Si
le cheval islandais a un répertoire d'allures plus étendu c'est
à cause d'une mutation des systèmes de coordination locomotrice
Les chevaux peuvent adopter différentes allures : le pas, le
trot, le galop, … Il en existe plusieurs autres (cf.
wikipedia)
comme l'amble ou le Tölt (cf fig. 1) que seules certaines races
de chevaux comme le cheval islandais et Rocky parviennent à
adopter. On a cru que ces chevaux avaient une capacité génétique
en plus qui leur donne un répertoire plus large.
Une étude récente rapportée dans une news de Nature (Smith, K.,
2012
ici)
par Andersson, L. S., et al. (2012) établit le rôle crucial
d'une mutation du gène DMRT3 pour permettre ces allures
particulières. La mutation empêche le développement d'un réseau
normal de coordination locomotrice dans la moelle. Ainsi un
défaut de contrôle de la coordination rendrait possible ces
allures qui sont inhibées dans la nature.
Fig 1: Seuls certains chevaux peuvent
adopter cette allure particulière suite à une mutation (ici le tölt) [img] Source R.T. Sigurdsson/Arctic
Images/ArcticPhoto
La coordination du pas est en partie gérée dans la moelle
Des générateurs rythmiques couplés dans la moelle épinière
produisent les cycles d'activation des membres qui déterminent
les allures principales chez les mammifères quadrupèdes.
Ces allures résultent de l'interaction entre ces différents
générateurs dans la moelle - notamment l’inhibition des mêmes
phases du mouvements simultanés des membres du même coté. On a
aussi observé qu'ils peuvent fonctionner indépendamment de
l'encéphale (cf Purves (2001)
Spinal Cord
Circuitry and Locomotion) figure 2.
Fig 2 :
Des circuits dans la moelle épinière produisent les cycles
d'activation des membres qui génèrent les allures
principales et peuvent fonctionner même avec une section de
la moelle reliant à encéphale. (ici le chat) [img] source Purves
Normalement ces générateurs rythmiques
sont couplés de manière a ce que les membres du même coté
n'avancent pas en même temps. Ce contrôle semble absent ou réduit
chez le cheval islandais.
Le cas de l'amble (avancer les deux pattes du même coté en même
temps) semble plus complexe: des éleveurs américains arrivent à
apprendre l'amble à des chevaux normaux. Le chameau ou la girafe
utilisent cette allure parce qu'elle est plus efficace quand les
pattes sont longues par rapport au corps (Kar, D. et al., 2003)..
Ces mécanismes spinaux permettent de comprendre des phénomènes
affreux et tendres … qui font partie du monde des élèves ?
C'est probablement ce qui se passe dans ces scènes difficiles à
supporter (
youtube)
où une poule destinée à la casserole à qui on a coupé la tête
volète et court – d'où l'expression anglaise "
To run around
like a headless chicken" . Il semble que le contact des
pattes avec le sol (
source)
produise cet effet assez
gore. C'est pourtant un cas
que les élèves pourraient avoir vu et sur lesquels ils
pourraient interroger leur enseignant-e de biologie. Montrer
qu'une compréhension des mécanismes neurobiologiques permet
d'expliquer ce phénomène c'est donner du sens aux apprentissages
peut-être ?
Ces mécanismes sont aussi à la base de
la marche automatique qu'on teste chez les nouveaux-nés. Le site
de l'unige
Ethologie.unige.ch
le décrit comme un exemple de FAP Fixed Action Pattern
Figure 3 : La marche automatique du nouveau-né est sous le
contrôle des circuits spinaux [
img] source
Ethologie.unige.ch
Cette
marche automatique disparait ensuite. En effet, chez l'humain ce
contrôle spinal de la locomotion semble jouer un bien moins
grand rôle que chez les quadrupèdes.
"the reduced ability of the transected spinal
cord to mediate rhythmic stepping movements in
humans presumably reflects an increased dependence of local
circuitry on upper
motor neuron pathways. Perhaps bipedal locomotion
carries with it requirements for postural control greater than
can be accommodated by spinal cord circuitry alone." Purves
(2001).
Une mutation non-sens très fortement associée à cette démarche
spéciale.
Revenons à cette recherche sur les chevaux. Pour déterminer ce
qui distingue ces chevaux, Andersson et al. (2012) ont exploité
les registres des éleveurs, obtenu leur ADN et effectué une
analyse statistique pour chercher des corrélations entre
gaitedness
(la capacité de produire ces allures particulières) et les SNP
sur l'ensemble du génome (
genome-wide).
Une analyse d'association
genome-wide révèle une
association très significative entre
gaitedness et un
SNP BIEC2_620109 sur le chromosome 23 (cf figure 3d).
Figure 3 : d) Une analyse
Genome-wide révèle une association très significative entre "gaitedness"
(la capacité à produire ces allures particulières) et le SNP BIEC2_620109 sur le
chromosome 23 près de la localisation de la mutation
DMRT3_Ser301STOP f) L'alignement de
la protéine type sauvage (WT) et mutée pour
DMRT3_Ser301STOP (MUT) avec d'autres organismes. L'étoile
indique la mutation stop [img] source Andresson (2012)
Ils ont alors séquencé la zone et repéré une mutation près de
ce SNP la mutation DMRT3_Ser301STOP (cf. fig. 3 f) : une mutation
non sens qui produit un codon stop prématuré et une protéine
raccourcie. C'est probablement une protéine qui se fixe sur
l'ADN et le régule (cf. UniProt
J3SGP7)
Le simple fait qu'on trouve - une
fois de plus - cette protéine chez de nombreux autres
organismes, mais avec des différences légères (et graduées :
observez que le poisson est plus différent du cheval que nous)
peut être relevé comme une confirmation de l'évolution. Ce n'est
pas forcément inutile de bien montrer aux élèves les données qui
démontrent solidement la réalité de l'évolution … Ils peuvent
aller vérifier eux-mêmes sur UniProt par exemple
On peut vérifier et expérimenter en classe avec cette séquence
!
On peut situer ces séquences grâce a Mapviewer
ici
– pour bien montrer que le gène est sur le chromosome 23 du
cheval par exemple.
On peut voir et aligner ces séquences DMRT3 dans UniProt - par
exemple vérifier que cette séquence existe chez de nombreux
organismes
ici
pour en sélectionner plusieurs et le aligner voire en faire un
arbre (Cf formation BIST
Scénario 5 : adapter pour DMRT3)
UniProt sera mis à jour avec Andersson(2012) pour la prochaine
release afin de vous informer mieux. Merci de leur
réactivité.
On peut aussi noter que le nom de cette protéine (
Doublesex-
and mab-3-related transcription factor 3
) a été donné avant qu'on connaisse ce rôle et qu'il parait
moins opportun maintenant. Comme d'avoir appelé du même nom
amygdales
des structures anatomiques de l'encéphale et du fond de la gorge
parce qu'elles se ressemblaient- alors qu'ion ne connaissait pas
leur fonction. Facile d'être malin après.
C'est le traitement des données pas "l'ADN" qui permet de
comprendre cette expérience
L'obtention des séquences pour tous les SNP connus ou le
séquençage d'un fragment d'ADN est actuellement relativement bon
marché et de l'ordre de la simple technique de labo; la simple
description ne justifie plus une publication. Ce qui produit un
savoir intéressant est le traitement des données qui se fait
après, le travail de comparaison avec d'autres séquences issues
des base de données qui a permis de mettre en évidence DMRT3
ici.
C'est aussi ce que nos élèves ont besoin de savoir pour
comprendre une telle étude; Ce que nous dit un SNP qui diffère,
comment un SNP proche nous informe sur une mutation qui n'est
pas sur la séquence SNP, ce que
genome wide association
a comme potentiel et comme limites, ce qu'on peut comprendre en
observant l'alignement des séquences...
In silico puis in vivo : une vérification
expérimentale du rôle de ce gène
Ces expériences
in silico produisent des savoirs qui
posent de nouvelles questions et mènent souvent à des
expériences
in vitro ou
in vivo.
Pour vérifier le rôle présumé de DMRT3 – une corrélation n'est
jamais une preuve très forte - les chercheurs ont entrepris de
supprimer ce gène chez la souris pour observer les effets sur la
coordination de la locomotion à la marche, la nage, etc. Ces
expériences sont décrites
ici
(Andersson,
L. S., et al 2012). En voici un extrait montrant l'effet
désorganisateur sur les rythmes spinaux d'une souris homozygote
mutée Dmrt3
-/- "
Our discovery
positions Dmrt3 in a pivotal role for
configuring the spinal circuits controlling stride in
vertebrates."
Figure 5 i : Les rythmes
spinaux des types sauvages (WT) et mutée DMRT3_Ser301STOP
(MUT)
[img] source Andresson (2012)
Avec d'autres expériences en manipulant ce gène chez la souris
cf. (Andersson, L. S., et al 2012) doi:
10.1038/nature11399
les chercheurs montrent comment cette Dmrt3 est nécessaire pour
le développement normal du réseau de coordination locomotrice
dans la moelle : on voit par exemple l'effet sur les rythmes
spinaux dans la figure 5.
Les auteurs emploient le langage prudent des chercheurs pour dire
que leurs résultats sont de solides indications que la mutation
DMRT3_Ser301STOP joue un rôle causal dans les allures du cheval.
"The remarkable association between the DMRT3
nonsense mutation and gaitedness across horse breeds, combined
with the demonstration that mouse Dmrt3 is
required for normal development of a coordinated locomotor
network in the spinal cord, allow us to conclude that DMRT3_Ser301STOP
is a causative mutation affecting the pattern of locomotion in
horses."
La mutation qui réduit la coordination, mais rend possible le
dressage de certaines allures du cheval.
On ne trouve ces allures particulières comme le
tölt que
chez certaines races comme le cheval islandais. Ces allures étant
perçues comme un accroissement des possibles des passionnés
équestre ont pu écrire que " Cette cinquième allure doit être
innée, et non acquise, comme pour les chevaux de la race des Rocky
Mountain Horse, ou les chevaux islandais."
Wikipedia sur le
tölt. Il y aurait des gènes qui donneraient aux chevaux
islandais une fonctionnalité supplémentaire. On imagine
difficilement comment de tels gènes pourraient être apparus sans
intervention extérieure et on sent les créationnistes s'approcher
en se frottant les mains.
Ce que l'étude d'Andersson révèle est qu'il ne s'agit pas d'une
fonctionnalité
supplémentaire, mais d'une
perte ou
réduction des mécanismes de contrôle qui rend possible
l'apprentissage des allures très particulières peu naturelles
(normalement inhibées) et ergonomiquement discutables. Il s'agit
en fait d'un défaut qui rend possible un élargissement du
répertoire d'apprentissage. Les islandais ont ensuite sélectionné
ces individus mutés peut-être en pensant qu'ils avaient cela "dans
le sang" qui veut dire génétique dans ce milieu.
Un bel exemple des interactions entre l'environnement et les
gènes qu'il est difficile de comprendre dans la pensée
déterministe un gène-une protéine-un caractère phénotypique.