Petits
pois verts ou jaunes de Mendel … on comprend pourquoi les
feuilles jaunissent !
Comme chacun le sait, Gregor Mendel a établi ses lois de la
génétique en examinant des petits pois. Notamment il a distingué
des pois jaunes et verts.
Fig. 1: Les phénotypes étudiés
par Mendel [img]
source Museum du Havre Expo "la
génétique c'est pas automatique", I, (2007)
Alors qu'on enseigne ces exemples de génétique dans les classes du
monde entier, sait-on bien ce que ces couleurs ont comme
signification biologique ?
Puisque les petits pois que nos élèves mangent sont verts, ils
peuvent imaginer que les pois jaunes seraient une variante
accidentelle.
(J'avoue que j'ai cru cela très
longtemps). Le petit pois est principalement
constitué de 2 cotylédons, ces feuilles spéciales dans le fruit
(sens botanique) qu'est le petit pois (cf fig 2) et si on le
laisse ils deviennent normalement jaunes.
Fig. 2: Etapes de la
germination du petit pois [img]
[img].
Source
: La morphogenèse végétale et l'environnement Roger Prat SNV
Jussieu
Une étude récente identifie le gène (At4g22920) pour lequel deux
allèles sont associés à ces deux phénotypes Jaune et vert. Elle
montre qu'il s'agit de blocage de la sénescence des cotylédons.
Normalement, en murissant ils deviennent jaunes mais quand ce gène
est muté ils restent vert.
D'autres recherches ont montré que le jaunissement – la maturation
de la graine de petit pois mais aussi les couleurs dorées des
feuilles à l'automne – est sans doute un mécanisme de
démantèlement pour récupérer les protéines de la photosynthèse
sans libérer le dangereux toxique qu'est la chlorophylle à la
lumière.
Explorons un peu plus en détail ces mécanismes.
Un allèle "vert" ou une mutation qui empêche le jaunissement
normal ?
Selon Armstead, I., et al. (2007) le gène At4g22920 chez
Arabidopsis
thaliana est homologue du gène chez le petit pois (Pisum
sativum) que Mendel a étudié. Une des étapes du catabolisme de
la chlorophylle est bloquée quand ce gène est défectueux.
"This study results in the
identification of a gene that plays a fundamental role in
chlorophyll catabolism during plant senescence. In addition,
it suggests that the cotyledon color trait described by
Mendel reflects allelic variation in a pea gene, homologs of
which are responsible for the stay-green phenotype in both
dicots and monocots" Armstead, I., et al. (2007)
Cette étude a conduit à l'identification d'un gène qui
joue un rôle fondamental dans le catabolisme de la chlorophylle
pendant la sénescence de la plante (cf fig. 3). En outre, nos
résultats suggèrent que le phénotype de couleur des cotylédons
décrit par Mendel reflète la variation allélique d'un gène chez
le petit pois, dont des homologues sont responsables du
phénotype vert-permanent chez les dicotylédones et les
monocotylédones Armstead, I., et al. (2007) (trad. personnelle)
Fig 3: A) L'étape d'ouverture
de la molécule dans le catabolisme de la Chlorophylle est
bloquée (
pheophorbide -> red chlorophyll) et conduit au maintien
de la couleur verte, C: La présence d'ARNm est réduite chez
les mutants (2 et 4 ) par rapport au type sauvage (1 et 3)
dans des feuilles senescentes. Figure et légende complète Ici
[img] source Armstead, I, (2007)
Plusieurs expériences dans cette étude établissent le lien entre
le gène du pois de Mendel et le gène
Staygreen sgr chez
Festuca
pratensis et chez le riz. Ils ont expérimentalement
confirmé ce résultat en observant l' expression (Cf. fig. 3 C)
comparée du mutant et du type sauvage dans des feuilles
sénescentes et par interférence RNAi pour réduire l'expression de
At4g22920, conduisant à un phénotype équivalent à Staygreen
(maintien de la coloration verte lors de la sénescence). Ils ont
aussi observé - à l'aide de la base de données Genevestigator
Meta-Analyzer à l'EPFZ en Suisse - que ce gène est fortement
exprimé lors de la sénescence et surtout dans les feuilles. On a
donc un faisceau de données expérimentales et provenant de bases
de données bio-informatiques qui sont employées comme
"preuves"
( evidence en anglais, intraduisible…?) ici.
- la protéine
O82741 du gène At4g22920 chez Uniprot
Selon les auteurs, c'est donc les cotylédons des petits pois verts
qui sont bloqués dans leur maturation (sénescence plutôt) avant
d'atteindre la couleur jaune normale (mature pour un botaniste).
C'est donc au stade encore vert ("mûr" pour un jardinier) que nous
les mangeons habituellement.
Fig 4: A gauche [img] les petits pois dans leur gousse
(maturation culinaire) , à droite
[img] les graines à maturation biologique
ont les cotylédons jaunes. source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pois
Un article récent Reid, J. B., & Ross, J. J. (2011). fait
le point sur la caractérisation chimique des gènes de Mendel. Dans
un tableau
ici
les chercheurs indiquent que la mutation qui produit le phénotype
S
taygreen est une insertion de 6 bases, et résument ce
qu'on sait des différents gènes que Mendel a étudiés.
Les feuilles jaunissent pour éviter les effets toxiques de la
Chlorophylle ?
La question de la décoloration des feuilles en automne vient à
l'esprit avec cette étude… Pourquoi la plante aurait-elle des
voies biochimiques spécifiques pour l'élimination de la
chlorophylle et pas les autres pigments ? Ne pourrait-elle pas
simplement rester dans la feuille et tomber avec comme chez les
conifères ? Quel avantage ont eu les plantes produisant ces
protéines de dégradation ?
En fait un chercheur bâlois (Hörtensteiner, S. 2009) met en
évidence les dangers de la chlorophylle : une molécule qui capte
l'énergie lumineuse et peut la transférer à d'autres molécules
dans la cellule a le potentiel de produire des substances
très
toxiques (
reactive oxygen species (ROS). Cela explique la
nécessité de mécanismes (
photorespiration, cyclic electron
flow, etc) pour éviter de transférer à l'oxygène cette
énergie lorsque le flux de photons dépasse la capacité du système
à l'absorber. Cf. Ort, D. (2001),
When There Is Too Much Light
et Asada, K. (2006),
Production and Scavenging of Reactive
Oxygen Species in Chloroplasts and Their Functions.
Similaires par leur réactivité à l'eau oxygénée on
parle
pour ces ROS de radicaux libres et de stress oxydatif pour leurs
effets délétères notamment dans le vieillissement humain (par
exemple
Barouki,
R., 2006).
However, [chlorophyll] is a dangerous
molecule and a potential cell phototoxin. This is seen in
situations where the photosynthetic apparatus of plants is
overexcited, for example in high light conditions or after
application of herbicides blocking the photosynthetic electron
transport. Absorbed energy can then be transferred from chl to
oxygen, resulting in the production of reactive oxygen species
(ROS) Hörtensteiner, S. (2009)
Le potentiel énergétique de la chlorophylle est crucial lorsque la
photosynthèse fonctionne, mais ressemble à un feu d'artifice
renversé dans la foule lorsque rien ne canalise cette énergie !
Qui veut encore mâcher du chewing-gum à la chlorophylle ?
Rassurez-vous, j'avais vérifié sur un échantillon de gomme à
mâcher (par chromatographie en couche mince vers 1980…) qu'elle
n'en contenait plus une fois parvenue au consommateur. Il est bien
probable que le fabricant en ait introduit à la fabrication, mais
la coloration verte provenait d'un autre pigment… En effet une
molécule aussi réactive que la chlorophylle est peu stable en
dehors d'environnements vivants ou de tampons bien choisis.
La chlorophylle : un dangereux phototoxique ?
Ainsi … la chlorophylle
à l'image si positive dans le public est en fait une dangereuse
molécule que les chloroplastes arrivent à apprivoiser pour
conduire l'énergie du soleil vers la photolyse de l'eau : arracher
un électron à une liaison très solide entre oxygène et hydrogène …
pour transférer cette énergie vers le CO2 afin d'y fixer
l'hydrogène et finalement produire des sucres.
Mais lorsque ces processus sont absents ou défectueux, l'énergie
absorbée, libérée de manière incontrôlée dans les tissus de la
plante peut produire des effets dramatiques.
Il s'agit donc de démantèlement de la photosynthèse… pour éviter
de laisser la chlorophylle toxique sans le contrôle des protéines
du thylakoïde !
Le démantèlement de la photosynthèse en fin de vie des
feuilles ; pas de fuites incontrôlées de dangereuse chlorophylle
!
Ainsi à l'automne ou lorsque la sénescence doit avoir lieu il
serait imprudent de laisser ce monstre s'échapper et libérer des
formes chimiques très toxiques... on voit alors bien que les
plantes équipées d'un robuste processus de sénescence ont un gros
avantage sur les autres. Et que la décoloration des feuilles a
probablement une fonction cruciale pour le reste de la plante...
Même si cela produit de très belles couleurs, il s'agit surtout de
démanteler une dangereuse usine chimique.
Fig 5: Feuillus et conifères à
l'automne ( Franches-Montagnes) Source F.Lombard
Selon Hörtensteiner, S. (2009) près de 20% de l'azote est contenu
dans les protéines associées à la chlorophylle et la sénescence
organise leur recyclage... de manière à éviter des fuites
dangereuses de ce photoxique puissant !
Peut-être cela explique-t-il (partiellement) que les conifères
gardent leurs feuilles plusieurs années et les laissent partir
sans récupérer quoi que ce soit ? Ou peut-être que ce
démantèlement lors de la sénescence procure une efficacité
supplémentaire aux plantes à fleurs (et aux mélèzes) qui a
contribué à leur succès ?
L'industrie du nucléaire pourrait s'en inspirer pour le
démantèlement des centrales ?
Sources
: