Des protéines antigel ? Pour ceux de nos lecteurs qui sont loin de l'Europe, il a beaucoup neigé cette année ici, et la question du froid et du gel est ... pointue.
Fig 1 : la glace forme facilement des cristaux pointus.
(Photo F. Lombard)Un article de Science et Vie Junior (
intranet.jpg) décrit comment on pourrait introduire le gène antigel de la plie chez la tomate.
Susciter des questions ?
Ce texte intéresse facilement et peut faire apparaitre chez les élèves - ceux que le gavage de réponses n'a pas encore lobotomisés du questionnement - un certain nombre de questions.
- Pourquoi la plie aurait -elle un gène contre le froid ?
- Comment un gène pourrait empêcher un phénomène obéissant aux lois de la physique, aussi peu vivant que le gel ?
- Le gène de la plie fonctionnera-t-il dans une plante ?
- Ne donnerait-il pas un goût de poisson aux tomates ?
- A quoi ça peut servir ?
- ...
C'est un bon texte pour susciter les questionnement, mais il ne donne pas les réponses.
L'accès électronique à de nombreuses ressources permet de trouver facilement d'autres textes où trouver (ou faire trouver) les réponses... des réponses de qualité !
Dévulgarisons ?
Une recherche sur
PubMed qui recense pratiquement TOUT ce qui est publié en biosciences a porté ses fruits :
Il semble que ce soit suite à cet article que S&V ait fait cet encadré.
Marshall, C. B., Fletcher, G. L., & Davies, P. L. (2004).
Hyperactive antifreeze protein in a fish. Nature, 429(6988), 153-153.
On y apprend que ces protéines (AFP :
AntiFreeze Proteins) protègent le sang du poisson du gel en se fixant sur les surfaces pyramidales des cristaux empêchant ainsi les aiguilles de glace de se former. (Ce sont ces cristaux qui perforent les membrane et causent les dégâts aux cellules). Cela permet de repousser le gel de 2 °C
Fig 2 : La protéine antigel empêche la production de cristaux de glace en aiguille. b)Dans son sérum on en trouve peu de pointus (Y et Z). La protéine s'y accroche et produit des glaçons plutôt arrondis (X) Source : Marshall, C. B. et al (2004).
" Fish that live in the polar oceans survive at low temperatures by virtue of 'antifreeze' plasma proteins1 in the blood that bind to ice crystals and prevent these from growing. However, the antifreeze proteins isolated so far from the winter flounder (Pleuronectes americanus), a common fish in the Northern Hemisphere, are not sufficiently active to protect it from freezing in icy sea water. Here we describe a previously undiscovered antifreeze protein from this flounder that is extremely active (as effective as those found in insects) and which explains the resistance of this fish to freezing in polar and subpolar waters."
Plus loin l'article explique que la forme de la protéine (principalement constituée de beta-helix) aligne bien la régularité de sa structure chimique avec celle de la surface du glaçon et prévient ainsi la croissance du glaçon ou empêche les pointes de se former. Certains insectes ont des AFP très voire plus efficaces encore. Davies, Peter L et al. (2002). illustrent bien comment la structure de ces protéines est adaptée à la régularité du maillage cristallin de la glace.
Source Davies, Peter L et al. (2002).
Quelle plie ?
La plie mentionnée n'est pas celle que nous connaissons : c'est une espèce spéciale
Winter flounder Pseudopleuronectes americanus on la trouve dans les mers polaires cf
dans taxonomy bowser de Barcode of Life Data Systems (BOLD) ici (répartition et photos)
Fig 6 : La plie des océans polaires Pseudopleuronectes americanus qui produit cette protéine antigel.
Quelle protéine ?
Cette protéine-là peut être trouvée dans la base de UniProt (ex-SwissProt née à l'UniGe) semble s'appeler HPLC-6
http://www.uniprot.org/uniprot/P04002-on y trouve la fonction :
Antifreeze proteins lower the blood freezing point.-et la séquence d'acides aminés : la séquence
authentique !
Qu'elle soit si facilement accessible peut aider à rendre les sciences en classe plus connectées au monde réel de la biologie actuelle.
10 20 30 40 50 60
MALSLFTVGQ LIFLFWTMRI TEASPDPAAK AAPAAAAAPA AAAPDTASDA AAAAALTAAN
70 80
AKAAAELTAA NAAAAAAATA RG
Rem : Il s'agit du code des acides aminés à une lettre : une conversion du code 1 à 3 lettres est par exemple proposé par l'uni Alberta.|
One-to-three |
Three-to-oneet un Tableau des Abbrévitaitons acides aminés à une lettre/ 3lettres(M.à J.) Une autre glycoprotéine antigel est décrite plus à fond dans l'instantané du mois de
Prolune :
- Ice-structuring glycoprotein, Notothenia coriiceps neglecta (Yellowbelly rockcod) : P24856
"Comment fonctionnent de telles protéines antigel ? Elles empêchent les cristaux de glace naissants de grossir. Pour agir, elles bénéficient d’une structure particulière : la succession de trois acides aminés (thréonine-alanine (ou proline)-alanine) répétée un grand nombre de fois. Et sur chaque thréonine se greffe une molécule de sucre, ce qui confère aux protéines une certaine affinité pour les molécules d’eau. Les glycopeptides antigel se sentent irrésistiblement attirées par les molécules d’eau prises dans le cristal de glace balbutiant. Elles se positionnent alors de telle sorte qu’une seule face de la protéine interagisse avec la glace. De ce fait, le cristal recouvert d’antigel ne peut ‘recruter’ des molécules d’eau supplémentaires et sa croissance est interrompue. "
Quelle forme ?
On peut accéder à la structure 3-d de cette protéine par la base de données de structures PDB :
iciOn voit bien la régularité de ce béta-helix et on peut le faire tourner dans l'espace avec le lien
Jmol dans la page a droite.
A quoi ça sert de transférer ce gène dans une tomate ?
Pour comprendre comment le vivant s'est adapté, c'est intéressant. Comme expérience mentale pour comprendre et expliquer que ce gène sera lu comme n'importe quel autre gène,de la tomate, et produira la même protéine HPLC-6 mais ne donnera pas une odeur de poisson, c'est intéressant, oui.
Mais à quoi peut servir de transférer ce gène dans une tomate... là franchement je suis perplexe... elle ne peut guère pousser dans des climats où il risque de geler il me semble ?
Peut-être à protéger du gel certaines autres cultures sensibles (fraises ? Abricots ?). Si le consommateur les accepte.
A mieux conserver des produits sanguins ou des organes durant le trajet en vue de leur transplantation, voire du sperme congelé dans des banques.
A mieux comprendre le vivant sans aucun doute !
Nous voilà armés pour affronter - mentalement plus pointus - la neige et la glace de cet hiver ?
Sources :
- Marshall, C. B., Fletcher, G. L., & Davies, P. L. (2004). Hyperactive antifreeze protein in a fish. Nature, 429(6988), 153-153.
- Un review sur les protéines antigel : Fletcher GL, Hew CL, Davies PL. (2002). Antifreeze proteins of teleost fishes.Annu Rev Physiol. 2001;63:359-90.
- Davies, Peter L et al. (2002). Structure and function of antifreeze proteins. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci. 2002 July 29; 357(1423): 927–935. doi: 10.1098/rstb.2002.1081.