dimanche 6 décembre 2009

Ardipithecus ramidus : non...l'homme ne descend pas du "singe" !

Une vaste série de fossiles éclairent notre passé vers 4-5 mio.

L'analyse des fossiles – dont un très complet – d'une nouvelle espèce d'hominidé Ardipithecus ramidus plus ancienne (4.4 mio) qu'Australopithecus, mais clairement séparée du lignage du chimpanzé révèle des caractéristiques très particulières de la main, du pied, du crane qui éclairent cette phase de notre passé. Depuis la découverte d'Australopithèque, et notamment de Lucy (3.2 mio) on n'avait pas trouvé une série aussi complète de fossiles, et ils bousculent pas mal ce qui s'enseigne...

Picture of Ardi
Fig 1 : Une reconstitution d'artiste de ce que pouvait être Ardipithecus ramidus. Diaporama complet. [img]Credit: © 2009, J. H. Matternes

Bien que de la taille d'un chimpanzé (1m20), il ne se balançait guère de branche en branche et ne marchait pas sur ses doigts repliés (knuckling): il s'avançait droit avec un bassin large avec un pied ferme muni cependant d'un orteil opposable qui lui permettait aussi de grimper.

Le "singe" ne peut vraiment plus être notre ancêtre !


Fig 2 : Un exemple de graphique qui renforce la conception que plus un fossile est ancien plus il ressemblerait au chimpanzé. (D'après une source retenue par égard pour eux. Les flèches, le crane en bas à droite et le cartouche d'en bas sont modifiés depuis l'image d'origine).

En somme il remet en question bien des images qui présentent une série de crânes ou d'autres fossiles avec le chimpanzé à gauche et l'homme à droite en passant par Australopithèque, H. habilis, H. erectus, Neanderthal, et Cro-Magnon par exemple. Celui de la Fig. 2 met en relation la capacité crânienne et l'âge : il affiche même des millions d'années en bas, avec le chimpanzé associé implicitement à -10 millions d'années comme s'il était notre ancêtre de cette époque. Ce type de graphique sous-entend que le chimpanzé serait plus ancien que notre espèce, et qu'il serait en somme resté dans une forme primitive, alors que nos ancêtres ont évolué. Une conception qui est très fréquente chez la plupart de nos concitoyens. Donc plus un fossile est ancien plus il ressemblerait au chimpanzé. Les Australopithèques ne mettaient pas tellement en défaut cette conception. L'auteur de cette figure a sans doute voulu simplifier un sujet complexe... mais renforce une conception finaliste qui situe l'homme comme aboutissement de l'évolution et les autres espèces à des étapes intermédiaire, incomplètes, inabouties...

Une conception fréquente qui fait obstacle à la compréhension de l'évolution ?

Les conceptions des élèves sont souvent un obstacle à leur compréhension de la science, et particulièremetn de l'évolution: elles sont tenaces, parce qu'elles ont pouvoir explicatif suffisant dans la vie quotidienne. Croire que l'homme descend "du singe" est pleinement satisfaisant pour comprendre les journaux (Exemple : Tribune de Genève, Article sur Darwin 6 Février 09 cf à droite intranet.jpg) Ces conceptions obstacle ont été étudiées par Bachelard, G. (1947) et ont été (en partie seulement) répertoriées : on en trouve de nombreuses dans la base de données de Camacho (2004) Previous Ideas Database . On peut y découvrir par exemple la référence à Dagher, Z. R., & BouJaoude, S. (1997) qui montre que parmi ses étudiants de fin du secondaire, l'idée que l'homme descende "du singe" est plutôt fréquente ( la 8ème par ordre de fréquence décroissante). Les auteurs y discutent comment le dépassement de ces conceptions ne peut pas se faire en ignorant tout ce qui est en dehors de l'approche scientifique, sans une confrontation avec les autres idées sur l'évolution. Mais revenons a cet ancêtre étrange.

La publication des fruits nombreuses années de recherches

Le premier Ar. ramidaus avait été trouvée en 1994 à Aramis en Ethiopie. Avec 35 autres individus de la même espèce et de nombreux autres fossiles permettant de reconstituer le paysage, le climat et l'habitat, ce riche ensemble de fossiles donne une image très précise de la vie de ces anciens hominidés, plus anciens que Lucy d'un bon million d'années. Ayant préparé une belle synthèse, les auteurs ont voulu faire un point sur l'état des leurs découvertes et leurs analyses font l'objet d'une série de 11 publications dans Science : Video: The Analysis of Ardipithecus ramidus--One of the Earliest Known Hominids
Fig 3 : la vidéo montre bien comment Ardipithecus est plus ancien que le chimpanzé et plus proche de nous. CLCA = dernier ancêtre commun avec le Chimpanzé

On y trouve entre autres une vidéo (en anglais) par les chercheurs Tim White et Anrew Hill The Analysis of Ardipithecus ramidus--One of the Earliest Known Hominids Parmi d'autres restes ils ont retrouvé un fossile exceptionnellement complet avec le bassin, les mains et les doigts, ce qui est très rare. Ardi' comme ils l'appellent familièrement, est une femelle et elle n'est clairement pas sur le lignage qui mène au chimpanzé : elle n'a notamment pas la canine impressionnante et d'autres caractéristiques. Tout cela remet bien en question l'idée que nos ancêtres aient passé par un stade troglodytien (Science, 21 November 1969, p. 953) – semblable au chimpanzé. Il est regrettable que les fossiles de chimpanzé soient rares (probablement parce que peu recherchés mais surtout à cause du mode de vie forestiers, un milieu peu favorable à la fossilisation).
Fig.4 Le squelette d'Ardipithecus ramidus reconstitué [img] Cliquer pour le diaporama Source : Science magazine

La main et le pied d'Ardi' sont très différents des autres primates : le pied adapté pour marcher, son bassin large suggèrent une démarche bipède assez redressée sans appui sur le dos des doigts comme le chimpanze. Mais avec un gros orteil opposable il pouvait grimper dans les arbres facilement.

Ancient tale. Experts discuss the find and its importance (10 min).
Fig.5 La main d'Ardipithecus est fine et préhensile. Peu adaptée a la marche en appui sur la main (knuclling) [img] Cliquer pour le
diaporama Source : Science magazine


Fig.6 Le crâne d'Ardipithecus.De petite capacité [img] Cliquer pour le
diaporama Source : Science magazine


Fig.7 Le bassin d'Ardipithecus (image de synthèse) large et court, il es nettement adapté a la marche dressée. [img] Cliquer pour le diaporama Source : Science magazine



Fig.8 La dentition d'Ardipithecus au milieu entre celle de l'humain et du chimpanzé actuels. [img] Cliquer pour le
diaporama Source : Science magazine

L'analyse des pollens et d'autres traces révèle qu'Ardipithecus vivait dans une savane arborée comme celle de la forêt de Kibwezi au Kenya actuel.

Past and present. Ardipithecus's woodland was more like Kenya's Kibwezi Forest (left) than Aramis today.,,CREDITS (LEFT TO RIGHT): TIM WHITE; ANN GIBBONS
Fig.9 Ardipithecus vivait dans une savane arborée comme celle de la forêt de Kibwezi au Kenya (gauche), mais la région est actuellement très sèche.CREDITS (LEFT TO RIGHT): TIM WHITE; ANN GIBBONS

Alors... l'arbre de nos origines ?

Il est tentant, mais plus risqué de présenter un arbre phylogénétique : les branches en affirment très clairement que telle espèce a donné naissance à telle autre : sa force de persuasion visuelle est très grande... Mais c'est aussi trompeur, car faute d'une machine à remonter le temps, un arbre est une interprétation des données disponibles et repose forcément sur des hypothèses. Au fur et à mesure que de nouvelles données viennent s'ajouter aux anciennes il risque d'être bousculé. Ce que ne manqueront pas de railler les créationistes. Ainsi présenter comme des faits ce qui est une interprétation actuelle risque de donner l'impression que la science est bien peu fiable, chaque fois que des nouveaux fossiles permettent une ré-interprétation des liens phylogénétiques. Pourtant les fossiles ne changent pas, leur regroupement assez peu et leurs dates guère non plus; aussi présenter ces données-là communique probablement mieux la progression des connaissances. Une synthèse chronologique est présentée par Science ici Filling a gap. Ardipithecus provides a link between earlier and later hominins, as seen in this timeline showing important hominin fossils and taxa.,,CREDITS: (TIMELINE LEFT TO RIGHT) L. PÉRON/WIKIPEDIA, B. G. RICHMOND ET AL., SCIENCE 319, 1662 (2008); © T. WHITE 2008; WIKIPEDIA; TIM WHITE; TIM WHITE

Dans une formation continue récente (15 I 09) Prof Alicia Sanchez-Mazas de l'universtié de Genève comparait les données chronologiques d'autrefois (fig.9) et une synthèse récente : on voit que certains groupes ont été subdivisés ou fusionnés autrement, mais surtout qu'on dispose de fossiles bien plus anciens : l'accroissement de données et la stabilité des groupes bien étudiés est manifeste.

Fig.10 une chronologie datant de plusieurs années [img] et une chronologie actuelle [img] La comparaison montre bien l'accroissement des données et la stabilité de certains groupes bien établis. Source : Galliot B, Formation Continue , 15. I 09 Genève

La science : donner l'interprétation ou interpréter les données ?

De manière générale, montrer des illustrations proches des données et faire leur interprétation soi-même est probablement plus faire de la science que d'en montrer les conclusions toutes cuites... Montrer comment les connaissances évoluent aide a comprendre que si la science tâtonne et hésite, elle avance quand même à la longue. Tout commentaire est bienvenu.

Sources

Une version complète de la news de Science et les articles d'origine sont disponibles disponibles gratuitement. Pour participer à une discussion dans Facebook avec Ann Gibbons, allez voir la page Facebook de ScienceNOW.

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