Le daltonisme ne serait pas un défaut, mais un avantage dans certaines situations ?
Une recherche récente rapportée dans une News de Nature (ici) est l'occasion de faire le point sur un exemple très classique pour la génétique et la physiologie de la vision dans les écoles : le daltonisme.Généralement présenté comme un défaut de vision, parfois une maladie génétique, une vision dichromatique (deux types de cônes plutôt que trois) pourrait en fait être un avantage évolutif pour distinguer mieux les formes. Il semble - chez plusieurs autres primates en tous cas - que la discrimination plus fine des couleurs qu'apporte un troisième type de cônes est au détriment d'une distinction des formes plus précises. La dichromatie réduirait la distractions par les couleurs dans des environnements visuellement complexes, riches en taches de couleur et de formes rencontrés dans les arbres.
Fig 1 : Saguinus. [img]Source J. DIEGMANN:
L'avantage de la trichomatie
De nombreux vertébrés (poissons reptiles et oiseaux) ont une vision des couleurs à 4 types de cônes (Quadrichromates), mais deux gènes se sont perdus durant le passé nocturne de l'évolution des mammifère (Melin, A. D., Fedigan, & al. 2007). Cependant une duplication d'un gène a permis que de nombreux primates aient une vision des couleurs reposant sur 3 types de cônes, avec 3 gènes différents pour l'Opsine (ici): ils sont trichromates.
Plusieurs recherches (Cf. le petit review qui introduit Smith, A. C., et al. 2012) indiquent que la trichromatie permet de mieux distinguer les fruits mûrs, les feuilles jeunes vert tendre, pourtant on trouve chez plusieurs autres primates une proportion mêlée de dichromates et de trichromates.
S'il s'agissait d'une "maladie" ou d'un "défaut de vision" on peut supposer que nous serions plutôt les descendants de trichromates qui ont réussi à mieux distinguer les fruits mûrs, mieux nourris et moins atteints par les les diarrhées... Or les daltoniens sont près d'un sur 10 chez les hommes européens (Source) . Chez les autres primates aussi on s'attendrait à ce que les dichromates soient très rares.
A moins qu'on ait affaire à une sélection balancée qui maintient la diversité par exemple en favorisant les hétérozygotes.
Quel serait alors cet avantage ?
Chez les singes du genre Saguinus, notamment Saguinus fuscicollis et Saguinus labiatus que les auteurs ont étudié, on trouve les deux formes de vision des couleurs.
Chez certains primates du nouveau monde, notamment les Saguinus, il y a 3 allèles pour la vision des couleurs et les femelles hétérozygotes sont trichromates alors que les mâles et les femelles homozygotes sont dichromates (Smith, A. C., et al. 2012). Le type de vision peut être déterminé en séquençant les régions pertinentes du génome extrait de matières fécales. Les séquences n'ont pas d'odeur aurait dit Vespasien peut-être.
- Position taxonomique @ UniProt du genre Saguinus (en français ce sont des sagouins, mais évidemment en classe, ce terme pourrait susciter une certaine agitation parmi les élèves les plus jeunes d'esprit…)
- Encyclopedia Of Life : Saguinus labiatus image
- Animal Diversity Web : Saguinus Labiatus Photos et mode de vie etc
Des proies qui se cachent
Les tamarins, notamment les sagouins sont de petits primates arboricoles qui se nourrissent principalement d'insectes, notamment de Katydidés Tettigoniidae, et en particulier de Pseudophyllinae Phaneropterinae. Ce sont des insectes nocturnes qui échappent à la prédation diurne de différentes manières : certains ont des formes ressemblant à des feuilles ou des écorces d'autres sont simplement de couleur verte, enfin certains sont hors de vue dans des creux.Fig 2 : Cherchez bien l'insecte (Pseudophyllinae). Si vous êtes trichromates ce sera presque peut-être facile que si vous êtes daltonien [img]Source hgeorge. : Hong Kong Bird Watching Society (HKBWS)
Les formes ou les couleurs ...
Le type de camouflage influence la capture par les sagouins, puisque (Smith, A. C., et al. 2012) les insectes camouflés par la couleurs sont mieux repérés par les trichromates et ceux cachés par leur forme mieux repérés par les dichromates. Il semble que ces derniers soient moins distraits par d'autres informations dans ces environnements visuellement très chargés dans le feuillage, les ombres, les formes et avec une lumière teintée de vert.Ceux qui ont essayé de photographier dans les forêts comprendront bien le problème...
En comparant les captures d'insectes de Tamarins du genre Saguinus, puis en corrigeant pour le sexe des individus, (Smith, A. C., et al. 2012) ont observé sur le terrain que les dichromates capturaient une proportion d'insectes camouflés sur les écorces et les feuilles pour lesquels la forme permet le repérage.
Fig 3 : En simplifiant (trop ?...retournez à l'article ce serait mieux ! ), on pourrait lire ce graphique comme la discrimination des dichromates en X et des trichromates en Y. On voit que les trichromates distinguent mieux certains types d'insectes (p. ex. en brun les insectes camouflés sur les écorces "Bark") [img]Source (Smith, A. C., et al. 2012):
En somme, les études de terrain aussi bien que celles en labo, montrent – selon les auteurs – que les trichromates capturent plus d'insectes, mais que les dichromates capturent mieux les insectes au camouflage de forme dans la nature.
"The behavioural results from wild tamarins along with the spectral results suggest that trichromats are superior at detecting green generalist and concealed insects. However, dichromats appear to be better than trichromats at catching camouflaged insects (i.e. the bark and leaf mimics), as predicted." (Smith, A. C., et al. 2012)Ces résultats ne sont pas très faciles à utiliser en classe : pas de belle certitude simple, pas de graphique dont l'interprétation saute aux yeux...
Un peu comme le monde réel en somme ! Celui auquel nous les préparons en somme…
Eloge de l'imperfection ?
Ceux d'entre nous qui voient moins les couleurs peuvent revendiquer une meilleure détection des formes, et porter leur différence comme une diversité qui a avantagé leurs ancêtres durant notre longue évolution et pourrait bien être favorable dans certaines situations actuelles.On peut en effet voir dans cet exemple une belle illustration des mécanismes maintenant la diversité : la sélection balancée. Les auteurs suggèrent que la fréquence assez grande des dichromates résulte de l'avantage des hétérozygotes, mais aussi peut-être d'une sélection dépendant de la fréquence.
Si je comprends bien ce point : lorsque le nombre de proies capturées par un phénotype est trop grand , cela favorise ceux de l'autre phénotype : Par exemple s'il n'y a presque plus que des trichromates, les insectes qui leur échappent (camouflage de forme) se multiplient et cela donne un gros avantage aux dichromates capables de mieux les capturer.
"Our results for tamarins lend support to heterozygote advantage, as it is known that not only are trichromats better able to detect and select fruit (e.g. Smith et al. 2003), but they also catch more insects than their dichromatic counterparts. However, that dichromats catch a greater proportion of camouflaged prey suggests that selection for niche divergence may also be playing a part in maintaining colour vision polymorphism in tamarins. The relative abundance of different classes of insects is therefore important in the relative success of insect foraging in di- and trichromatic tamarins." (Smith, A. C., et al. 2012)
Compléments sur la biologie du "daltonisme"
Chez l'homme la dyschromatopsie peut prendre plusieurs formes : le défaut des cônes M (sensibles au vert), ou L (sensibles au rouge), voire S (sensibles au bleu). Selon OMIM la deuteranopie c'est à dire le défaut des cônes M est le cas de la plupart (75%) des homme atteints. Ce n'est donc pas - comme on le lit souvent - un défaut ou l'absence des cônes " rouges" = L qui est en cause, dans le daltonisme en général mais un défaut des cônes M. Comme le Dr. Dalton semble-t-il.- Synthèse physio et génétique : Cones and Color Vision. le Purves (2001) Online
- Quels gènes impliqués : cf BIST : Scénario 3
- Tous les gènes connus impliqués dans la maladie ici
- L'un sur le chr 7 (OPN1SW) Colorblindness, tritan
- 2 autres sur le chr X vers l'extrémité du bras long Protan et Deutan (OPN1LW, OPN1MW) ; OPN1 pour opsin1
- Quelles fréquences dans la population
- Une lecture sommaire des entrées OMIM et du 303800 donne pas mal d'infos sur la maladie, les fréquences etc.
- Quels effets dans la vie courante (ici dans webarchive car les pages ont disparu) exemple : la cuisson de la viande vu par un dichromate img et un trichromate img | Source
- Simulation pour explorer les couleurs et les filtres ici
- Simulation Afficher à l'écran toute couleur RGB pour les étudier.
- On peut aussi utiliser 3 spots équipés de filtres R V B et éclairer un scène colorée puis supprimer le vert (ou le rouge) pour permettre à chacun de "voir daltonien" Image: M. Sacroug
Sources
- Bloch, Arthur. (1990). Murphy's Law Complete, Ed. Mandarin
- Evolution: Colour vision aids the hunt. (2012).Nature, 481(7380), 116. doi:10.1038/481116a
- Melin, A. D., Fedigan, L. M., Hiramatsu, C., Sendall, C. L., & Kawamura, S. (2007). Effects of colour vision phenotype on insect capture by a free-ranging population of white-faced capuchins, Cebus capucinus. Animal Behaviour, 73(1), 205–214. doi:10.1016/j.anbehav.2006.07.003
- Purves D, Augustine GJ, Fitzpatrick D, et al.,(2001) editors.Neuroscience. 2nd edition. Sunderland (MA): Sinauer Associates; .
- Smith, A. C., Surridge, A. K., Prescott, M. J., Osorio, D., Mundy, N. I., & Buchanan-Smith, H. M. (2012). Effect of colour vision status on insect prey capture efficiency of captive and wild tamarins (Saguinus spp.). Animal Behaviour, 83(2), 479–486. doi:10.1016/j.anbehav.2011.11.023 | intranet.pdf
La plateforme Expériment@l de la faculté des sciences vous offre l'accès aux articles originaux et vous informe. | Comment Obtenir un article mentionné : Get-a-doi
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire