Le réchauffement climatique décale les signes du printemps.
Un article récent de
Science, Körner C. et al.(2010)
Phenology Under Global Warming par des chercheurs de l'université de Bâle, discute des différentes manières dont le réchauffement influence l'éclosion et la floraison de diverses espèces. Ils montrent comment selon les plante, on n'a pas un simple décalage, mais qu'on risque une désynchronisation entre l'éclosion des bourgeons ou des fleurs et les conditions saisonnières ou le développement des autres espèces. En particulier cela dépend de si leur développement printanier est déclenché par l'accroissement de la température, l'accroissement de la température mais après une période de froid, ou l'allongement de la durée du jour. Beaucoup d'arbres sont donc peu sensibles à la température pour le démarrage de leur croissance et on ne devrait pas s'attendre à un allongement de la période de végétation ni une absorption accrue de CO
2 directement liée au réchauffement climatique.
Chaton de saule et gouttes. On peut y voir un bonhomme. Photo : F.Lombard
La phénologie : un regain d'intérêt depuis que le climat est menacé.
L'éclosion, la floraison, le sénescence sont étudiés depuis longtemps par les naturalistes (
cf plus bas pour des formations par les Naturalistes Romands) c'est la phénologie. Pour Körner C. et al . (2010) avec la modification du climat ces études suscitent un regain d'intérêt. Ils citent des études qui montrent qu'aux latitudes moyennes les évènements printanniers sont anticipés de 2.5 jours par décennie depuis 1971 (A. Menzel
et al.2006). Ils étudient en particulier l'allongement de la période de végétation dont l'influence sur la production végétale est important. Depuis 50 ans, on observe une prolongation de la période de végétation de 13.3 jours. Due plutôt à l'apparition plus hâtive des signe phénologiques du printemps, selon Defila, C., & Clot, B. (2001). D'autres études citées par Thomson, D. J. (2009) mentionnent que certaines migrations sont avancées d'un mois.
Différentes façons de réagir au changement climatique
Körner C. et al.
(2010) discutent des indices qui déclenchent le démarrage de différentes espèces après l'hiver. La photopériode contrôle l'induction (la formation hivernale des bourgeons), les méristèmes d'abscission des feuilles, et la résistance au gel) ainsi que la sortie de la dormance, le démarrage de la croissance, et des évènements reproducteurs, comme la floraison synchrone. La température joue un rôle modulateur et déclenche le progrès
visible de la phénologie, comme la coloration des feuilles chez plusieurs espèces.
Fig 1 : [img] Le contrôle du développement printanier est basé sur la température pour certaines espèces comme le lilas (Syringa), d'autres comme le charme (Carpinus) ne deviennent sensibles à la température qu'une fois leur exigence de froid satisfaite. Enfin d'autres comme le Hêtre (Fagus) sont contrôlées par la photopériode. Source : Körner C et al. (2010).
Le contrôle du développement printanier de plusieurs espèces des régions chaudes comme le lilas (
Syringa), est principalement basé sur la température, mais des espèces natives de début de succession (cf fig 2) comme le charme (
Carpinus) ne deviennent sensibles à la température qu'une fois leur exigence de froid satisfaite. Les espèces qui viennent en fin de succession (cf fig 2) comme le Hêtre (
Fagus) sont contrôlées par la photopériode et la température n'a qu'un effet modulateur limité une fois la longueur du jour critique atteinte. Ce mécanisme empêche ces espèces de germer au "faux" moment.
Fig 2 : Diverses espèces se succèdent vers le climax . source MICHIGAN FORESTS FOREVER TEACHERS GUIDE
La progression des signes phénologiques est-elle représentative ?
Selon Körner C. et al.
(2010) certaines études qui montrent un avancement régulier du démarrage printanier devraient être mises en perspective ne sont pas forcément représentatives de l'ensemble des espèces. La fameuses série du marronnier de la Treille à Genève (cf fig. 4) dans laquelle on a mesuré l'éclosion du premier bourgeon depuis 1818 est la (une des ?) plus longue série phénologiques.
Fig 3 : Le marronnier de la Treille à Genève : On y observe la date d'éclosion du premier bourgeon depuis 1818. [img] Source : Francina-mycologie Ces données indiquent clairement un démarrage de plus en plus hâtif (cf fig. 3). Mais les auteurs notent que le marronnier est une espèce exotique sub-méditerranéenne qui est sensible à la température bien plus que la plupart de nos espèces locales. En conséquence selon Körner C. et al.
(2010) elle pourrait plutôt indiquer un réchauffement de la ville a pas forcément un démarrage plus hâtif de toute la végétation locale.
Fig 4 : La date d'éclosion du premier bourgeon du marronnier de la Treille à Genève : une des plus anciennes série phénologiques. Elle pourrait révéler surtout le réchauffement de son environnement citadin lié à l'industrialisation. [img] Source : Defila, C., & Clot, B. (2001)
Un décalage inégal et un déséquilibre pourraient en résulter.
Pour les auteurs les espèces des forêts mûres proches du climax (
late successional species cf fig 2) sont moins sensibles à la température et on ne devrait pas s'attendre a beaucoup d'allongement supplémentaire de la période de végétation, ni hélas à une absorption accrue du CO2 qui en serait le corollaire. D'autres espèces opportunistes et de nombreuses plantes ornementales issues de régions chaudes pourraient effectivement "suivre" le réchauffement en démarrant plus tôt. Ainsi, on n'a pas un simple décalage de toute la végétation en bloc, mais on risque une désynchronisation entre l'éclosion des bourgeons et des fleurs de certaines espèces et d'autres. Cela pourrait donner à ces espèces un avantage compétitif. Et d'autres déséquilibres du sol pourraient aussi résulter de ce décalage. Si je comprends bien cela signifie que les forêts sont plus menacées que les fourrés, les lisières et les prés. Aussi qu'il pourrait y avoir des déséquilibres entre l'éclosion de certaines espèces et la végétation.
Chez les migrateurs aussi des désynchronisations problématiques.
Both, C. et al. (2006)
ici ont montré que chez un oiseau migrateur, le Gobemouches noir (
Ficedula hypoleuca) ce décalage fait qu'ils arrivent trop tard dans leurs territoires du Nord, et que le pic d'abondance de nourriture pour nourrir leurs petits est déjà passée dans plusieurs régions où ce pic est hâtif et les populations de Gobemouche noir ont y chuté de plus de 90%. Ils disent que ce cas doit être fréquent et prédisent des diminutions de populations nombreuses si le réchauffement continue. Le cas a aussi été étudié en suisse romande où la situatiuon semble plus nuancée
Ravussin, P.A., Arrigo, Daniel. (2010)
Fig 5 : Le Gobemouche noir. [img] Source :Animal Diversity Web Michigan Science Art (copyright holder)
Ces problèmes de décalage sont aussi mis en évidence pour de nombreux autres cas par Walther, G.-R., et al. (2002) dans un
review (
intranet.pdf).
La vulgarisation "sensationnalise" mais n'explique pas...
La presse scientifique de vulgarisation fait état de l'avancement du démarrage printanier (cf G-H D. (2006)
[img intranet]) ou mentionne ce décalage entre espèces (cf D.O. (2010)
[img intranet]), mais ne donne pas le cadre permettant de comprendre et de mettre en perspective. On a des conclusions qui ne peuvent qu'être acceptées ou rejetées, sans accès aux données et aux connaissances qui leur donnent du sens et permettent d'en comprendre la portée.
La vulgarisation, la formation du citoyen et PISA
Si on a l'ambition de rendre le citoyen capable d'"identifier les questions, et de tirer des conclusions basées sur des données afin de comprendre et de prendre des décisions." (C'est à peu près ce que PISA se propose de tester...) Il faut sans doute lui donner plus que des simples conclusions hors contexte, et lui apprendre à aller au-delà d'un simple appris par coeur...
Et si on veut plutôt aller à la rencontre de la nature plutôt que de s'inquiéter dans des bureaux, cf plus bas les formations Naturalistes Romand
Sources
- Both, Christiaan, Bouwhuis, Sandra Lessells C. M. & Visser Marcel E. (2006) Climate change and population declines in a long-distance migratory birdNature 441, 81-83 (4 May 2006) | doi:10.1038/nature04539; Received 17 October 2005
- Defila, C., & Clot, B. (2001). Phytophenological trends in Switzerland. International Journal of Biometeorology, 45(4), 203-207. Extraits intranet.pdf
- D.O. (2010) Les espèces invasives sont les mieux armées pour faire face aux changemetns climatiques. Science et Vie avril 2010 p. 42 Extraits intranet.pdf
- G-H D. (2006) En Europe le printemps est de plus en plus précoce Science et Vie Novembre 2006 Extraits-intranet.pdf
-
Körner Christian,
Basler, David.
(2010). Phenology Under Global Warming Science 19 March 2010:Vol. 327. no. 5972, pp. 1461 - 1462DOI: 10.1126/science.1186473
-
Menzel A.
et al.,
Glob. Change Biol. 12, 1969 (2006).
[CrossRef]
- Miram, W., & Scharf, K. H. (1998). Biologie des molécules aux écosystèmes. Lausanne: LEP Loisirs et pédagogie.
-
- Ravussin, P.A., Arrigo, Daniel. (2010) Le Gobemouche noir Ficedula hypoleuca en Suisse romande : victime du réchauffement climatique ?(intranet.pdf)
- Thomson, D. J. (2009). Climate change: Shifts in season. Nature, 457(7228), 391-392. doi:10.1038/457391a
- Walther, G.-R., Post, E., Convey, P., Menzel, A., Parmesan, C., Beebee, T. J. C., et al. (2002). Ecological responses to recent climate change. Nature, 416(6879), 389-395. (intranet.pdf).
Chers curieux de nous lire,
Au menu de cette petite bafouille printanière, outre nos vœux de joyeuses jonquilles, nous vous proposons uneFormation Naturaliste 2010,distillant des cours de sciences naturelles pour tous. Les outils du naturaliste sont désormais à portée de loupe.
Trois associations se sont acoquinées avec malice pour proposer cette formation: L'Association des Amis du Jardin Botanique de Genève (AAJB), LesNaturalistes Romandset ProNatura Genève. Ces trois associations, à la vulgarisation joviale et pertinente, mettent leurs compétences en commun pour que tout le monde puisse aborder différents domaines naturalistes, que ce soit, par exemple, les identifications des plantes à fleurs, des lichens ou des ossements de pelotes de réjection. Plus besoin d'être biologiste pour avoir accès aux cours de sciences naturelles (mais les biologistes y ont-ils encore accès ?).
En espérant vous y voir lorgner un de ces jours, je vous souhaite une belle visite de la nouvelle école des curieux et, tant qu'on y est, un printemps tapageur.