mercredi 20 février 2008

Sommes nous vraiment maîtres de nos décisions ?

Vous avez manqué la conférence, regardez-la chez vous par vidéo !
La conférence de Michael Gazzaniga de lundi passé : "le libre-arbitre en question" a connu un tel succès qu'une deuxième salle de 500 places a du être ouverte et malgré cela certains n'ont pas pu y assister.
Voici donc un enregistrement vidéo de la conférence accessible ici
Centrée sur la question de la liberté de nos décisions sa conférence a mis en évidence combien nous sommes proches de développer une vision mécaniste du fonctionnement du cerveau et combien cela touche des questions éthiques, juridiques et nous renvoie à notre vision du libre arbitre.
Pour Gazzaniga, on accepte bien que nos cellules, nos organes aient un fonctionnement qu'on peut expliquer de plus en plus, que l'on arrive de plus en plus à prédire les réactions d'une cellule, les effets sur le muscle de telle impulsion électrique ou sur le foie de telle molécule. Cette vision réductionniste ne nous gène pas tellement.
Aussi l'idée que le fonctionnement du cerveau soit prévisible heurte selon lui notre idée de libre arbitre, et le principe d'autonomie qui sous-tend notre fonctionnement en société et la responsabilité individuelle qui est une des bases de notre système juridique...

Nous sommes câblés à l'envers ?!



Fig 1 L'hémisphère gauche commande la main droite et vice-versa. Le demi-champ visuel droit des deux yeux innerve l'hémisphère gauche et vice versa. Source http://instruct.uwo.ca/anatomy/530/


Où un hémisphère justifie très mal une action de l'autre.

Il illustre d'abord son propos d'expériences anciennes effectuées chez des patients

Split-brain
: des épileptiques chez lesquels on avait coupé le corps calleux qui relie normalement les hémisphères.

Fig 2 Le cors calleux relie normalement les deux hémisphères. Il est sectionné chez les patients split-brain. Evidemment les hémisphères ne s'écartent pas comme sur cette image !

Etonnamment cela ne produit presque pas d'effet sur leur comportement dans la vie de tous les jours. Mais dans des circonstances particulières cela permet de faire parvenir des stimuli différents aux 2 hémisphères et ensuite d'observer les réactions différentes des 2 hémisphères parce qu'ils ignorent chacun ce que l'autre "sait".

Fig 2 : Expériences classiques sur les patients "split-brain". le dispositif projette dans chaque hémisphère une image différente : on peut ensuite interroger la personne par oral (hémisphère Gauche) ou lui demander de saisir l'objet vu avec la main gauche (Hémisphère droit). Actuellement on utilise des dispositifs basés sur un ordinateur pour le même effet.


Une vidéo d'un patient "split-brain" , Joe, interrogé par Gazzaniga qui montre bien comment chaque hémisphère est indépendante de l'autre. Et comment l'hémisphère gauche donne une explication de la raison de ses actions qui est de toute évidence reconstruite : il dit qu'il a vu une patte de poulet, puis interrogé sur la pelle a neige qu'il tient dans sa main droite, il dit sans hésiter que c'est "pour enlever le fumier des poules".

Où on voit qu'une décision d'action est prise bien avant que nous en ayons conscience.

D'autre part on sait que la planification d'action précède sa commande et finalement son exécution dans les muscles


Fig.4 Les mouvements sont planifiés avant d'être commandés par l'aire motrice. (Source www.lecerveau.mcgill.ca)

Il a aussi fait référence à des travaux montrant qu'on peut détecter par IRM l'intention d'action avant même que les signaux partent vers les muscles et bien avant qu'on sache qu'on a décidé

Qu'est-ce que l'IRM ?


Figure 4 : Le "scanner" IRM dans lequel on introduit l'organe à étudier. Source unige

Nous y reviendrons très bientôt mais, vous le savez, c'est un appareil permettant de détecter les différences d'activité des aires du cerveau à un moment donné.
(intranet.jpg)
Fig 6 C'est le cerveau qui nous rend conscients de ses décisions et non l'inverse ( Science & Vie date indéterminée) img
Ainsi se dessine une vision assez mécaniste du processus de décision où certaines parties de l'encéphale prennent des décisions sans que nous en soyons conscient et qu'ensuite nous (la conscience) justifions.

Des décisions plus complexes nous échappent aussi ?

Certains vont même plus loin : Antonio Damasio a montré avec l'expérience du pari d'Iowa que nous pouvons prendre des décisions correctes et donc appliquer une stratégie bien avant d'en avoir conscience et de pouvoir dire pourquoi nous décidons !
Il développe une théorie dite des "marqueurs somatiques". Il constate que nos sensations visuelles ou autres (nous l'avions vu dans une Bio-Review récente Le Thalamus sous-estimé ! ) sont interprétées par le thalamus et que l'amygdale commande des effets somatiques : En effet voir une décision produire un résultat agréable ou effrayant déclenche une émotion qui se manifeste dans le corps et qu'on peut souvent mesurer (tension artérielle ou transpiration, ou au contraire détente musculaire, ...) .

Les marqueurs somatiques sont le sixième sens ?

Selon Damasio la mémoire de ces effets (marqueurs somatiques) des décisions précédentes nous incite à éviter de répéter les décisions qui ont eu des effets désagréables ou à rechercher celles qui ont été agréables. Ainsi ce ne serait pas tellement une décision consciente, mais nos émotions, qui guideraient nos décisions. Il décrit le cas de patients qui ont un intellect en parfait état, mais qui prennent dans la vie courante des décisions très désavantageuses. (cf Pannes d'émotions, pannes de décisions LeCerveau@McGill)(fr)
Il met en rapport des lésions du lobe frontal (cortex préfrontal) connues pour intervenir dans la perception des émotions : ces patients sont incapables de prendre en compte leurs émotions. Et prennent des décisions très mauvaises pour eux-même.
Le cas le plus fameux est celui de Phineas Gage : il a été blessé par une barre à mine qui a traversé son crâne au niveau justement de ce cortex préfrontal et

lui qui était sérieux et fiable, dont les décisions étaient réputées est devenu grossier, inconstant et capricieux, et s'est mis à prendre des décisions très défavorables. Damasio parle aussi d'un Elliott, qui se met à faire de placements très douteux, et dont les décisions sont aberrantes. Il est déconnecté de ce émotions et ne peut plus "sentir" ses décisions.
Cette théorie est présentée en français sur le site de Radio-Canada Cerveau et émotions.

Et développée dans plusieurs ouvrages de Damasio : notamment "l'erreur de Descartes". Cela s'inscrit dans un mouvement - assez large il me semble- où les émotions ne sont plus vues comme irrationnelles et "pas sérieuses" mais comme des objets valables d'analyse scientifique. Peut-êtr parce que nous avons de nouveaux moyens de les analyser.
Le National Centre of Competence in Research NCCR sur les Sciences Affectives de l'UniGe en est un signe clair.

C'est pas moi c'est mon cerveau qui l'a fait !?

Revenons à la conférence. Cette vision réductrice et mécaniste du cerveau qui émerge des recherches en neurosciences risque selon Gazzaniga paradoxalement d'augmenter les risques de déresponsabilisation.
Il a parlé d'une dérive juridique aux USA de cette interprétation : Un avocat a a pu dire en substance "ce n'est pas lui , c'est son cerveau -qui a une lésion - qui a tué : il n'est donc pas responsable... "
Il a aussi mis en garde contre la puissance émotionnelle des images IRMf qui dépasse parfois l'information qu'elles portent vraiment mais nous y reviendrons.
Nous saisirons l'occasion de faire très bientôt une bio-review sur la neuroimagerie fonctionelle à laquelle il fait référence a plusieurs reprises .

Pour aller plus loin ?
Il y a un numéro spécial de La Recherche sur la conscience justement en ce moment dans les kiosques et les bibliothèques de nos établissements.
On lira avec bonheur L'erreur de Descartes de Damasio, (2001)
Gazzaniga, M.S. and Heatherton, T. Psychological Science: Mind, Brain, and Behavior. W. W. Norton, New York, (2nd Edition)
Pour des infos générales sur le système nerveux, le Purves, et Al. (2001) Neurosciences est remarquable.

Sources et liens :

1 commentaire:

  1. Article interessant , mais il ne faut pas reduire le libre arbitre que le cerveau valide par un choix par des marqueurs “emotionnel et/ou économique par activation d’air hémispherique” -(cette idée des marqueurs somatique existe depuis longtemps dans la psychologie pour autant elle n'est pas figé)- au seul fait que le cerveau reagit neuronalement plus vite que la pensée ou vers une orientation particuliere. Sinon autant ne plus prendre en compte “l’environnement” quelqu’il soit et dire que le cerveau fonctionne en toute autonomie sans contexte environnemental.Alors que les gènes, comme les connexions neuronales, nous montrent justement le contraire…..
    D'ailleurs la décision d'action prise bien avant la conscience n'est pas nouvelle (n'importe quel sportif s'en rend compte). C'est bien en cela -( choix “libre et spontané”, parmi plusieurs contraintes interieur comme exterieur ainsi que le renouvellement de certain marqueur/preference )- que nous parlons de "libre arbitre".

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