Le vol en "V" des oiseaux migrateurs nécessite une très précise coordination : confirmé !
Le vol en V de nombreuses espèces migratrices est bien connu, et on pensait depuis longtemps que cette disposition réduit l'effort de chacun des oiseaux suiveurs. Cela paraissait difficile et n'avait jamais été confirmé, et une équipe de chercheurs a profité d'un programme de réintroduction de l'ibis chauve (Geronticus eremita) pour équiper ces oiseaux d'enregistreurs GPS et d'accéléromètres qui mesurent les battements d'aile. L'analyse des données montre que les oiseaux arrivent à se maintenir à l'endroit optimal, juste là où le tourbillon de bout d'aile produit une ascendance, et à synchroniser leur battement pour se maintenir dans cette petite zone favorable. Cela n'écarte pas forcément les autres hypothèses (protéger contre les prédateurs, mettre les meilleurs navigateurs devant pour guider …).Fig. 1: Nature a fait une vidéo du projet avec des magnifiques images depuis un ULM qui accompagne la première migration de ces oiseaux réintroduits et donc naïfs quand a ce trajet. [img] source Wald, C. (2014).
Un tout petit remous porteur invisible et pourtant ils s'y accrochent…
Le vol en V de nombreuses espèces migratrices est bien connu, et on pensait depuis longtemps que cette disposition réduit l'effort de chacun des oiseaux suiveurs. On voit l'oiseau de tête être remplacé à intervalles réguliers Des mesures avaient déjà confirmé une réduction de la fréquence cardiaque et des battements d'aile chez le pélican (Weimerskirch, H., 2001), et donc que les oiseaux arrivent effectivement à réduire leur effort de vol dans cette configuration. Tout cela suggère bien sûr une efficacité accrue d'être dans le sillage d'un autre, et on pense au peloton de cyclistes. Pourtant à y regarder de plus près on voit que le cas n'est pas aussi simple. Si dans le peloton chaque cycliste est derrière d'autres - dans de l'air qu'ils ont mis en mouvement- et subit donc moins de frottements, l'aérodynamique du vol n'est pas si simple ! En effet, juste derrière un oiseau en vol l'air est plutôt descendant (cf. fig. 2 en rouge) et ce n'est que vers la pointe des ailes qu'un tourbillon - le Vortex - produit une petite zone ascendante (cf. fig. 2 en bleu) qui se déplace avec le battement d'aile.Fig. 2 : Juste derrière un oiseau en vol l'air est plutôt descendant (en rouge) et il n'y a que vers la pointe une petite zone ascendante (bleu) qui se déplace avec le vol. [img] source Portugal et al. (2014)
En simplifiant pas mal, ce vortex est causée par la différence de pression de l'air au-dessus de l'aile (pression réduite qui cause l'essentiel de la portance) et au-dessous de l'aile ( pression accrue qui cause une petite partie de la portance). Cette différence de pression cause une remontée de l'air juste sous le bout de l'aile aspiré vers le dessus, ce qui produit le tourbillon conique appelé vortex. Une petite zone sur le le côté externe de ce vortex est donc ascendant.
Fig. 3: Nature a fait une vidéo sur la base de cet article : elle met en évidence la synchronisation nécessaire. [img] source Wald, C. (2014).
Pour en profiter, il faut donc que l'oiseau suiveur réussisse à placer très précisément le bout de son aile dans cette zone et la suive en battant de l'aile de manière synchrone. Cela paraissait difficile et n'avait jamais été confirmé, aussi une équipe de chercheurs à Hatfield en Grande-Bretagne mené par S. Portugal (ben oui on peut pas tous s'appeler Hollande…) a profité d'un programme autrichien de réintroduction de l'ibis chauve (Geronticus eremita). Cela impliquait qu'un ULM accompagne dans leur première migration ces oiseaux réintroduits et donc naïfs quand à ce trajet. Ils ont équipé ces oiseaux d'appareils enregistrant (dataloggers) des données provenant de capteurs GPS permettant de repérer la position relative des oiseaux en vol et d'accéléromètres qui mesurent les battements d'aile.
Fig. 4 : c: L'ibis se maintient le plus souvent (rouge) dans la zone la plus favorable pour profiter de l'ascendant de son prédécesseur. [img] source : Portugal, 2014
L'analyse de ces données montre qu'en effet les oiseaux arrivent à se maintenir à l'endroit optimal le plus souvent (cf. fig 4 c).
L'article complet analyse aussi comment dans d'autres positionnements, les oiseaux adoptent un déphasage différent (vol en inversion de phase juste derrière un congénère, p.ex.). L'article complet est ici :
- Portugal, S. J., Hubel, T. Y., Fritz, J., Heese, S., Trobe, D., Voelkl, B., … Usherwood, J. R. (2014). Upwash exploitation and downwash avoidance by flap phasing in ibis formation flight. Nature, 505(7483), 399‑402. doi:10.1038/nature12939 (les membres Expériment@l peuvent obtenir cet article…)
Les promeneurs synchronisent également leurs pas et les couples aussi , mais à l'envers …
Selon Desmond Morris, les promeneurs qui discutent ensemble marchent de manière synchrone (avançant leurs pieds droit en même temps, puis leurs pieds gauche) permettant le mouvement simultané de haut en bas du tronc et donc la stabilité visuelle des visages qui se regardent. Par contre les couples qui se tiennent par la hanche marchent serré adoptent spontanément une démarche inversée où les deux jambes externes avancent en même temps puis les deux internes, ce qui limite les frottements des hanches.
Le millenium bridge montre combien nous détectons de subtils mouvements et adaptons nos pas
Fig. 5 : le millenium bridge qui s'est mis à balancer au pas des piétons [img] source : David E Newland
Un pont construit à Londres pour fêter le millénaire (millenium bridge) s'est mis à osciller latéralement (amplitude de 50-75 mm à 0.8-1 Hz) le jour de son inauguration avec plus de 1000 personnes. On n'avait pas prévu que les balancements de coté lors de la marche des piétons se synchroniseraient spontanément au mouvement de coté du pont et amplifieraient l'oscillation de la structure qui est entrée en résonance. On a d'abord limité le nombre de personnes à la fois puis le pont a été fermé par sécurité jusqu'à ce qu'on comprenne ce qui s'est passé.
Fig. 6 : le millenium bridge est un système oscillant latéralement avec le ré-équilibrage latéral de la marche des piétons [img] source : Strogatz, S. H., et al (2005) (ici)
- le phénomène est résumé ici Millennium Bridge wobble explained (ici) (les membres Expériment@l peuvent obtenir cet article…)
- un article plus approfondi : Strogatz, S. H., et al (2005) Theoretical mechanics: Crowd synchrony on the Millennium Bridge (ici) (les membres Expériment@l peuvent obtenir cet article…)
- Vidéo du pont qui se met à balancer youtubeCes deux exemples suggèrent que les humains aussi synchronisent leurs mouvements en fonction des déplacements autres, sans en avoir conscience et sans effort apparent.
Un modèle de l'enseignement ?
En observant les magnifiques vols des migrateurs dans le ciel, nous aurons une pensée pour les subtils mécanismes de perception des autres qui permettent cette synchronisation, une sorte de connivence dans le mouvement...Ce vol en formation pourrait être une belle métaphore d'une forme d'enseignement où l'enseignant-e avance dans les espaces magnifiques du savoir et l'élève doit le suivre juste à la bonne distance pour bien profiter de l'ascendance. Vygotsky, L. (1978) parle de Zone proximale de développement (ZPD)…
Ce que cette métaphore révèle aussi est la difficulté pour chaque élève - dans sa différence - de suivre juste dans le sillage de l'enseignant…
Cela pose aussi la question de l'autonomie de l'élève …
Ceux d'entre vous qui sont près de Genève pourront profiter des animations sur le thème du vol des oiseaux justement …
Les oiseaux sous le signe du vol … au musée
Le rêve d'Icare
Mois du film documentaire du Muséum, 10e édition du 1er au 26 février 2014
Pour sa 10e édition et dans le cadre de l'exposition Oiseaux, le Mois du film documentaire du Muséum est sous le signe du vol. Du 1er au 26 février 2014, dans la salle de conférence du Muséum d'histoire naturelle de la Ville de Genève, 33 séances gratuites sont au programme pour découvrir une sélection de documentaires scientifiques et de dessins animés, mais aussi de films sur les sports de l'extrême. La palette des 18 films projetés va du dessin animé Rio à des films célèbres comme La marche de l'empereur en passant par des documentaires plus confidentiels tels que Colibris, joyaux de la nature. Côté sport, Yves Rossi, l'homme oiseau, et Félix Baumgartner, avec son incroyable record, sont à l'honneur.
Ce programme aérien a été concocté par le Muséum et le Service des sports de la Ville de Genève.
Durant la première quinzaine du Mois du film, le public est invité à désigner le film scientifique et le film sportif qu'il préfère. Les réalisatrices et réalisateurs lauréats recevront le Janus d'or, une statuette à l'effigie de la célèbre tortue à deux têtes du Muséum.
Le Mois du film documentaire de février du Muséum se déroule depuis 2005 avec des thématiques aussi variées que les baleines, les insectes, les dinosaures ou les volcans.
Tout public. Gratuit.
Sources :
- Muijres, F. T., & Dickinson, M. H. (2014). Bird flight: Fly with a little flap from your friends. Nature, 505(7483), 295‑296. doi:10.1038/505295a
- Precision formation flight astounds scientists : Nature News & Comment. http://dx.doi.org/10.1038/nature.2014.14537
- Portugal, S. J., Hubel, T. Y., Fritz, J., Heese, S., Trobe, D., Voelkl, B., … Usherwood, J. R. (2014). Upwash exploitation and downwash avoidance by flap phasing in ibis formation flight. Nature, 505(7483), 399‑402. doi:10.1038/nature12939
- Sanderson, K. (2008). Millennium Bridge wobble explained. Nature News. doi:10.1038/news.2008.1311
- Strogatz, S. H., Abrams, D. M., McRobie, A., Eckhardt, B., & Ott, E. (2005). Theoretical mechanics: Crowd synchrony on the Millennium Bridge. Nature, 438(7064), 43‑44. doi:10.1038/43843a
- Vygotsky, L. (1978). Mind in society : The development of higher psychological processes.
- Wald, C. (2014). Precision formation flight astounds scientist. Nature. doi:10.1038/nature.2014.14537
- Weimerskirch, H., Martin, J., Clerquin, Y., Alexandre, P., & Jiraskova, S. (2001). Energy saving in flight formation. Nature, 413(6857), 697‑698. doi:10.1038/35099670