dimanche 24 novembre 2013

De Mendel et ses pois verts aux risques de la chlorophylle : les dangers du démantèlement


Petits pois verts ou jaunes de Mendel … on comprend pourquoi les feuilles jaunissent  !

Comme chacun le sait, Gregor Mendel a établi ses lois de la génétique en examinant des petits pois. Notamment il a distingué des pois jaunes et verts.

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Fig. 1: Les phénotypes étudiés par Mendel  [img] source Museum du Havre Expo "la génétique c'est pas automatique", I, (2007)

Alors qu'on enseigne ces exemples de génétique dans les classes du monde entier, sait-on bien ce que ces couleurs ont comme signification biologique ? 
Puisque les petits pois que nos élèves mangent sont  verts, ils peuvent imaginer que les pois jaunes seraient une variante accidentelle. (J'avoue que j'ai cru cela très longtemps). Le petit pois est principalement constitué de 2 cotylédons, ces feuilles spéciales dans le fruit (sens botanique) qu'est le petit pois (cf fig 2) et si on le laisse ils deviennent normalement jaunes.
petitpois germant2cotylédons de peti pois
Fig. 2: Etapes de la germination du petit pois  [img] [img]. Source : La morphogenèse végétale et l'environnement Roger Prat SNV Jussieu
 

Une étude récente identifie le gène (At4g22920) pour lequel deux allèles sont associés à ces deux phénotypes Jaune et vert.  Elle montre qu'il s'agit de blocage de la sénescence des cotylédons. Normalement, en murissant ils deviennent jaunes mais quand ce gène est muté ils restent vert.
D'autres recherches ont montré que le jaunissement – la maturation de la graine de petit pois mais aussi les couleurs dorées des feuilles à l'automne – est sans doute un mécanisme de démantèlement pour récupérer les protéines de la photosynthèse sans libérer le dangereux toxique qu'est la chlorophylle à la lumière.
Explorons un peu plus en détail ces mécanismes.

Un allèle "vert" ou une mutation qui empêche le jaunissement normal ?

Selon Armstead, I., et al. (2007) le gène At4g22920 chez Arabidopsis thaliana est homologue du gène chez le petit pois (Pisum sativum) que Mendel a étudié.   Une des étapes du catabolisme de la chlorophylle est bloquée quand ce gène est défectueux.

"This study results in the identification of a gene that plays a fundamental role in chlorophyll catabolism during plant senescence. In addition, it suggests that the cotyledon color trait described by Mendel reflects allelic variation in a pea gene, homologs of which are responsible for the stay-green phenotype in both dicots and monocots"  Armstead, I., et al. (2007)
Cette étude a conduit à l'identification d'un gène qui joue un rôle fondamental dans le catabolisme de la chlorophylle pendant la sénescence de la plante (cf  fig. 3). En outre, nos résultats suggèrent que le phénotype de couleur des cotylédons décrit par Mendel reflète la variation allélique d'un gène chez le petit pois, dont des homologues sont responsables du phénotype vert-permanent chez les dicotylédones et les monocotylédones  Armstead, I., et al. (2007) (trad. personnelle)

Fig. 1.,,(A) In mutant and silenced genotypes, inhibition          (X) of the ring-opening step between (top) pheophorbide and          (bottom) red chlorophyll catabolite in the chlorophyll          breakdown pathway (3) leads to retention of greenness in          senescing leaves. (B) RNAi silencing of Arabidopsis At4g22920          causes a stay-green phenotype. (Left) Degradation of          chlorophyll in control (black) and two independently          RNAi-silenced genotypes (gray and white) during dark-induced,          detached leaf senescence. Error bars indicate standard          deviation. (Right) Wild-type (top) and stay-green (bottom)          leaf phenotypes of Arabidopsis after 5 days of dark-induced,          detached-leaf senescence. (C) (Left) Northern analysis using          RNA extracted from senescing leaves of wild-type (lanes 1 and          3) and stay-green (lanes 2 and 4) pea plants. (Right)          Wild-type (top) and stay-green (bottom) pea cotyledons          illustrating Mendel's I and i phenotypes, respectively.
Fig 3: A) L'étape d'ouverture de la molécule dans le catabolisme de la Chlorophylle est bloquée ( pheophorbide -> red chlorophyll) et conduit au maintien de la couleur verte, C: La présence d'ARNm est réduite chez les mutants (2 et 4 ) par rapport au type sauvage (1 et 3) dans des feuilles senescentes.  Figure et légende complète Ici [img] source Armstead, I, (2007)

Plusieurs expériences dans cette étude établissent le lien entre le gène du pois de Mendel et le gène Staygreen sgr chez Festuca pratensis  et chez le riz. Ils ont expérimentalement confirmé ce résultat en observant l' expression (Cf. fig. 3 C) comparée du mutant et du type sauvage dans des feuilles sénescentes et par interférence RNAi pour réduire l'expression de At4g22920, conduisant à un phénotype équivalent à Staygreen (maintien de la coloration verte lors de la sénescence). Ils ont aussi observé - à l'aide de la base de données Genevestigator Meta-Analyzer à l'EPFZ en Suisse -  que ce gène est fortement exprimé lors de la sénescence et surtout dans les feuilles. On a donc un faisceau de données expérimentales et provenant de bases de données bio-informatiques qui sont employées comme "preuves" ( evidence en anglais, intraduisible…?)  ici.
  • la protéine O82741 du gène At4g22920  chez Uniprot
Selon les auteurs, c'est donc les cotylédons des petits pois verts qui sont bloqués dans leur maturation (sénescence plutôt) avant d'atteindre la couleur jaune normale (mature pour un botaniste). C'est donc au stade encore vert ("mûr" pour un jardinier) que nous les mangeons habituellement.

  

Fig 4: A gauche [img] les petits pois dans leur gousse (maturation culinaire) ,  à droite [img] les graines à maturation biologique ont les cotylédons jaunes. source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pois

Un article récent Reid, J. B., & Ross, J. J. (2011). fait le point sur la caractérisation chimique des gènes de Mendel. Dans un tableau ici les chercheurs indiquent que la mutation qui produit le phénotype Staygreen est une insertion de 6 bases, et résument ce qu'on sait des différents gènes que Mendel a étudiés.

Les feuilles jaunissent pour éviter les effets toxiques de la Chlorophylle  ?

La question de la décoloration des feuilles en automne vient à l'esprit avec cette étude…  Pourquoi la plante aurait-elle des voies biochimiques spécifiques pour l'élimination de la chlorophylle et pas les autres pigments ?  Ne pourrait-elle pas simplement rester dans la feuille et tomber avec comme chez les conifères ? Quel avantage ont eu les plantes produisant ces protéines de dégradation ?

En fait un chercheur bâlois (Hörtensteiner, S. 2009) met en évidence les dangers de la chlorophylle : une molécule qui capte l'énergie lumineuse et peut la transférer à d'autres molécules dans la cellule a le potentiel de produire des substances très toxiques (reactive oxygen species (ROS). Cela explique la nécessité de mécanismes ( photorespiration, cyclic electron flow, etc) pour éviter de transférer à l'oxygène cette énergie lorsque le flux de photons dépasse la  capacité du système à l'absorber. Cf. Ort, D. (2001), When There Is Too Much Light  et Asada, K. (2006),Production and Scavenging of Reactive Oxygen Species in Chloroplasts and Their Functions.

Similaires par leur réactivité à l'eau oxygénée on parle pour ces ROS de radicaux libres et de stress oxydatif pour leurs effets délétères notamment dans le vieillissement humain (par exemple Barouki, R., 2006).
However, [chlorophyll] is a dangerous molecule and a potential cell phototoxin. This is seen in situations where the photosynthetic apparatus of plants is overexcited, for example in high light conditions or after application of herbicides blocking the photosynthetic electron transport. Absorbed energy can then be transferred from chl to oxygen, resulting in the production of reactive oxygen species (ROS) Hörtensteiner, S. (2009)
Le potentiel énergétique de la chlorophylle est crucial lorsque la photosynthèse fonctionne, mais ressemble à un feu d'artifice renversé dans la foule lorsque rien ne canalise cette énergie  !

Qui veut encore mâcher du chewing-gum à la chlorophylle ? Rassurez-vous, j'avais vérifié sur un échantillon de gomme à mâcher (par chromatographie en couche mince vers 1980…) qu'elle n'en contenait plus une fois parvenue au consommateur. Il est bien probable que le fabricant en ait introduit à la fabrication, mais la coloration verte provenait d'un autre pigment… En effet une molécule aussi réactive que la chlorophylle est peu stable en dehors d'environnements vivants ou de tampons bien choisis.

La chlorophylle : un dangereux phototoxique ?

image sympa de la chlorophylleAinsi … la chlorophylle à l'image si positive dans le public est en fait une dangereuse molécule que les chloroplastes arrivent à apprivoiser pour conduire l'énergie du soleil vers la photolyse de l'eau : arracher un électron à une liaison très solide entre oxygène et hydrogène … pour transférer cette énergie vers le CO2 afin d'y fixer l'hydrogène et finalement produire des sucres.
Mais lorsque ces processus sont absents ou défectueux, l'énergie absorbée, libérée de manière incontrôlée dans les tissus de la plante peut produire des effets dramatiques.
Il s'agit donc de démantèlement de la photosynthèse… pour éviter de laisser la chlorophylle toxique sans le contrôle des protéines du thylakoïde !

Le démantèlement de la photosynthèse en fin de vie des feuilles ; pas de fuites incontrôlées de dangereuse chlorophylle !

Ainsi à l'automne ou lorsque la sénescence doit avoir lieu il serait imprudent de laisser ce monstre s'échapper et libérer des formes chimiques très toxiques... on voit alors bien que les plantes équipées d'un robuste processus de sénescence ont un gros avantage sur les autres. Et que la décoloration des feuilles a probablement une fonction cruciale pour le reste de la plante... Même si cela produit de très belles couleurs, il s'agit surtout de démanteler une dangereuse usine chimique. 


Fig 5: Feuillus et conifères à l'automne ( Franches-Montagnes) Source F.Lombard

Selon Hörtensteiner, S. (2009) près de 20% de l'azote est contenu dans les protéines associées à la chlorophylle et la sénescence organise leur recyclage... de manière à éviter des fuites dangereuses de ce photoxique puissant !
Peut-être cela explique-t-il (partiellement) que les conifères gardent leurs feuilles plusieurs années et les laissent partir sans récupérer quoi que ce soit ? Ou peut-être que ce démantèlement lors de la sénescence procure une efficacité supplémentaire aux plantes à fleurs (et aux mélèzes) qui a contribué à leur succès  ?

L'industrie du nucléaire pourrait s'en inspirer pour le démantèlement des centrales ?


Sources :

  • Anderson, K. E., Bloomer, J. R., Bonkovsky, H. L., Kushner, J. P., Pierach, C. A., Pimstone, N. R., & Desnick, R. J. (2005). Recommendations for the Diagnosis and Treatment of the Acute Porphyrias. Annals of Internal Medicine, 142(6), 439‑450. doi:10.7326/0003-4819-142-6-200503150-00010
  • Armstead, I., Donnison, I., Aubry, S., Harper, J., Hörtensteiner, S., James, C., … King, I. (2007). Cross-Species Identification of Mendel’s I Locus. Science, 315(5808), 73‑73. doi:10.1126/science.1132912 | intranet.pdf
  • Asada, K. (2006), Production and Scavenging of Reactive Oxygen Species in Chloroplasts and Their Functions. Plant Physiology June 2006 vol. 141 no. 2 391-396 doi: 10.1104/pp.106.082040
  • Barouki, R. (2006).  Stress oxydant et vieillissement Med Sci (Paris) 2006 ; 22 : 266–272
  • Hörtensteiner, S. (2009). Stay-green regulates chlorophyll and chlorophyll-binding protein degradation during senescence. Trends in Plant Science, 14(3), 155‑162. doi:10.1016/j.tplants.2009.01.002 | intranet.pdf
    Mendel,G. (1866)  Verh. Naturforsch. Ver. Brünn. 4, 3 .
  • Ort, D. (2001), When There Is Too Much Light. Plant Physiology January 2001 vol. 125 no. 1 29-32 doi:10. ​1104/​pp.​125.​1.​29
  • Reid, J. B., & Ross, J. J. (2011). Mendel’s Genes: Toward a Full Molecular Characterization. Genetics, 189(1), 3-10. doi: 10.1534/genetics.111.132118

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