élèves (20% selon le
projet 2061 du AAAS ) qui ne voient que l'oxygène dans la respiration.
Là aussi l'article d'origine
(Seymour, et al (2011) ici) expliquent que le CO
2 est ignoré car il est rapidement dissous dans l'eau et n'intervient pas dans les volumes mesurés.
Ils mentionnent aussi des études qui montrent qu'ajouter du CO
2 dans la cloche déclenche chez l'araignée le renouvellement de l'air en allant chercher des bulles à la surface, mais pas l'O
2. Je présume qu'elle est donc sensible à l’hypercapnie (excès CO
2) plus qu'à l'hypoxie comme nous.
Comprendre vraiment sans lire l'article d'origine ?
On voit combien la seule lecture de la News ne donne guère que la conclusion, sans présenter les enjeux de la question, ni les méthodes de mesure, ni les incertitudes, et tout le contexte qui permet de se construire une connaissance qui ait de l'épaisseur. Savoir que "L'araignée respire par sa cloche " c'est intéressant, mais un peu plat, sans saveur. N'est-ce pas plus goûteux de comprendre un peu plus en profondeur de donner de l'épaisseur à sa connaissance ? Peut-être avez-vous eu ce plaisir en lisant cette publication et l'article ...
Mais alors aider les élèves à découvrir et
prendre goût à comprendre, est-ce comme former le goût alimentaire : il faut le développer, les accompagner, pas seulement les laisser se contenter du McDo facile qu'ils préfèrent au début ?
... ce sera le mot de la faim
Sources