Comment on définit une espèce et les méthodes qui permettent de distinguer 2 espèces de muscardin très semblables.
Est-ce qu'on fonde la portée des savoirs présentés en classe sur les méthodes...
Texte diffusé par le Museum de Genève :
Découverte de la 100e espèce de mammifères sauvages de Suisse !
Le muscardin, un minuscule rongeur aux grands yeux noirs, est une espèce peu commune mais largement répandue. Les biologistes savaient qu'il existait deux lignées divergentes en Europe, mais ignoraient que c'était également le cas à plus petite échelle, en Suisse. Une remise en perspective des méthodes leur a permis de conclure que le muscardin ne représente pas une, mais deux espèces1 indépendantes.
En recensant la variabilité génétique de tous les petits mammifères de Suisse, des chercheurs du Muséum d'histoire naturelle de la Ville de Genève et de celui de Saint-Gall, ont percé le secret de ce petit rongeur. Ils ont constaté que les muscardins de Suisse orientale (St-Gall) et ceux de Suisse romande (échantillonnés à Genève et dans le canton de Vaud) avaient génétiquement 10 fois plus de différences que la moyenne habituelle qui caractérise une espèce sauvage (distance génétique intraspécifique 0 à 1.5% contre 11% pour les muscardins). Une étude précédente suggérait l'existence de deux lignées très divergentes en Europe, mais il a fallu démontrer à une échelle bien plus précise que celles-ci n'échangeaient plus de gènes depuis des millions d'années et représentaient donc deux espèces cryptiques2.
1. Qu'est-ce qui définit une espèce ?
Lorsque deux individus diffèrent génétiquement, il peut s'agir de variabilité génétique individuelle ou, si ces différences dépassent un certain seuil, trahir l'existence de plusieurs espèces distinctes. Pour trancher, il est nécessaire d'analyser de multiples marqueurs ADN ou d'autres critères biologiques comme la morphologie, l'écologie ou le comportement. Cet ensemble de données indépendantes permet généralement de déterminer si les individus divergents peuvent se reproduire entre eux, critère essentiel de la définition d'une espèce biologique.
2. Qu'est-ce qu'une espèce cryptique ?
La plupart des espèces qui nous entourent se différencient par leur morphologie externe ou par des chants ou des comportements distincts. Elles sont reproductivement isolées les unes des autres. Il existe cependant des espèces qui diffèrent très peu extérieurement, mais dont d'autres critères biologiques les empêchent de se reproduire en elles. On parle alors d'espèces cryptiques, car elles sont difficiles à reconnaître. Les méthodes moléculaires ou l'examen des chromosomes viennent alors à la rescousse pour les différencier, et c'est souvent grâce à ces techniques modernes que l'on se rend compte de leur existence, comme c'est le cas pour les deux muscardins européens.
On ignore encore beaucoup de choses sur leur mode de vie
Les muscardins sont des animaux discrets fréquentant les lisières des forêts bien denses, peuplées de ronciers et de noisetiers qui leur fournissent gîte et couvert. Ils élèvent leurs petits dans un nid soigneusement tressé avec des herbes sèches. Bien que très semblables morphologiquement, la nouvelle étude montre qu'il existe en Europe deux espèces indépendantes de muscardins : le Muscardin occidental (nom scientifique : Muscardinus speciosus) et le Muscardin oriental (Muscardinus avellanarius), dont les aires de répartition ne se chevauchent pratiquement pas (voir carte de répartition ci-dessous). Il faudra cependant des études plus approfondies pour trouver des caractères externes qui les différencient facilement, afin d'étudier leurs répartitions ou leurs mœurs plus précisément. Il s'agira également d'observer les interactions entre les deux espèces dans les zones de contact présumées, zones qui traversent vraisemblablement le centre de la Suisse.
Carte de répartition des deux espèces européennes de muscardins. ©Florence Marteau
Une découverte importante pour la conservation
L'espèce nouvelle de muscardin occidental est en quelque sorte une redécouverte, puisque des naturalistes du siècle passé avaient déjà soupçonné son existence mais sans pouvoir le confirmer avec les moyens de l'époque, ce que l'ADN a permis en 2023 ! Puisque désormais il représente deux espèces distinctes, cela remet en question le statut global de protection du muscardin que l'on croyait répandu sur une bonne partie de l'Europe. À l'heure de la conservation de la biodiversité, cette découverte démontre que nos connaissances sur les espèces sauvages de nos régions sont encore bien lacunaires. Il est donc impératif de lutter contre l'érosion génétique qui menace nos écosystèmes et qui pourrait faire disparaître des éléments encore inconnus de notre faune.
Comment nommer une espèce nouvelle ?
Lorsqu'une nouvelle espèce est découverte, comme c'est le cas ici avec l'une des deux lignées génétiques de muscardins, il s'agit de la nommer correctement. Les systématiciens (dont c'est le métier) procèdent alors à un minutieux examen de la littérature pour déterminer si un nom avait déjà été attribué anciennement à une forme de muscardin.
Carl von Linné a été le premier à décrire l'espèce officiellement, en 1758, sous le nom de « Mus avellanarius », aujourd'hui connu sous le nom de Muscardinus avallanarius. Comme ce muscardin provenait de Suède, c'est la lignée orientale qui hérite de ce nom original. Une dizaine d'autres formes de muscardins ont ensuite été décrites en Europe, notamment en Italie. Dans le cas de la lignée occidentale, une forme distincte avait été reconnue dès 1855 par le naturaliste allemand A. Dehne. Il l'a nommée « Myoxus speciosus », en référence à son pelage plus brillant (d'où speciosus en latin). Comme la lignée occidentale de muscardins occupe toute l'Italie, et en vertu des règles de priorité, la nouvelle espèce doit donc prendre le nom scientifique de Muscardinus speciosus (Dehne, 1855). Si aucune forme de muscardin n'avait été décrite dans la région occupée par cette lignée, alors il aurait fallu inventer un nouveau nom et en publier une description formelle.
Pour en savoir plus :
Publication (EN) : http://www.italian-journal-of-mammalogy.it/Shortcomings-of-DNA-barcodes-a-perspective-from-the-mammal-fauna-of-Switzerland,169342,0,2.html
Blog Muséumlab (FR) :
Iconographie : https://photos.app.goo.gl/yXb42aEmBBSrV4Pf9
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Références:
- Pampanon, F., & Shehzad, W. (2016, juillet 11). Code-barres ADN pour caractériser la biodiversité. Encyclopédie de l'environnement. https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/metabarcoding-codes-barres-adn-caracteriser-biodiversite/
- Ruedi, M., Manzinalli, J., Dietrich, A., & Vinciguerra, L. (2023). Shortcomings of DNA barcodes : A perspective from the mammal fauna of Switzerland. Hystrix, the Italian Journal of Mammalogy. https://doi.org/10.4404/hystrix-00628-2023
- Lombard, F. (2012). Conception et analyse de dispositifs d'investigation en biologie : comment conjuguer autonomie dans la validation scientifique, approfondissement conceptuel dans le paradigme et couverture curriculaire ? Doctorat, Université de Genève, Genève. l'archive ouverte de l'UniGE | version-écran