mercredi 30 janvier 2008

un commando de 9 prend le contrôle de 273 !

Le VIH nous attaque avec 9 gènes à lui et 273 protéines à nous !

Le VIH contient 9 gènes qui produisent 15 protéines et bien sûr, comme tous les virus il exploite les mécanismes biochimiques de la cellule. Mais on ne savait pas exactement quelles protéines humaines lui étaient nécessaires pour son oeuvre maléfique. On ne connaissait que 36HIV dependency factors (HDF) dont bien sûr le récepteur CD4 des lymphocytes et les 2 co-receptors, CXCR4 ou CCR5 nécessaires à la fixation du virus.

Dans une publication qui pose les jalons d'une approche nouvelle, Brass et al (2008) ont utilisé les nouvelles librairies de RNA interférant (SiRNA) pour désactiver séparément chacun des gènes humains connus et voir si le VIH pouvait se reproduire dans ces cellules à un seul gène inhibé.

Le RNA interférant : un Nobel majeur ?
Le terme de RNA interférant est à peine connu depuis 10 ans et le prix Nobel de 2005 à Andrew Fire et Craig C. Mello consacrant l'importance de ce mécanisme à peine distribué, que des applications innombrables en recherche se développent et ouvrent de nouvelles perspective sur de nombreux problèmes.

Le RNA interférant en quelques mots


Figure 1 : le mécanisme de l'interférence ARN nobel.org

En très gros on peut résumer le mécanisme de l'interférence à RNA ainsi
- Si un ARN double-brin (DsRNA) apparaît dans la cellule (qu'il soit introduit, ou issu du génome), il est coupé par l'enzyme Dicer à une longueur précise de 21-23bases (cela devient un SiRNA)
- Un complexe enzymatique RISC le prend en charge, sépare les deux brins du SiRNA et lorsque le brin SiRNA trouve à s'apparier sur une ARN messager, une partie de RISC (slicer ou argonaute) coupe cet ARNm.
-L'ARNm ainsi exposé est rapidement dégradé par d'autres enzymes. En effet les nouvelles extrémités produites n'ont pas de 5' cap ni de terminaison polyAAAAAA qui protègent normalement ces extrémités contre les ribonucléases.
- Fin de la traduction de cet ARNm.

La possibilité de désactiver (ou au moins fortement limiter l'expression : on réduit de 80-90%) les gènes à un endroit et à un moment donné sans devoir créer un organisme génétiquement modifié est extrêmement féconde !

D'innombrables applications en recherche et bientôt en médecine ( désactiver des gènes pour lutter contre les virus, le cancer, ou comme thérapie génique paraît très prometteur).


Pour en savoir plus sur le RNAi
Le papier de la décennie ?

Robert Gallo - qui a joué un rôle décisif dans la découverte du VIH - déclare que ce papier sera un des plus décisifs de la décennie dans le domaine... En effet cette méthode peut être appliquée a de très nombreux autres virus ou pour étudier de manière analogue d'autres maladies, comme le cancer. De plus chaque dépendance du VIH peut constituer une piste pour limiter le développement du virus.




Fig. 1 : img Le VIH (tout en haut) dépend de plus de 250 protéines humaines pour infecter les cellules immunitaires, entrer dans le noyau, s'intégrer dans le noyau et produire des copies virales. (source A.L. Brass, Science)

Brass et al (2008) ont trouvé ces 273 gènes (HDF) en utilisant des librairies exhaustives de SiRNA dont on dispose depuis peu. L'article ne le dit pas , mais on a probablement cherché avec des outils bioinformatique une séquence de 21-25 bases qui soit spécifique à chacun des gènes, et on a produit une librairie avec ces séquences.

Ils ont pris des cultures de cellules humaines et les ont inactivé avec un SiRNA spécifique de chacun des gènes humains connus et ont testé si le VIH pouvait les infecter et se reproduire. Au total ils ont donc testé plus de 21'000 colonies de cellules désactivées pour un seul gène. La méthode de détection est illustrée en Figure 2A et il faut se référer à l'article pour une explication complète, mais on voit qu'ils ont réduit l'activité du gène par du SiRNA durant 72 heures, puis infecté avec le virus et mesuré avec un test en 2 parties pour mettre en évidence après 48 heures l'action éventuelle sur l'activité initiale du virus (entrée, -> premières traductions) et encore 24 h plus tard pour en évidence l'action sur les protéines tardives ( liées à l'assemblage et à la sortie du virus).



Fig. 2 A : La méthode de screening . (Source A.L. Brass, Science)

La méthode rigoureuse et bien étayée de ce papier promet d'être une référence pour guider bien des étudiants dans leurs recherches dit Warner Greene, qui dirige l'Institute of Virology and Immunology at the University of California, San Francisco.

Quel genre de protéines le VIH détourne-t-il à son profit ?

Ils ont catégorisés les protéines (HDF) en fonction de leur localisation intracellulaire et on voit qu'elles sont près d'un tiers dans le noyau (Réplication, transcription, régulation des gènes, etc. on peut présumer ?) Et un bon quart dans la membrane : pour l'assemblage et la libération du virus sans doute.


Fig. 2 D : La localisation cellulaire des HDF. (Source A.L. Brass, Science)

La recherche fondamentale, les pétunias et les priorités...

Les premières recherches faisant état de ce qu'on appelle maintenant RNAi ont été faites sur des pétunias dont on cherchait à rendre les pétales plus foncés. Et des ARNm en plus ont produit des zones blanches et non pas plus foncés ! D'autres travaux au début des années 1990 ont suivi et il semble qu'on n'a alors pas compris pleinement ce qui se passait (il y a une controverse encore) et on a parlé de "censeurs de gènes" ou homology-dependent gene silencing, et beaucoup pensaient avoir affaire à une bizarrerie de la nature de plus.
Link


Fig 3 Les premieres découvertes d'ARN alors appelé "antisens" ou censeurs se sont faites sur les pétunias (Source Matzke MA, Matzke AJM (2004) Planting the Seeds of a New Paradigm. PLoS Biol 2(5): e133 http://dx.doi.org/10.1371/journal.pbio.0020133

Ensuite Fire et Mello font des découvertes troublantes sur le ver Caenorhabditis elegans (animation) et finissent par élucider le mécanisme. Ils ont eu le prix Nobel pour cela.

Ces 2 exemples montrent bien comment la recherche fondamentale, paraît sur le moment inutile ( Qui aurait alors considéré comme prioritaire d'étudier la couleur des pétunias , ou cet affreux petit ver parasite... ) mais ouvre parfois des pans entiers de recherches nouvelles, l'espoir de thérapies nouvelles et des marchés énormes.

A méditer quand on juge de l'utilité de recherches qui ne sont pas immédiatement applicables !

Un "dogme" ébranlé ?

On le sait depuis peu, le RNAi est un coup de boutoir de plus contre ce que certains voulaient appeler le dogme central de la biologie :
1Gène -> 1 ARNm -> 1 protéine.

D'ailleurs le terme de "dogme" ne convient pas à une approche réellement scientifique, ...non ?

Avec ~20'500 gènes humains (au dernier décompte donné par M.-C. Blatter de Swiss-Prot au Cours de BIST) 100'000 transcrits ARN et plus d'un million de protéines différentes, il y avait de quoi être troublé de toutes façons.
Ce mécanisme n'est pas rare, ni anecdotique : il semble être conservé (= chez une très grand majorité des organismes sans doutes) participe activement à la régulation de l'expression des gènes chez nous aussi.
Donc de nombreux ARNm sont inactivés par ce mécanisme d'interférence avant d'avoir été traduits !

Le RNA interférant : une remise en question majeure de nos cours ?

Peut-on continuer à enseigner -parce que c'est déjà assez compliqué comme ça - sans le mentionner?

Faut-il tout bouleverser ? Entre ces extrêmes il faut peut-être trouver une réponse nuancée selon le degré... C'est sans doute indispensable en 4 ème OS... et peut-être moins en DF ou à l'ECG...

Peut-être aussi pourrait-on ne pas "verrouiller" le sujet lorsqu'on présente ce schéma ADN -> ARN-> Protéine, et laisser des portes ouvertes (dans le style "en simplifiant les choses, disons que ..." "Il y a d'autres mécanismes que nous ne verrons pas en df ..." "pour ceux qui en veulent plus j'ai mis un lien / un document d'approfondissement ici... '') pour que les élèves soient réceptifs à des développements ultérieurs sur ce point ?

Comment a-t-on pu l'ignorer si longtemps ?
On s'étonne a posteriori qu'un mécanisme si important n'ait pas été détecté plus tôt. Peut-être que cela révèle combien les paradigmes de recherche établis sont incontournables, difficiles à changer et combien on ne trouve que ce qu'on cherche... Or bien sûr on cherchait pas le RNAi !

Sources
Ressources didactique

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