La science s'intéresse aussi aux questions irrévérencieuses ! Alors même que leur attitude face à la science reste assez positive dans le temps, on voit les attitudes des élèves fléchir face à l'apprentissage des sciences à l'école entre le primaire et la fin du secondaire. Pour (Venturini, 2007) on n'a donc pas une crise, mais une attitude plus critique des jeunes. A l'école le constat est plus alarmant :
"Ainsi, l'attitude envers les sciences à l'école n'est pas très bonne [...]. L'attitude envers les sciences se détériore au fur et à mesure que l'élève avance dans son cursus scolaire, particulièrement après son entrée dans l'enseignement secondaire, en raison de l’abstraction croissante des contenus. L'enseignement des sciences est alors jugé peu attrayant, difficile, souvent théorique, trop fragmenté et décontextualisé. (Venturini, 2007) p. 133-134
S'il est impensable de renoncer à la rigueur, constitutive de la science, on peut chercher des moyens de montrer le sens, la saveur et le plaisir que peuvent procurer les outils pour comprendre le monde que la science propose. Aborder la science avec humour et légèreté... pourquoi pas : nous allons entrevoir certaines pistes peu conventionnelles. Chacun jugera de l'opportunité de ces approches. Quelques auteurs ont abordé la science avec humour, ou de manière décalée par le biais de ces questions très personnelles et souvent impertinentes que parfois les élèves nous posent !
Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds?
New Scientist (2007).
Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds? : Et 111 autres questions stupides et passionnantes.
"La science sans humour ni controverse est comme un jour sans soleil." New Scientist (2007).
Un ouvrage décidément peu sérieux rassemble de très nombreuses questions et les réponses des lecteurs. Aucune validation des réponses mais pourtant bien du plaisir à les lire ! Un exemple : "Suis-je en train de respirer une des molécules d'air du dernier soupir de Léonard de Vinci
*? " A recommander à ceux qui sont curieux, que les questions font sourire et ne sont pas angoissés par l'absence de réponse définitive. La science n'est-elle pas faite d'hypothèses courantes ? C'est du moins ce que pense Desmond Morris (1980) "Sa grande qualité était l'aptitude à goûter l'étrangeté qui marque l'esprit des véritables chercheurs."
Dans l'ouvrage
Mais qui mange les guêpes ? qui lui fait suite on trouve aussi de belles questions comme :
- Pourquoi les vaches ne peuvent-elles pas descendre les escaliers ?
- Qu'est-ce qui cause le bruit des doigts, ou autres articulations, qui craquent?
- Pourquoi la morve est verte ?
Certaines réponses figurent plus bas : -)
Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent ?
Dans une veine aussi curieuse et un peu plus impertinente, un ouvrage récent met en scène des plantes dont les adaptation au milieu interagissent avec nous de manière désagréable ou surprenante, suscitant des réactions assez amusantes.
Hignard, L., Pontoppidan, A., & Le Bris, Y. (2008). Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent. Une trentaine de plantes groupées par stratégies pour "se défendre" : mauvaise odeur, sécrétion collante ou baveuse, armes tranchantes, etc.
Par exemple l'ortie qui pique, le pissenlit ou la chelidoine qui saignent, bien illustré et accompagné d'anecdotes (le latex de la chélidoine contre les verrues : un photosensibilisateur, ou la bardane à partir de laquelle le Suisse De Mestral a inventé le Velcro (cf
Fig 1 : un exemple de page de l'ouvrage : Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent. Cet ouvrage cède délicieusement à la tendance qu'ont les humains à imaginer des intentions (cf
Bio-Tremplins du 29 V 09) similaires aux leurs dans les objets, les plantes et les autres animaux : l'anthropomorphisme
"Savez-vous pourquoi il ne faut pas anthropomorphiser les animaux ? "
Réponse : ils n'aiment pas ça ! : -)
Cette question à l'humour assez
british est issue d'une émission de la BBC ;
The Naked Scientists Des questions provocantes et des réponses sérieuses...
Un programme de la BBC :
The Naked Scientist diffuse régulièrement par
podcast une émission scientifique franchement irrévérencieuse, avec un ton très "
fun" que Rabelais n'aurait peut-être pas désavoué s'il vivait actuellement. Il fallait oser,
ils l'ont fait !
Les animateurs de cette émission – des scientifiques – parmi des brèves très sérieuses de l'actualité scientifique comme
l'immunité contre le cancer ou la
vision sur tout le corps des pieuvres n'hésitent pas à aborder aussi avec rigueur ces questions provocantes que les ados aiment bien poser. Des questions issues de leur curiosité, du désarroi suscité envers le monde par leur corps en changement ou simplement pour tenter de désarçonner ces adultes contre lesquels ils se définissent... La langue anglaise de ce site est évidemment un problème, mais on peut s'en inspirer et traduire les plus intéressants.
Ils ont étudié dans "
Question of the Week" par exemple :
- Pourquoi un pigeon hoche la tête en avançant. (vidéo)
- Si un cycliste plus lourd descend plus vite en roue libre ici
- Si un jeans retient les bactéries lors de l'émission de flatulences, ici
- Pourquoi les matières fécales sont de couleur brune malgré une alimentation aux couleurs variées... voir plus bas
- ...
Des expériences à faire à la maison, très simples et amusantes
- Comment le pop-corn explose ici
- Comment peser l'atmosphère avec un pèse-personnes ici
- Comment un oeuf peut tomber sans se casser et comment illustrer l'effet protecteur de l'amnios ou des méninges. ici
Les causes de la désaffectation des sciences ou de leur enseignement
En effet la recherche a montré que si l'image de la science reste positive, (par exemple seulement 8% des jeunes français de 11 à 17 pensent en 2002 que l'utilisation des recherches scientifiques apporte plus de mal que de bien, et ce chiffre est inchangé depuis 1992 (Boy, 2002) in (Venturini, 2007) p. 96 Cependant ceux qui estiment qu'elles apportent plus de bien que de mal ne sont en 2002 plus que 30% contre 40% en 1992). Pourtant 89% des jeunes sont en accord avec l'affirmation que "Les chercheurs travaillent pour le bien de l'humanité" (Postel Vinay, 2002) in (Venturini, 2007) p. 95 L'insatisfaction vis-à-vis de l'enseignement scientifique trouve certainement une partie de ses origines dans la différence entre les sciences attendues par les élèves et celles qui sont enseignées en classe. Les premières sont liées à leur perception des sciences dans la société, utiles, prestigieuses, fascinantes alors que les secondes apparaissent généralement théoriques et décontextualisées, difficiles et ennuyeuses (Osborne et al. 2003, in Venturini, 2007) p.106
... des réponses scientifiques qui pourraient intéresser les jeunes ?
Dans la mesure où le décrochement des jeunes face à la science à l'école se produit durant l'adolescence, c'est peut-être une bonne idée d'aller chercher certains jeunes avec des thèmes qui éveillent leur intérêt. Au fond la science est d'abord une démarche, qui peut tout aussi bien étudier les fluides corporels, les gaz intestinaux et d'autres aspects un peu inconvenants de la physiologie humaine.
Quelques réponses ...
Alors est-ce que je respire une des molécules d'air du dernier soupir de Léonard de Vinci ?
Selon New Scientist (2007) à chaque inspiration, nous ingérons en moyenne cinq des molécules du dernier soupir de léonard .. et tout autant de celui d'autres individus moins recommandables ! Sans doute même quelques-unes que des dinosaures ont respirées !
Pourquoi la morve est verte ?
Selon CJ. van Oss, Département de microbiologie, université de Buffalo, et J.O. Naim, du Rochester General Hospital, New York, dans "Mais qui mange les guêpes ?" Le vert du mucus est dû à la présence d'oxydases et de peroxydases, contenant du fer, utilisées par les granulocytes polynucléaires neutrophiles. Ces globules blancs de courte durée de vie ingèrent avidement toutes sortes de bactéries et les inactivent en les oxydant, ce qui implique les enzymes ci-dessus, contenant du fer. Les déchets du processus (parmi lesquels se trouvent des leucocytes morts, des bactéries digérées et des enzymes) contiennent beaucoup de fer, ce qui leur donne une couleur verdâtre.
Finalement... pourquoi est-elle brune ?
Donc, si les matières fécales sont uniformément brunes, selon
The Naked Scientist du 25 juillet 2009 (
podcast ici) (
texte ici) c'est à cause de la bile, dont la décomposition par les bactéries dans l'intestin produit la stercobilin qui est brune. Selon wikipedia nous produisons 70 à 300 mg de stercobiline par 24 heures. Les antibiotiques peuvent ainsi modifier la couleur des matières fécales en réduisant la flore intestinale et la transformation de bile en stercobiline.
Et pourquoi les gens pètent-ils ? (flatulences)
Voici des extraits d'une
Prolune(Protéines à la Une) par Altairac, Séverine. (2009).
De l'origine des flatulences Le rôle du lactose
"Le lait humain est très sucré et contient 7% de lactose tandis que le lait de vache en renferme à peine 5%. [... Bébé, nous le digérons grâce à l'enzyme lactase]
Pourtant, 70% de la population mondiale voit sa faculté à digérer le lactose progressivement réduire. Généralement ce changement passe inaperçu alors que pour certains, la consommation de produits laitiers prend des allures de cauchemars intestinaux. Douleurs abdominales, ballonnements, flatulences et diarrhées viennent alors hanter la digestion. C’est l’intolérance au lactose. [...] Le lactose est normalement digéré dans l’intestin grêle. Comment ? Les cellules qui tapissent la paroi intestinale portent à leur surface une enzyme, la lactase. Ainsi ancrée sur les cellules, la lactase est directement en contact avec les aliments. Et lorsqu’elle rencontre une molécule de lactose, elle le coupe en deux sucres plus petits – le glucose et le galactose. Le glucose est ‘brûlé’ pour produire de l’énergie tandis que le galactose devient un composant de certains lipides et protéines nécessaires, entre autres, au cerveau."
L'enzyme lactase n'est plus fabriquée chez l'adulte
"Or nous ne fabriquons pas la même quantité de lactase tout au long de notre vie. C’est à la naissance que nous en produisons le plus. Puis dès les premiers mois de vie, son taux commence à décliner pour se stabiliser à son plus faible niveau entre 3 et 5 ans – soit après le sevrage. Que nous continuons ou non à boire du lait, la chute de la lactase est inéluctable dès lors qu’elle est ordonnée et contrôlée au niveau génétique. Cette baisse de la lactase n’est absolument pas un trait propre aux humains ; nous la partageons avec les autres mammifères, du chat au chimpanzé en passant par la baleine et le lion. "
Le lactose n'est pas digéré mais fermenté par des bactéries ...
"Si la lactase déserte progressivement le tube digestif, que devient le lactose de notre verre de lait ? Il glisse jusque au fond de notre intestin grêle, en ressort presque intact, puis poursuit sa descente jusqu’au côlon. Là, nos hôtes les bactéries se chargent d’en venir à bout. Bon nombre d’entre elles contiennent justement de la lactase. Elles vont digérer le lactose mais pas tout à fait de la même manière que les cellules intestinales. Elles travaillent sans oxygène et transforment le lactose en gaz et petits acides gras. C’est le processus de fermentation. Finalement, ces molécules dérivées du sucre sont normalement absorbées par d’autres bactéries. Ces innombrables ouvrières exécutent leur tâche plus ou moins efficacement. Et si les gaz et les acides gras s’accumulent, les symptômes de l’intolérance au lactose peuvent se manifester. Les gaz semblent à l’origine des flatulences et des ballonnements tandis que le passage du lactose le long des intestins est lié à la libération d’eau provoquant la diarrhée. L’intensité des maux digestifs varie d’une personne à l’autre et dépend du sexe, de l’âge mais surtout de la sensibilité intestinale, de la vitesse du transit et de la quantité de lactose ingérée."
Fig 2. La fréquence de la tolérance au lactose chez l'adulte : la répartition corrèle bien avec les populations d'éleveurs (source) Les liens avec l'évolution de la persistance du lactose ont été discutés dans (
Bio-Tremplins 7 X 08)
La composition des flatulences a été étudiée par des médecins
Il semble que la plupart des gaz fermentés sont issus de ces sucres indigestes qui parviennent ainsi au colon et y sont fermentés par des bactéries. Il en résulte de l'hydrogène, du méthane et des sulfures. L'hydrogènes est le principal, et il est en partie absorbé par le sang puis évacué par la respiration. Je présume que cela peut expliquer certaines haleines... Les liens avec la flore intestinale seraient sans doute intéressants (
Bio-Tremplins 5XI08) à explorer En moyenne les gens ont 200ml de gaz intestinal dans l'intestin grêle (plutot que le gros intestin comme on le pensait (Azpiroz, F. 2005) . Selon ce qu'on mange la production est de 200ml/24h et avec des haricots ("
200 g baked beans.") entre 476 et 1491 ml (µ=705 ml). L'hydrogène représente en moyenne 361 ml/24 h et le CO2 68 ml/24 h et des quantités irrégulières de méthane (Tomlin, J et al. 1991). L'égalité des sexes est ici une réalité : les hommes et les femmes produisent les mêmes quantités de flatulences.
On ne résoudra ni l'égalité des chances, ni la désaffectation des études en sciences avec ces articles, mais apporter un peu d'humour, voire avec certains publics une touche bien contrôlée de truculence peut contribuer a donner faire évoluer une image austère de la science à laquelle peu de jeunes s'identifient.
Sources
- Altairac, Séverine. (2009). De l'origine des flatulences. Dossiers Prolune Dossier n°26, mai 2009
- Azpiroz, F Intestinal gas dynamics: mechanisms and clinical relevance Gut 2005 54: 893-895
- Hignard, L., Pontoppidan, A., & Le Bris, Y. (2008). Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent: Gulf Stream.
- Morris, Desmond, 1980, La fête Zoologique, Calmann-Lévy
- New Scientist. (2007). Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds? : Et 111 autres questions stupides et passionnantes (N. Witkowski, Trans.). Paris: Seuil.
- New Scientist, (2005) Mais qui mange les guêpes ? Et 100 autres questions idiotes et passionnantes (N. Witkowski, Trans.). Paris: Seuil.
- Science News The Naked Scientists: Science Radio & Science Podcasts
- Tomlin, J., Lowis, C., & Read, N. W. (1991). Investigation of normal flatus production in healthy volunteers. Gut, 32(6), 665-669.
- Venturini, P. (2007). L’envie d’apprendre les sciences : motivation, attitudes,rapport aux savoirs. Paris: Fabert.
- Wikipedia : article Stercobiline consulté le 10 sept. 09
- Wikipedia : article lactose consulté le 17 X 09