Le stress accélère le grisonnement des cheveux
On lit souvent que les cheveux de Marie-Antoinette (1755–1793)
seraient devenus blancs en une nuit juste avant sa décapitation.
Cette histoire est probablement apocryphe, ou inexacte (il s'agirait soit d'une variante d'alopecia areata
diffusa, une maladie autoimmune
causant la perte sélective des cheveux pigmentés, ne laissant
que les cheveux blancs (Navarini & Nobbe, 2009), soit plus
simplement d'un manque de teinture à cheveux durant son
emprisonnement) mais le grisonnement rapide des cheveux
reste souvent appelé syndrome de Marie-Antoinette. On suppose
généralement que ce phénomène est causé par le stress.
Cependant, la part de plusieurs causes sur ce grisonnement n'est
pas connues : vieillissement, facteurs génétiques, stress - en
partie en raison d'un manque de compréhension des mécanismes du
processus. Dans la revue Nature, Zhang et al. (2020) ont
identifié le mécanisme régissant le vieillissement prématuré
chez les souris qui ont subi un stress : c'est la noradrénaline
libérée par les neurones du système nerveux sympathique suite au
stress qui stimule tellement les cellules-souches du follicule
pileux qu'il n'en reste plus pour produire des mélanocytes qui
pigmenteraient le cheveux. Les auteurs s'interrogent sur le rôle
évolutif de ce mécanisme de grisonnement souvent observé chez
des chefs d'état durant leur fonction (Obama par exemple). Adapté d'après une News and Views de Nature (Clark,
S. A., & Deppmann, C. D. (2020) ici
Comment les cheveux sont-ils normalement colorés ?
Le cuir chevelu humain a en moyenne 100 000 follicules pileux,
produisant des cheveux dans une large gamme de couleurs. Cette
couleur est déterminée par des cellules appelées mélanocytes,
qui produisent différentes combinaisons de pigments de mélanine
absorbant la lumière. Les mélanocytes sont dérivés de cellules
souches mélanocytaires (MeSC), qui sont situées dans une partie
du follicule pileux appelée renflement. Le cycle normal des
cheveux est divisé en trois phases: la régénération du follicule
pileux (anagène), dégénérescence (catagène) et repos (télogène).
La production de mélanocytes commence tôt dans la phase anagène
(Fig. 1a). À mesure que les gens vieillissent, le stock de MeSC
est progressivement épuisé - et la chevelure devient alors de
couleur «poivre et sel», puis grise et enfin blanche après une
perte complète de pigment dans tous les follicules pileux.Traduit d'une News and Views de Nature (Clark, S.
A., & Deppmann, C. D. (2020) ici
Comment le stress accélère-t-il le grisonnement des
cheveux ?
Fig 1:Les cellules souches des mélanocytes (MeSC) sont situées dans le renflement du follicule pileux, qui est innervé par les neurones du système nerveux sympathique qui libèrent la molécule de neurotransmetteur noradrénaline. Le follicule passe par trois phases: régénération (anagène), dégénérescence (catagène) et repos (télogène). [img]. Source :Zhang, B.,et al. (2020)
Figure 1 a, Dans des conditions normales, les MeSC migrent loin du renflement (flèches rouges) et se différencient en mélanocytes pendant la phase anagène. Les mélanocytes synthétisent des pigments qui ajoutent de la couleur aux cheveux en régénération. Pendant la phase catagène et télogène, ils commencent à mourir et à migrer hors du micro-environnement particulier de ce renflement appelé « niche » (non illustré). Cependant, de nombreuses MeSC restent pour remplacer les mélanocytes lors de la prochaine phase anagène.
Figure 1 b, Zhang et al. montrent que des stimuli stressants activent le système nerveux sympathique, augmentant la libération de noradrénaline dans les follicules pileux. La noradrénaline provoque une conversion de tous les MeSC en mélanocytes, qui migrent hors de la « niche » lors des phases catagène et télogène. Le follicule pileux est alors privé de MeSC qui pourraient se différencier pour remplacer ces mélanocytes. Sans cellules pigmentaires pour colorer les cheveux lors de la prochaine phase anagène, ils poussent gris voire blancs.
encourage le lecteur à aller
vérifier dans l’article d’origine : ici
Comment Zhang et al. ont-ils pu établir ce mécanisme ?
Outre le vieillissement naturel, plusieurs facteurs provoquent un vieillissement prématuré, notamment des carences alimentaires, des troubles tels que l'alopecia areata (ou vitiligo) et le stress. Zhang et al. ont cherché à tester le rôle du stress dans le processus de grisonnement chez la souris. Ils ont exposé les animaux à trois facteurs de stress différents - la douleur, la contention et un modèle de stress psychologique - au cours des différentes phases de la croissance des poils. Chaque facteur de stress a provoqué l'épuisement des MeSC de la région de renflement, ce qui a finalement conduit au développement de plaques de poils blancs.On supposait alors que le grisonnement induit par le stress impliquerait des hormones (comme la corticostérone) ou des réactions auto-immunes. Zhang et ses collègues ont examiné ces mécanismes potentiels, d'abord en empêchant la signalisation de la corticostérone et ensuite en stressant les animaux dont le système immunitaire était compromis. Dans les deux cas, le grisonnement s'est produit après le stress, ce qui indique que ni la corticostérone ni les réactions auto-immunes ne provoquent une déplétion en MeSC. Cependant, les auteurs ont découvert que les MeSC expriment des récepteurs β2-adrénergiques, qui répondent à la noradrénaline - un neurotransmetteur impliquée dans la réponse au stress. La perte de ce récepteur spécifiquement dans les MeSC a complètement bloqué le grisonnement induit par le stress.
Les chercheurs ont découvert que c'est la noradrénaline produite par le système nerveux sympathique (SNS)- très actif en réponse au stress - qui est en jeu ici (et non celle produite par les glandes surrénales). Zhang et ses collègues ont montré que les renflements sont fortement innervées par les neurones sympathiques et que le blocage du SNS à l'aide d'une molécule de neurotoxine, ou le blocage de la libération de noradrénaline par les neurones sympathiques, empêchait le grisonnement induit par le stress. Ensuite, les auteurs ont généré des souris dans lesquelles les neurones sympathiques pouvaient être activés de manière aiguë, et ont constaté que la suractivation du SNS chez ces souris provoquait un grisonnement en l'absence de stress. Ensemble, ces résultats indiquent que la noradrénaline libérée par les neurones sympathiques actifs déclenche la déplétion MeSC (Fig. 1b).
Comment exactement l'activité sympathique provoque-t-elle une déplétion des MeSC des follicules pileux?
Normalement, ces cellules souches sont maintenues dans un état dormant jusqu'à ce qu'une repousse des cheveux soit nécessaire. Cependant, lorsque les chercheurs ont suivi les MeSC marqués avec une protéine fluorescente, ils ont découvert que la prolifération et la différenciation des MeSC augmentaient nettement lors d'un stress extrême ou une exposition à un niveau élevé de noradrénaline. Il en résulte une migration massive des mélanocytes hors du renflement n'y laissant plus de cellules souche. Pour confirmer davantage ce résultat, les chercheurs ont supprimé la prolifération MeSC pharmacologiquement et génétiquement. Lorsque la prolifération a été ralentie, les effets du stress sur la prolifération, la différenciation et la migration du MeSC ont été bloqués.encourage le lecteur à aller vérifier dans l’article d’origine : ici
Et en français ?
Un article vulgarisé :- Corlet. T. (2020) quand la peur donne des cheveux blancs, Science et Vie Junior Juillet 2020.extraits intranet.pdf
Quel rôle évolutif ?
Les auteurs s'interrogent sur l'avantage évolutif que pourrait
conférer ce le grisonnement induit par le stress. Parce que les
cheveux gris sont le plus souvent liés à l'âge, ils peuvent être
associés à l'expérience, au leadership et à la confiance. Par
exemple, les mâles adultes de gorilles de montagne "dos
argentés" (Gorilla beringei beringei), qui ont les poils
gris sur le dos après avoir atteint leur pleine maturité,
continuent à diriger un groupe de gorilles. Les auteurs émettent
l'hypothèse qu’un animal qui a subi suffisamment de stress pour
«acquérir» des cheveux gris a une place plus élevée dans l’ordre
social que celle que lui conférerait normalement l’âge ?
Un peu de mise en perspective
Quelques pistes pour aider les élèves à développer la lecture
critique : - Le fait d'étudier un phénomène chez la souris pour
comprendre un mécanisme intéressant les humains repose sur
l'idée d'unicité fondamentale entre les mammifères.
- L'étude sur des souris se transpose-t-elle automatiquement à
l'humain ?
- Quelles arguments, basés sur quelles données, ont suffi a
convaincre de nombreux auteurs que les cheveux de
Marie-Antoinette ont blanchi en une nuit. Une telle
justification aurait-elle suffi pour être publié ou qualifié
de scientifique ?
- Pourquoi Zhang et al. ont-ils supprimé la prolifération MeSC pharmacologiquement et génétiquement alors qu'ils avaient mis en évidence un mécanisme expliquant bien l'effet du stress pour produire le grisonnement des cheveux.
- Les rapports sociaux chez les gorilles sont-ils pertinents à
une société qui cherche à devenir plus égalitaire ?
D'autres recherches sur les cheveux
- Des chercheurs à l'université d'Edinbourg publient une vaste étude sur la génétique de la couleur des cheveux, notamment les causes de la couleur rousse : Morgan, et al. (2018) https://doi.org/10.1038/s41467-018-07691-z
- Les humains évoluent encore … et on peut l'observer : Pennisi, E. (2016) http://doi.org/10.1126/science.aaf5727
- Pourquoi avons-nous des poils sous les bras et dans la région pubienne ? Arney, & Smith, (2016). http://www.thenakedscientists.com/HTML/questions/question/1000598/
- Les poilus détecteraient mieux les insectes dans les lits :
Commentaire dans Nature Research Highlights, (2012),
482(7383), 9. http://doi.org/10.1038/482009e
- Dean, I., & Siva-Jothy, M. T. (2012). Human fine body hair enhances ectoparasite detection. Biology Letters, 8(3), 358‑361. https://doi.org/10.1098/rsbl.2011.0987
- Les chauves peuvent sourire : des chercheurs ont réussi à
produire de la peau humaine produisant des cheveux à partir de
cellules-souches pluripotentes. Lee et al. https://doi.org/10.1038/s41586-020-2352-3
Références:
- Arney, K., & Smith, G. (2016). Why do we have pubic hair? https://www.thenakedscientists.com/articles/questions/why-do-we-have-pubic-hair
- Clark, S. A., & Deppmann, C. D. (2020). How the stress of fight or flight turns hair white. Nature, 577(7792), 623‑624. https://doi.org/10.1038/d41586-019-03949-8
- Dean, I., & Siva-Jothy, M. T. (2012). Human fine body
hair enhances ectoparasite detection. Biology Letters, 8(3),
358‑361. https://doi.org/10.1098/rsbl.2011.0987
- Morgan, M. D., Pairo-Castineira, E., Rawlik, K., Canela-Xandri, O., Rees, J., Sims, D., … Jackson, I. J. (2018). Genome-wide study of hair colour in UK Biobank explains most of the SNP heritability. Nature Communications, 9(1), 5271. https://doi.org/10.1038/s41467-018-07691-z
- Nature Research Highlights, (2012), Animal behaviour: Hair defence against bed bugs. , 482(7383), 9. doi:10.1038/482009e
- Navarini, A. A., & Nobbe, S. (2009). Marie Antoinette Syndrome. Archives of Dermatology, 145(6), 656‑656. https://doi.org/10.1001/archdermatol.2009.51
- Pennisi, E. (2016, mai 17). Humans are still evolving—And we can watch it happen. Science | AAAS. http://doi.org/10.1126/science.aaf5727
- Zhang, B., Ma, S., Rachmin, I., He, M., Baral, P., Choi, S., Gonçalves, W. A., Shwartz, Y., Fast, E. M., Su, Y., Zon, L. I., Regev, A., Buenrostro, J. D., Cunha, T. M., Chiu, I. M., Fisher, D. E., & Hsu, Y.-C. (2020). Hyperactivation of sympathetic nerves drives depletion of melanocyte stem cells. Nature, 577(7792), 676‑681. https://doi.org/10.1038/s41586-020-1935-3
- Lee, J., Rabbani, C. C., Gao, H., Steinhart, M. R., Woodruff, B. M., Pflum, Z. E., Kim, A., Heller, S., Liu, Y., Shipchandler, T. Z., & Koehler, K. R. (2020). Hair-bearing human skin generated entirely from pluripotent stem cells. Nature, 1‑6. https://doi.org/10.1038/s41586-020-2352-3