Ce qu'est exactement la biologie synthétique est
difficile à cerner. Ce projet
Tremplin vers la Recherche
offert aux enseignants implique de lire plusieurs revues comme
Nature et Science, pour y repérer des domaines où les progrès de
la recherches sont pertinents pour l'enseignement des sciences.
La biologie synthétique en est un, qui semble modifier subtilement
mais en profondeur la nature-même de la démarche d'exploration du
vivant en biologie (le
paradigme de la discipline au sens
de Kuhn, 1972). On voit changer les questions que les
chercheur-e-s explorent, les méthodes pour y répondre, les
manières de valider les savoirs produits.
A) Dans un premier temps on pourrait y voir
simplement de
nouvelles étapes fascinantes sur le chemin vers la synthèse d'un
être vivant et premièrement d'un ADN: la molécule porteuse de
l'information qui contrôle les processus vivants. L'équipe de
Craig C. Venter avait déjà produit un génome de synthèse qui
contrôlait une bactérie nouvelle (la bactérie JCVI-Syn1. Cf.
Bio-Tremplins).
Récemment une équipe a réussi à synthétiser six chromosomes
entiers d'un eucaryote, la levure !
On voit - avec inquiétude ou espoir - approcher le jour où on
réussira à produire les 46 chromosomes d'un humain. Après avoir
composé le génome à volonté...
B) Il y a une autre lecture - une approche
ingénieur sans
états d'âme : La biologie synthétique estompe la distinction entre
le vivant et le non-vivant; elle ose amputer le vivant de sa
reproduction: Les extraits de cellules (dits
cell-free)
permettent l'intervention sans vergogne dans les propriétés du
vivant sans les risques de modifier un être
vivant ...
puisque cet ADN (sans membrane la qui individualise la cellule) ne
peut pas se reproduire. Cela ouvre un potentiel d'exploration avec
bien moins de contraintes et permet de tester les idées les plus
folles ou de développer une production à plus grande échelle avec
très peu de risque de contamination biologique.
Cette publication présente ces deux aspects à travers deux
exemples et facilite l'accès aux articles originaux : elle est
pour vous un
tremplin vers la recherche !
D'une biologie de l'observation à une biologie moléculaire au
XXème : la molécule d'ADN au centre!
En effet la biologie était jusqu'au milieu du siècle passé basée
sur l'
observation (" qu'est-ce que c'est ? quelle est sa
structure ? ..." ), où décrire une nouvelle espèce justifiait une
publication (Morange, M., 2003). La question centrale est devenue
depuis bientôt un siècle "quel est le mécanisme sous-jacent de ce
phénomène vivant ?" avec des méthodes moléculaires, et l'ADN au
centre des réflexions.
L'ADN est alors conceptualisé comme une
molécule avec la
fameuse double hélice, et a) placé au centre des mécanismes de
transmission héréditaire (génétique), mais aussi b) au centre des
mécanismes métaboliques avec ce qu'on a appelé (à
tort) "dogme centre de la biologie" ADN -> ARNm ->
protéine -> "trait" ou caractère phénotypique. Ces deux rôles
ne sont pas toujours très clairement distincts pour les élèves.
Nous verrons plus bas que la biologie synthétique ose dissocier
les deux rôles de l'ADN et, cette barrière psychologique franchie,
permet de nouvelles manières de faire de la biologie : de
nouvelles questions, de nouvelles méthodes pour y répondre.
D'une biologie moléculaire à une biologie du contrôle... fin
XXème l'ADN, mais au centre du contrôle des processus
Depuis la fin du siècle passé on assiste avec le génome humain, la
génomique, à un glissement subtil où la nature moléculaire de
l'ADN perd de l'importance, Morange parle en 1975 déjà de "requiem
de la biologie moléculaire".
Pour lui c'est l'information ou plutôt le
contrôle qui
sont désormais au coeur des questions et la recherche publiée
s'appuie de plus en plus souvent sur un traitement très
sophistiqué des données (génomiques par exemple). L'aspect
moléculaire est traité par des machines ou sous-traité à des
plateformes génomiques : le séquençage de plus en plus fin et
différencié, par exemple le génome d'une seule cellule, permettent
d'explorer les différences du génome entre les cellules d'un
organisme ou d'une tumeur. Les structure de l'ADN regroupées à un
moment dans le noyau qui révèlent la dynamique de l’organisation
des chromosomes influençant son expression, (cf.
Bio-Tremplins 14 XI 11) etc.
La vraie plus-value qui justifie la publication est de nos jours
plutôt dans la création ou la sélection de conditions biologiques
à comparer, puis la patiente analyse des données sur un ordinateur
: un travail sur
l'information et le contrôle des processus.
Cette transformation traverse tous les domaines de la biologie, de
l'écologie à l'immunologie en passant par l'embryologie et
d'autres. Le vivant est conceptualisé de plus en plus comme un
système dont la régulation et le contrôle sont étudiés. Régulation
de l'expression, régulation des interactions entre gènes et
environnement, entre parasite et hôte, entre espèces, etc.
Analyser cette dynamique du contrôle métabolique par l'ADN est un
des axes actuellement très fort dans la biologie synthétique.
Mais le plus visible aux yeux d'un biologiste classique est le
projet de synthétiser le vivant à partir de molécules, "créer le
vivant".
A) La biologie synthétique c'est créer le vivant par synthèse
?
Une approche relativement ancienne de la biologie de synthèse vise
la synthèse des composants du vivant, ce qui n'est pas
excessivement difficile: on sait fabriquer des acides nucléiques à
volonté, ainsi que les autres monomères du vivant. Le challenge
est dans l'organisation, la structuration de ces molécules qui
permette leur fonctionnement soigneusement contrôlé. Comme la
structure de l'ADN et sa séquence, mais aussi son organisation en
chromosomes est actuellement considéré au coeur de ces processus
de contrôle, la production de chromosomes de synthèse est un
objectif prioritaire.
La biologie synthétique c'est composer un génome à
l'ordinateur et produire un organisme qui l'exprime et vit ?
De nouvelles étapes concrètes ont été franchies dans la
synthèse de plus en plus complète des structures du génome chez
des organismes plus complexes
5 chromosomes synthétiques chez la levure : une étape de plus
vers la synthèse d'un être vivant ...
Fig 1: Illustration d'un
modèle du génome de la levure avec les chromosomes
actuellement synthétisé s (dorés) [img].
Source : Kannan, K., & Gibson, D. G. (2017).
On se souvient que l'équipe de Craig Venter avait crée la première
"cellule synthétique", la bactérie JCVI-Syn1. Il s'agissait en
fait d'un génome de synthèse qui a pris le contrôle d'un
cytoplasme de bactérie vivante. (Cf.Bio-Tremplins :
Venter
a encore frappé - il veut recréer le vivant ?
).
Le projet Sc2.0 va plus loin encore en tentant de créer une
version synthétique d'un organisme plus évolué,
Saccharomyces
cerevisiae, une levure unicellulaire eucaryote - de son
génome pour commencer. (Cf. Bio-Tremplins du 30 avril 2014
Un chromosome de synthèse, et alors ! ).
Dans une série d'articles formant un numéro spécial de Science,
ces scientifiques du projet Sc2.0 qui avaient déjà construit un
seul chromosome de levure (9) rapportent maintenant la
construction de cinq chromosomes de levure supplémentaires (plus
d'un tiers du génome entier) ( voir la
photo).
En utilisant une variété de tests phénotypiques et de techniques
de génomique structurelle et fonctionnelle, les chercheurs ont
vérifié que les chromosomes synthétiques contrôlent les processus
biologiques tout comme les chromosomes naturels natifs.
Un numéro spécial sur la biologie synthétique dans Science
Dans le numéro spécial du 10 Mars 2017 (Vol 355, Issue 6329 )
voici une sélection d'articles qui montrent comment les chercheurs
ont élaboré ces chromosomes de sysnthèse et comment ils ont
vérifié qu'ils fonctionnent aussi bien que les originaux.
(
Les membres Expériment@l-Tremplins
peuvent obtenir ces articles…).
Et en français ?
B) Le fonctionnement du vivant sans la vie : cell-free
?
La biologie synthétique est aussi une approche "ingénieur" de la
biologie :
On dispose déjà de cellules minimalistes avec juste assez de gènes
(182) pour permettre la vie (Ball, Philip. 2006) , auxquelles on
peut ajouter à loisir des fonctions, prises par exemple dans un
bibliothèque :
Registry
of Standard Biological Parts.
Le MIT tient un registre (
http://parts.igem.org/Main_Page)
librement accessible, avec des fonctions biologiques de base qui
peuvent être utilisées pour composer des systèmes biologiques
synthétiques.
Une autre approche, en s'affranchissant de la reproduction ose
aller bien plus loin, pour créer, modifier afin d'explorer les
mécanismes de régulation et de contrôle. Les systèmes
cell-free mettent bien en évidence cette différence
fondamentale entre les deux rôles de l'ADN : (Contrôler le
fonctionnement de la cellule, transférer à la génération suivante
l'information génétique permettant ce contrôle).
Les système
cell-free sont de extraits de cellules dont on
a supprimé la membrane. C'est en somme du cytoplasme avec de l'ADN
qui fonctionne encore pour contrôler les processus du métabolisme,
mais qui est incapable de se reproduire : Sans génétique, pas de
conséquences à long terme.
Les processus métaboliques de la cellule sont conservés mais
sans
cellule vivante (reproductive) : le système n'est pas vivant
selon la définition simple : nutrition-relation-reproduction. On a
ainsi accès à des mécanismes biologiques sans s'encombrer des
contraintes liées à la manipulation d'organismes vivants (p. ex.
on évite les problèmes de cytotoxicité bactérienne, d'interférence
de molécule indésirable mais constitutive aux cellules hôtes, on
peut détecter de grandes biomolécules, etc.). Cela ouvre un
potentiel d'exploration avec bien plus vaste que la biologie
traditionnelle et permet de tester les idées les plus folles. Ce
que font des ingénieurs notamment à l'EPFL.
La biologie synthétique c'est «créer pour comprendre» ?
Il y a des jeunes ingénieurs (dont l'un issu du collège Calvin)
qui ont bricolé un kit permettant d'explorer le fonctionnement du
vivant
sans le vivant... et le proposent aux écoles. Avec
le projet Aptasense, ils ont obtenu le prix catégorie éducation
au concours
IGEM 2017
Fig 2: Aptasense propose un
détecteur biologique de protéines dans un milieu cell-free
[img].
Source : IGEM
Le projet
Aptasense propose un
détecteur biologique de protéines dans un milieu cell-free. Basé
sur un article publié portant sur la détection
colorimétrique d'ADN sur un support papier (Pardee, K, etal.
2016), le but de ce projet était de développer un outil de
diagnostic bon marché, portable, d'utilisation rapide et aisée,
et ayant pour cible certaines protéines d'intérêt. Pour ce
faire, il a fallu combiner plusieurs concepts issus de la
biologie synthétique:
- Des aptamères (i.e. de courtes
séquences d'oligonucléotides synthétiques possédant des
caractéristiques similaires à certaines protéines, en somme de
l'ADN ou de l'ARN fonctionnel) ont pu spécifiquement détecter
certaines protéines dans une disposition proche de celle d'une
méthode ELISA classique mais sans anticorps
- La régulation du gène reporter
(LacZ) a été assurée par des Toehold switches
(une séquence d'ARN en forme d'épingle à cheveux dans laquelle
est caché le site de liaison du ribosome, qui ne devient
disponible que lorsque la séquence d'ARN reconnaît très
spécifiquement une autre séquence, fournie ici par les
aptamères)
- Un système cell-free issu de
plusieurs souches E.Coli a été choisi pour l'expression du
biomarqueur Beta-Galactosidase
L'équipe de l'EPFL a développé un software (Toehold Designer)
réduisant le temps requis pour générer les séquences de Toehold
switches de plusieurs semaines à quelques minutes. Parallèlement à
cela, la nécessité de mettre en avant certaines facettes méconnues
de la biologie, telles que le sont la biologie synthétique et les
systèmes cell-free, s'est rapidement imposée: est alors née l'idée
de l'Educational Cell-Free mini Kit (ECFK), ciblant un public
collégial et proposant des expériences liées à ces domaines assez
récents. Il sera proposé aux préparateurs de écoles bientôt.
Fig 3: Aptasense permet de
détecter de grandes protéines par des mécanismes
habituellement strictement réservés aux petites molécules.
[img]. Source : IGEM
Des jeunes ingénieurs - dont l'un issu du collège Calvin -
lauréats du concours IGEM
Ancien étudiant en grec ancien au Collège Calvin à Genève,
Jonathan Melis (au milieu, derrière; T-shirt rouge) poursuit un
bachelor en Sciences du vivant (SV) à l'EPFL . Avec huit autres
étudiants, il participe en 2017 à la compétition mondiale iGEM
dans le cadre de laquelle naît le projet
Aptasense.
Ethique
La biologie synthétique pourrait bien être un de ces virages
qu'on ne voit pas passer parce qu'on le lit comme avec les yeux
du passé.
On pourrait y voir simplement de nouvelles techniques de
modification génétique, mais on a vu qu'il ne s'agit pas
seulement de
modifier, mais aussi de
créer des
systèmes nouveaux à volonté. Avec une approche ingénieur
(optimiser, modifier, comme on améliore ou invente des nouveaux
moteurs) ces systèmes sont réduits à des mécanismes, d'autant
plus que ces systèmes n'ont pas besoin d'être pleinement
vivants.
Les usages potentiels sont innombrables - on voit certains
préparer des bactéries plus efficaces pour produire du pétrole,
dépolluer, détecter, distribuer des médicaments, suppléer à des
fonctions défectueuses chez des malades, ... d'autres avancent
à grand pas vers le moment ou l’on pourra composer le génome
d'un humain à volonté !
Préparer les élèves à gérer les délicates questions éthiques
que cela soulève est une lourde responsabilité !
Une base peut-être trouvée dans ce cours de l'EPFZ
3TU.Ethics
The Ethics of Synthetic Biology ici.
Ils traitent de la biosécurité, les usages militaires de
recherches pacifiques (
Dual use), les risques de
contamination, et même la question de la communication au public
Didactique :
Le grand rapport
Bio2010-librement accessible (NRC, 2003) recommandait
déjà une approche plus "ingénieur", développant plus la
modélisation (numérique et informatique aussi) et une approche
systèmes et leur régulation. La description ne suffit plus. Les
plans d'étude donnent pour mission à l’éducation aux sciences
d'aider à comprendre, expliquer, décider dans un monde qui
change.
On peut se demander à la fin de chaque séquence : Qu'est-ce que
ce chapitre les a aidés à expliquer, prédire ou mieux décider
dans leur monde... Un monde où la biologie synthétique jouera un
rôle important.
Sur le plan didactique,on peut relever plusieurs difficultés
prévisibles dans la compréhensions... en voici 3 pour commencer:
- La perception que les molécules et organites de la cellule
sont vivants et ne peuvent pas être modélisés avec des
formules, ni prédits : les modèles naïfs sont des entraves
prévisibles - dans ce cas les explications essentialistes :
cf. Coley, J. D., & Tanner, K. (2015)
- La confusion fréquente entre la nature moléculaire de l'ADN
et l'information portée par l'ADN
- Pour dissocier, on peut envisager des activités pour les
élèves, peut-être que des activités nouvelles offertes par
la bio-informatique pourront aider ? (Des scénarios - qui
ont besoin d'être actualisés mais dont on pourrait
s’inspirer sont ici
)
- La difficulté à comprendre les mécanismes de contrôle et
leur usage est probablement entravée par les modèles naïfs -
notamment les explications finalistes : " E. coli ne fabrique
pas les enzymes pour digérer le lactose quand il n'y en a
plus, car c'est inutile." ou "notre corps fabrique
les anticorps contre un pathogène parce que c'est celui-là
dont on a besoin" etc. cf. Coley, J. D.,
& Tanner, K. (2015)
Il y a de nouvelles didactiques à inventer pour vous tous ... et à
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