vendredi 9 avril 2010

Le code-barre pour la détermination en botanique ?

Identifier une plante par un scanner à code-barre ?

Pas encore... mais peut-être bientôt cf fig. 1b) Cressey,Daniel. (2010) rapport dans Nature News qu'une étape décisive a été réalisée en vue de déterminer le code-barre de toutes les espèces végétales de la planète : un consensus se dessine pour les 2 loci (gènes) sur lesquels se baser, une méthodologie établie et une base de données de référence a été mise en place.

Binz & Thommen se retourneraient dans leur clé de détermination, Landolt peut-être aussi...

Pour beaucoup d'entre nous déterminer en botanique veut dire s'accroupir dans la nature, sortir sa loupe, son guide de détermination (la Binz et Thommen lors de mes études) et commencer à compter les étamines ou examiner la découpe des feuilles pennatiséquées à pennatilobées pour suivre la clé de détermination. Ardu, efficace mais une efficacité qu'il fallait mériter par un long apprentissage et une exigence méticuleuse de précision. Pas pour les rêveurs...

determiner les plantes à l'ancienne ? code-barre-bio-informatique : possible un jour ?
Fig 1 : Une botaniste détermine les plantes dans la nature à l'aide d'un guide a)[img] Photo F. Lombard ... et peut-être à l'aide d'un micro-séquenceur dans le futur ? (il s'agit d'une anticipation possible selon le Consortium for the Barcode of Life (CBOL) . b)[img]Source: CBOL.

Chez les animaux déjà...sequences de 3 primates pour CO1

On détermine depuis quelques temps les espèces animales à partir de séquences d'ADN, et plus seulement sur la base de critère morphologiques. Selon Stoeckle, Mark et al. (2008), on les détermine même avec une seule séquence : le gène mitochondrial de la cytochrome c oxidase subunit 1 (CO1 en abrégé) qui fait 648 paires de bases et peut être séquencé en un seul fragment par les séquenceurs classiques. Il s'agit en fait d'une simple séquence d'ADN, et pas du tout d'un vrai code-barres. Mais l'expression est beaucoup utilisée à cause de son pouvoir évocateur : on peut imaginer un jour une sorte de lecteur manuel qui permettrait de lire la séquence et de déterminer l'espèce sur un simple fragment.

Fig 2 : Pour les animaux le gène de référence est un gène mitochondrial CO1 . [img] Source: American Scientific

Pour les végétaux un consensus n'était pas encore trouvé.

Pour les végétaux, parce que la prétendue "barrière des espèces" est franchie fréquemment et que les hybrides abondent, (Stoeckle, M. et al. 2008) la situation ne pouvait pas être traitée de la même manière. Un groupe de 52 auteurs (Hollingsworth, P. M. et al. 2009) publie un article définissant la manière d'établie le code-barre et proposant une base de données de référence au Consortium for the Barcode of Life (CBOL), basé au Smithsonian National Museum of Natural History à Washington DC.

flower Fig 3 : En fait le terme de "code-barre" est une métaphore : il s'agit en réalité de séquences classiques d'ADN. [img]Source : Wikimedia Commons .

Après avoir exploré par PCR et séquençage les 7 régions candidates dans les plastides parmi 907 échantillons, représentant 445 angiospermes, 38 gymnospermes, et 67 cryptogames, Stoeckle, M. et al. (2008) recommandent que le code-barre soit basé sur 2 régions (des parties de gènes codants) : rbcL et matK. Il y avait des difficultés à déterminer les primers pour certains, ou leur pouvoir discriminant était restreint. D'où le choix de ces séquences. Elles ont permis de déterminer une identification unique de 72% des espèces testées et d'identifier le groupe d'espèces correct pour le reste.

Des outils déjà accessibles

Plusieurs projets attendaient qu'un consensus s'établisse, pour commencer à entrer dans les bases toutes les plantes possibles, et il semble que ces projets pourront démarrer. Comme par exemple The Barcode of Life Data Systems (BOLD) qui offre déjà un moteur d'identification : vous entrez la séquence et il détermine l'espèce. Accessible à tous par une simple connexion internet,
dfsbold ids
s
BOLD-IDS provides a species identification tool that accepts DNA sequences from the barcode region and returns a taxonomic assignment to the species level when possible. s

Que pourra-t-on faire avec ces code-barres ?

Il y a de nombreux potentiels selon (CBOL), Barcoding Life Illustrated PDF :
  • On peut déterminer la plante même si elle est en petits fragment. (cf fig 4)
  • On peut déterminer tous les stades de vie de la plante. Souvent la détermination repose sur la fleur, ou le fruit, Linné l'avait bien décoouvert.
  • On peut distinguer des espèces très similaires
  • On obtient une définition sans ambigüité de l'espèce
  • On peut affronter l'immense tâche de déterminer des millions d'espèces encore à identifier.
  • On rend accessible l'expertise : les experts en botanique ent en voie de disparition, les code-barres promettent de rendre accessible a des non-spécialistes la détermination.
  • On rend possible un appareil automatique Life Barcoder cf fig 1b)
  • On développe la taxonomie : on devrait découvrir de nouvelles espèces et sans doute de nouveaux groupes taxonomiques.

Asahina and colleagues analyzed rbcL and matK from 12 samples representing 5 Dendrobium sp. and 3 hybrid cultivars whose genetic histories are uncertain.Dendrobium nobile

Fig 4 : Comment reconnaitre cet échantillon de plante ? ...le code-barre devrait le permettre. [img]Source Rockefeller University

Des usages dans la vie de tous les jours?

Au-delà de la recherche, on peut imaginer des usages très pragmatiques de cette technique en général – et pas seulement pour les plantes – selon Stoeckle, M. et al. (2008) : application au monde réel du code barre
Fig 5 : Des usages dans la vie de tous les jours pour le code-barre [img]
Source: American Scientific
  • Pour qu'un employé des services de santé puisse déterminer sur le terrain les espèces de moustique porteurs d'agents pathogènes, afin de prendre les mesures adéquates
  • Pour déterminer si le poisson servi est bien l'espèce annoncée dans un restaurant.
  • Pour que les agriculteurs puissent déterminer quel ravageur envahit leurs champs afin d'agir plus spécifiquement.
  • Pour que les douaniers puissent identifier les espèces autorisées ou interdites sur la base d'un simple fragment par exemple.
  • Pour que le personnel médical puisse identifier rapidement les agents pathogènes, parasites, mycoses, etc.
  • Pour que les agents de sécurité puissent vérifier l'importation de nourriture potentiellement porteuses de maladie (viande de mouton dans le cas de la fièvre aphteuse, p.ex.)
  • les musées pourraient déterminer rapidement de nombreux spécimen dans les fonds de cave.
Par exemple la Fédération Romande des Consommateurs a fait un dossier (img) sur les poissons vendus sous des appellations fausses : des techniques basées sur l'ADN (pas le séquençage, la PCR et l'empreinte, mais on peut imaginer qu'on va glisser vers le séquençage aussi là) ont été employées

Faut-il forcément adapter en classe toutes les dernières avancées de la science ?

Pour Rumelhard, G. (1995) il faut oser "le refus du fétichisme de la modernité, de la recherche du savoir le plus récent trop souvent couplé au prophétisme des découvertes à venir; " pour permettre -" le recul de l'histoire et de la mémoire qui mettent le présent en perspective, en permettant d'apprécier un devenir sur un temps long et un rythme lent, celui des concepts ; -la distance par rapport à l'urgence de l'intervention technique et sociale, permettant la mise en question critique des savoirs et de leur fonctionnement individuel et social ; " Ici on insiste sur l'importance du recul et de la mise en perspective nécessaire pour une gestion mûre de l'information.

Faut-il ignorer superbement tout changement de la biologie en se référant aux "base fondamentales" ?

On n'est pas obligé d'être dans une adhésion bavante au progrès pour envisager l'évolution des enseignements. Sinon on n'enseignerait pas l'ADN, l'immunologie ou la génétique moléculaire. Simplement ignorer l'évolution de la discipline n'est donc pas une option non plus. Pour le rapport BIO2010 du NRC (2003) " La manière dont on forme les biologistes est empreinte du passé, pas de la biologie actuelle ou du futur. Comme la recherche en biosciences l'éducation doit être transformée pour préparer efficacement les étudiants pour al biologie du futur." Trad personnelle. Ce texte se réfère plutôt à la biologie du secondaire II et à l'uni, mais certains se demanderont si la biologie offerte à la majorité des élèves les prépare efficacement à être des citoyens responsables dans le monde qui les attend.

Quelle conséquences en classe ?

On peut noter encore une fois la généralisation des approches BIST (ou infobiologie) où l'ADN est plus vue comme une information qu'une molécule. Au-delà, on peut voir se dessiner pour la majorité des usagers futurs (les non-botanistes) une approche renversée de la taxonomie : on trouve le nom de l'espèce d'abord et on va la situer dans une taxonomie de référence comme Uniprot Taxonomy. A l'heure de l'établissement d'un nouveau programme d'étude PER on ne peut pas éluder une réflexion sur les applications -en complément peut-être - d'une approche inversée en classe : partir de l'espèce vers une taxonomie de référence. Comme nous formons une majorité de NFB (Non-Futur-Biologistes), apprendre à se situer dans cette taxonomie et pas toujours ou pas forcément tenter d'appréhender l'ensemble aurait-il du sens dans certains cas ?

La biologie change... son enseignement aussi

Leontopodium alpinum je pense....Ce qui est sûr c'est que notre discipline fait preuve d'une vigueur et d'une dynamique qui se répercute jusqu'en classe. Peu d'autres disciplines peuvent dire à leurs élèves : ce que je vous enseigne là est nouveau et je ne l'enseignais pas il y a 5 ou 10ans, on ne le connaissait pas encore il y a 15 ans ! Dans certains chapitres les plus anciens - pardon les plus expérimentés -de nous enseignent des savoirs qu'ils n'ont pas appris à l'université - ils n'étaient pas connus - sur plus de la moitié du chapitre de génétique moléculaire, d'immunologie, ou même de physiologie.

Fig 6 : Leontopodium alpinum je pense.... [img] Photo
:F. Lombard

Et qui a dit qu'on ne pouvait plus aller dans la nature admirer une plante... même sans la déterminer ?

Sources:

  • Barcode of Life @ Rockefeller university
  • Binz, A., & Thommen, E. (1966). Flore de la Suisse, 3ème Ed: Editions du Griffon, Neuchâtel.
  • Cressey, Daniel. (2010). DNA barcodes for plants a step closer| Nature news 27 July 2009 | doi:10.1038/news.2009.733
  • CBOL Plant Working Group et al. Proc. Natl Acad. Sci. USA published online. doi:10.1073/pnas.0905845106 (2009)
  • Consortium for the Barcode of Life (CBOL)
  • Hollingsworth, P. M. et al. Proc. Natl Acad. Sci. USA published online. doi:10.1073/pnas.0905845106 (2009).
  • NRC ( 2003). BIO2010: Transforming Undergraduate Education for Future Research Biologists (No. ISBN: 0-309-08535-7): National Research Council.
  • Rumelhard, G. (1995). De la biologie contemporaine à son enseignement. M. Develay. Savoir scolaire et didactique des disciplines, 317.
  • Stoeckle, Mark Hebert, Paul. (2008) Barcode of Life Scientific American(Oct 2008) PDF

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