lundi 23 avril 2018

La médecine en route vers le futur? Oui, mais non! (bancs Publics, 30 avril 18h30)

Débattre pour comprendre …

Bancs Publics organise des rencontres entre scientifiques et citoyens pour débattre sur des sujets touchant aux sciences et techniques, particulièrement dans leur rapport avec la société.

Alors que nos smartphone nous épient dans nos gestes et tout ce qui influence notre santé - en principe pour nous aider, nous coacher, nous informer ... mais peut-être  aussi de multinationales !

«Il ne faut pas être naïf : les données sont le pétrole et l'intelligence artificielle est le moteur à combustion de notre époque. » Une combinaison qui sent fort l'Eldorado et qui pousse Christian Lovis, professeur au Département de radiologie et informatique (Faculté de médecine), à prôner la prudence vis-à-vis de l'Open Data, c'est-à-dire de la mise à disposition de tous des données de la recherche, telle que le demande la nouvelle directive du Fonds national pour la recherche scientifique (FNS, lire en page 20).
« J'ai longtemps été un fervent partisan, voire même un évangéliste, de l'Open Data, poursuit-il. Avec les années et l'évolution en cours, toutefois, ma position s'est nuancée. Je ne remets pas en cause les bénéfices potentiels de l'ouverture des données pour la société. Au contraire, je trouve cela très bien. Mais il faut être conscient que le monde n'est pas peuplé que de scientifiques bienveillants désireux d'utiliser les travaux d'autres scientifiques afin d'accroître les connaissances de l'humanité. Il y a quantité d'autres acteurs dans ce jeu, certains très puissants, et les règles dominantes qui gèrent l'utilisation des données ne sont pas celles de la recherche scientifique, désintéressées et respectueuses de la vie privée. Ce sont celles du marché, compétitives et basées sur le profit. » Lovis,C. (2007). campus132
Avec d'autres spécialistes remarquables, Antoine Geissbuhler, Samia Hurst, Pierre Yves Rodondi, venez discuter dans une ambiance décontractée  lundi prochain 30 avril au délicieux Musée d'histoire des sciences (ici) dans un écrin de verdure, une des plus belles vues de Genève !


Bancs Publics
La médecine en route vers le futur? Oui, mais non!

Lundi 30 avril 2018 à 18h30 
Vous avez été nombreux à nous envoyer vos idées pour le thème de ce café scientifique. Plus de 60 propositions ont émergé de vos neurones en ébullition, bravo à  tous !
Après un décorticage et une analyse  en bonne et due forme de vos suggestions, le thème « médecine, corps et santé » semble susciter le plus d'intérêt. Nous avons donc décidé de vous concocter un café scientifique  avec un format spécial encore plus participatif qui mixera futurologie, médecine, éthique et numérique
Grâce à nos experts nous nous interrogerons par exemple sur… l'influence des nouvelles technologies sur la médecine d'aujourd'hui, la place des intelligences artificielles dans le futur, l'évolution des pratiques médicales, le rôle de la recherche dans les développements de la médecine, la place des médecines complémentaires aujourd'hui et les alternatives dans le milieu hospitalier… et bien plus encore ! 
Le tout saupoudré bien entendu d'une dose de débat sur les enjeux éthiques de cette thématique !
Nous nous réjouissons de vous accueillir pour ce café scientifique spécial que vous avez imaginé !

Avec la participation de :
Antoine Geissbuhler, médecin chef du service de cybersanté et télémédecine des HUG / Vice-doyen en charge de la médecine humanitaire et internationale
Samia Hurst, UNIGE, Professeure associée, Directrice de l'Institut Ethique Histoire Humanités 
Christian Lovis, médecin-chef de service du département de radiologie et informatique médicale des HUG
Pierre Yves Rodondi, professeur de médecine de famille et ancien médecin responsable du centre de médecine complémentaire et intégrative du CHUV
Animation:
Elsa Lacroix, Communication scientifique / Muséographie, Thematis

ENTRÉE LIBRE

Au musée d''histoire des sciences
Villa Bartoloni.  128 rue de Lausanne.  1202 Genève
Transports publics:
TPG Tram 15 arrêt Butini / Bus 1 et 25 arrêt Sécheron,  Mouettes Genevoises: ligne M3 Débarcadère de la Perle du Lac, Parking adjacent
Tél +41 (0)22 418 50 60 , mhs@ville-ge.ch. bancspublics.ch



Bancs Publics

L'association « Bancs publics » a été créée en mars 1999. Elle regroupe différentes personnes actives dans le domaine de la culture scientifique de Genève et Lausanne (journalistes scientifiques ou non spécialisés, directeurs de musée, sociologues des sciences, etc.), soucieuses « de favoriser les débats, la réflexion et les échanges dans le domaine scientifique » (article 2.1 de nos statuts).
Statuts

Les statuts de l'association « Bancs publics » sont disponibles en-ligne, et en format Adobe Acrobat (PDF).
Nos partenaires
Les objectifs

  • Organiser des rencontres entre scientifiques et citoyens pour débattre sur des sujets touchant aux sciences et techniques, particulièrement dans leur rapport avec la société (article 2.2).
  • Offrir la possibilité de s'informer sur des sujets scientifiques, de s'approprier les démarches scientifiques (y compris, bien sûr, celles des sciences sociales), dans le but d'alimenter la réflexion sur les questions qui se posent aux citoyens.
  • Travailler le plus souvent possible en collaboration avec d'autres institutions oeuvrant au développement de la culture scientifique, tout en préservant notre spécificité d'association militant pour une « science citoyenne ».

Références


Lovis,C. (2007). « Des données partageables plutôt qu'ouvertes ».Revue Campus de l'université de Genève  Consulté 23 avril 2018, à l'adresse http://www.unige.ch/campus/campus132/dossier3/

mercredi 18 avril 2018

En route pour le trans-humanisme? Denis Duboule mercredi 18 avril 19 unibastion


La compréhension des mécanismes du vivant qu'apporte la biologie a des applications innombrables en médecine, pour mieux diagnostiquer, mieux soigner, mieux personnaliser les traitements, mieux vieillir ... et même améliorer l'état de personnes en bonne santé ! On parle de Trans-humanisme pour l'humain augmenté : capacités cognitives augmentées, performances accrues, fitness amélioreé...
La littérature scientifique commence à abonder : par exemple
Pour comprendre et mettre en perspective cette nouvelle tendance en biologie,le généticien Denis Duboule de l'UniGE donnera une conférence. Il est de plus excellent communicateur et saura fasciner son public.
En route pour le trans-humanisme?
18.04.2018 19:00 – 20:30
La connaissance du génome humain fait renaître les espoirs trans-humanistes du Dr Frankenstein. Ne pourrions-nous pas produire une créature humaine aux performances supérieures à notre condition actuelle? De nombreux mouvements trans-humanistes voient déjà le jour où ce fantasme sera une réalité. Mais de quoi s'agit-il? Voulons-nous un trans-humanisme d'ingénieur, fait de capteurs et de prothèses ou alors une modification drastique et perpétuelle de notre matériel génétique, de ces « bons vieux chromosomes qui n'ont guère changé depuis Cro-Magnon », comme le disait Jean Rostand. Et cet Homo novus, tient-il de la réalité, de la futurologie ou de la science-fiction?
Denis Duboule ne croit pas que                  la technol ogie nous transformera mais fonde beaucoup                  d'espoir dans la correction génétique de l'embryon.
Denis Duboule ne croit pas que la technologie nous transformera mais fonde beaucoup d'espoir dans la correction génétique de l'embryon. Image: Georges Cabrera


Lieu

Bâtiment: Uni Bastions  B106 Organisé par Alumni UNIGE

Intervenants

Denis Duboule, professeur de génétique et de génomique (UNIGE, EPFL, Collège de France)
entrée libre
Plus d'infos www.unige.ch/alumni/   Contact: alumni@unige.ch


dimanche 8 avril 2018

L'épinoche urine pour s'imposer ?

Un monument de l'enseignement en éthologie passe à coté d'un signal crucial... parce que chimique !
Dans une News de Science intitulée en référence très irrévérencieuse à Shakespeare "To pee or not to pee", Blois, M. (2017) rapporte une recherche de Bayani, D.-M., Taborsky, M., & Frommen, J. G. (2017) qui montre que chez certains cichlidés l'urine émise joue un rôle décisif dans le comportement de combat ritualisé entre mâles. Le très classique comportement de cour chez l'épinoche est-il à revoir ? 

Certains des signaux que les animaux utilisent pour communiquer sont aisément perceptibles par les humains. Les oiseaux chantent, les lions rugissent. Mais il y a toute une catégorie de signaux dans le monde naturel que les humains remarquent rarement.
Bayani, et al. (2017) ont ainsi montré qu'une espèce de cichlidé utilise l'urine pour envoyer des signaux chimiques à des rivaux lors de combats ritualisé. L'équipe a séparé les gros poissons des petits poissons avec une cloison transparente. La moitié des cloisons contenait des trous pour permettre à l'eau de circuler.



Fig 2:  Bayani, et al. (2017) ont séparé les gros poissons des petits poissons avec un diviseur transparent. La moitié des séparateurs contenait des trous pour permettre à l'eau de circuler.. [img]. Source : Bayani, et al. (2017)

 Les scientifiques ont alors injecté aux poissons un colorant (photo), qui colore leur urine en bleu vif.


Fig 3: Les scientifiques ont injecté aux poissons un colorant, qui colore leur urine en bleu vif. [img]. Source :Blois, M. (2017)

Quand les animaux ont aperçu leurs congénères, ils ont soulevé leurs nageoires et se sont précipités vers la cloison puis ont émis des jets d'urine bleue. Ils ont également changé la façon dont ils ont uriné : Les poissons séparés par une cloison étanche ne pouvaient pas détecter l'urine de leur adversaire, et ils ont uriné encore plus. Sans les indices chimiques fournis par l'urine, les petits poissons ont souvent tenté d'attaquer leurs plus gros adversaires, rapporte l'équipe ce mois-ci dans Behavioral Ecology and Sociobiology. (Les membres Expériment@l-Tremplins peuvent obtenir ces articles) intranet.pdf.



Fig 4:  Les petits poissons ont bien plus souvent eu un comportement agressif face aux gros lorsqu'un diviseur empêche l'urine de diffuser vers les congénères. [img]. Source : Bayani, et al. (2017)


Nous ne détectons probablement pas tout : seulement ce que nous voyons!

A cause des limites de nos propres systèmes sensoriels, les humains pourraient bien passer à coté d'autres signaux dans la communication entre les animaux, affirment les chercheurs. En plus des signaux chimiques, les animaux utilisent notamment des vibrations,  de l'électricité ou de la lumière ultraviolette pour communiquer. Les signaux visuels sont souvent plus facile à détecter, mais cette publication souligne l'importance de rechercher les autres formes de communication possibles.

Un monument ?

Le comportement de cour de l'épinoche est un très grand classique. Un incontournable : cf par exemple l'excellent cours d'éthologie du Pr. Maurer  (Ethologie.unige.ch).

Chevallard (2004) appelle monuments  des savoirs « autrefois vivants mais dont les raisons d'être, les fonctions vitales ont cessé d'être comprises. Les savoirs enseignés ne produisent plus des connaissances vivantes dans les publics scolaires conviés à révérer les œuvres [...] que l'enseignement prodigué leur impose de "connaître" ».
Des exemples classiques que chacun reconnaitra sont le supposé « donneur universel» (Bio-Tremplins avril 2007) ou la prétendue carte des gouts sur la langue (cf. Bio-Tremplins oct. 2012). Le comportement de cour de l'épinoche va-t-il aussi se monumentaliser sans prendre en compte les nouveaux savoirs de recherche ?

Le combat des épinoches est-il chimique aussi?


Fig 6: Les deux mâles à l'abdomen rouge sont engagés dans un combat ritualisé qu'on a décrit en termes visuels seulement. Il pourrait bien y avoir une composante chimique qui nous a échappé.  [img]. Source : d'après  Time Nature, 1965 Animal Behaviour

En fait il y pourrait bien y avoir un échange chimique de signaux indiquant la taille et déterminant la dominance chez l'épinoche ! Cela reste à démontrer ! Une idée de TM ou de TPE ?

Sûr que l'idée d'uriner pour s'imposer fera réagir les adolescents ... de tous âges !

Références

  • Blois, M. (2017). Fish communicate through their urine. Science. https://doi.org/10.1126/science.aal0666
  • Bayani, D.-M., Taborsky, M., & Frommen, J. G. (2017). To pee or not to pee: urine signals mediate aggressive interactions in the cooperatively breeding cichlid Neolamprologus pulcher. Behavioral Ecology and Sociobiology, 71(2), 37. https://doi.org/10.1007/s00265-016-2260-6 | intranet.pdf
  • Chevallard, Y. (2004). Les TPE comme problème didactique Actes des  Journées de Didactique Comparée 2004, Ecole normale supérieure de Lyon.
  • Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné (2e éd. revue et augmentée, 1985 lre ed.). Grenoble: La Pensée sauvage.
  • Maurer, R. (2014) Cours d'Ethologie Université de Genève,http://Ethologie.unige.ch
  • Tinbergen, N. (1965) Animal Behviour, Time Nature series  

mardi 3 avril 2018

La biologie synthétique ... vers la synthèse d'un être vivant ? Ou vers l'ingéniérie pour mieux comprendre ?

Un changement subtil mais en profondeur de la biologie ?

Ce qu'est exactement la biologie synthétique est difficile à cerner. Ce projet Tremplin vers la Recherche offert aux enseignants implique de lire plusieurs revues comme Nature et Science, pour y repérer des domaines où les progrès de la recherches sont pertinents pour l'enseignement des sciences.  La biologie synthétique en est un, qui semble modifier subtilement mais en profondeur la nature-même de la démarche d'exploration du vivant en biologie (le paradigme de la discipline au sens de Kuhn, 1972). On voit changer les questions que les chercheur-e-s explorent, les méthodes pour y répondre, les manières de valider les savoirs produits.

A) Dans un premier temps on pourrait y voir simplement de nouvelles étapes fascinantes sur le chemin vers la synthèse d'un être vivant et premièrement d'un ADN: la molécule porteuse de l'information qui contrôle les processus vivants. L'équipe de Craig C. Venter avait déjà produit un génome de synthèse qui contrôlait une bactérie nouvelle (la bactérie  JCVI-Syn1. Cf.Bio-Tremplins). Récemment une équipe a réussi à synthétiser six chromosomes entiers d'un eucaryote, la levure !
On voit - avec inquiétude ou espoir - approcher le jour où on réussira à produire les 46 chromosomes d'un humain. Après avoir composé le génome à volonté...

B) Il y a une autre lecture - une approche ingénieur sans états d'âme : La biologie synthétique estompe la distinction entre le vivant et le non-vivant; elle ose amputer le vivant de sa reproduction: Les extraits de cellules (dits cell-free)  permettent l'intervention sans vergogne dans les propriétés du vivant sans les risques de modifier un être vivant ... puisque cet ADN (sans membrane la qui individualise la cellule) ne peut pas se reproduire. Cela ouvre un potentiel d'exploration avec bien moins de contraintes et permet de tester les idées les plus folles ou de développer une production à plus grande échelle avec très peu de risque de contamination biologique.
Cette publication présente ces deux aspects à travers deux exemples et facilite l'accès aux articles originaux : elle est pour vous un tremplin vers la recherche !

D'une biologie de l'observation à une biologie moléculaire au XXème : la molécule d'ADN au centre!

En effet la biologie était jusqu'au milieu du siècle passé basée sur l'observation (" qu'est-ce que c'est ? quelle  est sa structure ? ..." ), où décrire une nouvelle espèce justifiait une publication (Morange, M., 2003). La question centrale est devenue  depuis bientôt un siècle "quel est le mécanisme sous-jacent de ce phénomène vivant ?" avec des méthodes moléculaires, et l'ADN au centre des réflexions.
L'ADN est alors conceptualisé comme une molécule avec la fameuse double hélice, et a) placé au centre des mécanismes de transmission héréditaire (génétique), mais aussi  b) au centre des mécanismes métaboliques avec ce qu'on a appelé (à tort) "dogme centre de la biologie" ADN -> ARNm -> protéine  -> "trait" ou caractère phénotypique.  Ces deux rôles ne sont pas toujours très clairement distincts pour les élèves. Nous verrons plus bas que la biologie synthétique ose dissocier les deux rôles de l'ADN et, cette barrière psychologique franchie, permet  de nouvelles manières de faire de la biologie : de nouvelles questions, de nouvelles méthodes pour y répondre.

D'une biologie moléculaire à une biologie du contrôle... fin XXème l'ADN, mais au centre du contrôle des processus

Depuis la fin du siècle passé on assiste avec le génome humain, la génomique, à un glissement subtil où la nature moléculaire de l'ADN perd de l'importance, Morange parle en 1975 déjà de "requiem de la biologie moléculaire".
Pour lui c'est l'information ou plutôt le contrôle qui sont désormais au coeur des questions et la recherche publiée s'appuie de plus en plus souvent sur un traitement très sophistiqué des données (génomiques par exemple). L'aspect moléculaire est traité par des machines ou sous-traité à des plateformes génomiques : le séquençage de plus en plus fin et différencié, par exemple le génome d'une seule cellule, permettent d'explorer les différences du génome entre les cellules d'un organisme ou d'une tumeur. Les structure de l'ADN regroupées à un moment dans le noyau qui révèlent la dynamique de l’organisation des chromosomes influençant son expression, (cf. Bio-Tremplins 14 XI 11) etc. 
La vraie plus-value qui justifie la publication est de nos jours plutôt dans la création ou la sélection de conditions biologiques à comparer, puis la patiente analyse des données sur un ordinateur : un travail sur l'information et le contrôle des processus.
Cette transformation traverse tous les domaines de la biologie, de l'écologie à l'immunologie en passant par l'embryologie et d'autres. Le vivant est conceptualisé de plus en plus comme un système dont la régulation et le contrôle sont étudiés. Régulation de l'expression, régulation des interactions entre gènes et environnement, entre parasite et hôte, entre espèces, etc.
Analyser cette dynamique du contrôle métabolique par l'ADN est un des axes actuellement très fort dans la biologie synthétique. 

Mais le plus visible aux yeux d'un biologiste classique est le projet de synthétiser le vivant à partir de molécules, "créer le vivant". 

A) La biologie synthétique c'est créer le vivant par synthèse  ?

Une approche relativement ancienne de la biologie de synthèse vise la synthèse des composants du vivant, ce qui n'est pas excessivement difficile: on sait fabriquer des acides nucléiques à volonté, ainsi que les autres monomères du vivant. Le challenge est dans l'organisation, la structuration de ces molécules qui permette leur fonctionnement soigneusement contrôlé. Comme la structure de l'ADN et sa séquence, mais aussi son organisation en chromosomes est actuellement considéré au coeur de ces processus de contrôle, la production de chromosomes de synthèse est un objectif prioritaire.

La biologie synthétique c'est composer un génome à l'ordinateur et produire un organisme qui l'exprime et vit ?

De nouvelles étapes concrètes ont été franchies dans la synthèse de plus en plus complète des structures du génome chez des organismes plus complexes

5 chromosomes synthétiques chez la levure : une étape de plus vers la synthèse d'un être vivant ...

A core theme
        in synthetic biology, “understanding by creating,” inspired the
        effort to generate the first synthetic cell, JCVI-Syn1.0 (1).
        The project Sc2.0 is elevating this concept by attempting to
        create a synthetic version of a more evolved organism,
        Saccharomyces cerevisiae, a eukaryotic single-celled yeast. In a
        set of papers in this issue (2–8), scientists of the Sc2.0
        project who previously constructed a single yeast chromosome (9)
        now report constructing five additional yeast chromosomes (more
        than one-third of the entire genome) (see the photo). Using a
        variety of phenotypic assays and structural and functional
        genomics techniques, the researchers observed that the synthetic
        chromosomes drive biological processes just like the natural,
        native chromosomes.
une image vaut mille mots ... mais peut être interprétée
        de mille manières
Fig 1:  Illustration d'un modèle du génome de la levure avec les chromosomes actuellement synthétisé s (dorés)  [img]. Source : Kannan, K., & Gibson, D. G. (2017).

On se souvient que l'équipe de Craig Venter avait crée la première "cellule synthétique", la bactérie  JCVI-Syn1. Il s'agissait en fait d'un génome de synthèse qui a pris le contrôle d'un cytoplasme de bactérie vivante. (Cf.Bio-Tremplins : Venter a encore frappé - il veut recréer le vivant ? ).
Le projet Sc2.0 va plus loin encore en tentant de créer une version synthétique d'un organisme plus évolué, Saccharomyces cerevisiae, une levure unicellulaire eucaryote - de son génome pour commencer.  (Cf. Bio-Tremplins du 30 avril 2014 Un chromosome de synthèse, et alors ! ).
Dans une série d'articles formant un numéro spécial de Science, ces scientifiques du projet Sc2.0 qui avaient déjà construit un seul chromosome de levure (9) rapportent maintenant la construction de cinq chromosomes de levure supplémentaires (plus d'un tiers du génome entier) ( voir la photo). En utilisant une variété de tests phénotypiques et de techniques de génomique structurelle et fonctionnelle, les chercheurs ont vérifié que les chromosomes synthétiques contrôlent les processus biologiques tout comme les chromosomes naturels natifs.

Un numéro spécial sur la biologie synthétique dans Science

Dans le numéro spécial du 10 Mars 2017 (Vol 355, Issue 6329 ) voici une sélection d'articles qui montrent comment les chercheurs ont élaboré ces chromosomes de sysnthèse et comment ils ont vérifié qu'ils fonctionnent aussi bien que les originaux.
(Les membres Expériment@l-Tremplins peuvent obtenir ces articles).

Et en français ?

B)  Le fonctionnement du vivant sans la vie : cell-free ?

La biologie synthétique est aussi une approche "ingénieur" de la biologie :
On dispose déjà de cellules minimalistes avec juste assez de gènes (182) pour permettre la vie (Ball, Philip. 2006) , auxquelles on peut ajouter à loisir des fonctions, prises par exemple dans un bibliothèque : Registry of Standard Biological Parts. IGEM
Le MIT tient un registre (http://parts.igem.org/Main_Page) librement accessible, avec des fonctions biologiques de base qui peuvent être utilisées pour composer des systèmes biologiques synthétiques.
Une autre approche, en s'affranchissant de la reproduction ose aller bien plus loin, pour créer, modifier afin d'explorer les mécanismes  de régulation et de contrôle.  Les systèmes cell-free mettent bien en évidence cette différence fondamentale entre les deux rôles de l'ADN : (Contrôler le fonctionnement de la cellule, transférer à la génération suivante l'information génétique permettant ce contrôle).
Les système cell-free sont de extraits de cellules dont on a supprimé la membrane. C'est en somme du cytoplasme avec de l'ADN qui fonctionne encore pour contrôler les processus du métabolisme, mais qui est incapable de se reproduire : Sans génétique, pas de conséquences à long terme. 
Les processus métaboliques de la cellule sont conservés mais sans cellule vivante (reproductive) : le système n'est pas vivant selon la définition simple : nutrition-relation-reproduction. On a ainsi accès à des mécanismes biologiques sans s'encombrer des contraintes liées à la manipulation d'organismes vivants (p. ex. on évite les problèmes de cytotoxicité bactérienne, d'interférence de molécule indésirable mais constitutive aux cellules hôtes, on peut détecter de grandes biomolécules, etc.). Cela ouvre un potentiel d'exploration avec bien plus vaste que la biologie traditionnelle et permet de tester les idées les plus folles. Ce que font des ingénieurs notamment à l'EPFL.

La biologie synthétique c'est «créer pour comprendre»  ?

Il y a des jeunes ingénieurs (dont l'un issu du collège Calvin) qui ont bricolé un kit permettant d'explorer le fonctionnement du vivant sans le vivant...  et le proposent aux écoles. Avec le projet Aptasense, ils ont  obtenu le prix catégorie éducation au concours IGEM 2017
aptasense-project-overview
une image vaut mille mots ... mais peut être interprétée
        de mille manières
Fig 2:  Aptasense propose un détecteur biologique de protéines dans un milieu cell-free  [img]. Source : IGEM

Le projet Aptasense propose un détecteur biologique de protéines dans un milieu cell-free. Basé sur un article publié portant sur la détection colorimétrique d'ADN sur un support papier (Pardee, K, etal. 2016), le but de ce projet était de développer un outil de diagnostic bon marché, portable, d'utilisation rapide et aisée, et ayant pour cible certaines protéines d'intérêt. Pour ce faire, il a fallu combiner plusieurs concepts issus de la biologie synthétique: 
- Des aptamères (i.e. de courtes séquences d'oligonucléotides synthétiques possédant des caractéristiques similaires à certaines protéines, en somme de l'ADN ou de l'ARN fonctionnel) ont pu spécifiquement détecter certaines protéines dans une disposition proche de celle d'une méthode ELISA classique mais sans anticorps
- La régulation du gène reporter (LacZ) a été assurée par des Toehold switches (une séquence d'ARN en forme d'épingle à cheveux dans laquelle est caché le site de liaison du ribosome, qui ne devient disponible que lorsque la séquence d'ARN reconnaît très spécifiquement une autre séquence, fournie ici par les aptamères)
- Un système cell-free issu de plusieurs souches E.Coli a été choisi pour l'expression du biomarqueur Beta-Galactosidase
L'équipe de l'EPFL a développé un software (Toehold Designer) réduisant le temps requis pour générer les séquences de Toehold switches de plusieurs semaines à quelques minutes. Parallèlement à cela, la nécessité de mettre en avant certaines facettes méconnues de la biologie, telles que le sont la biologie synthétique et les systèmes cell-free, s'est rapidement imposée: est alors née l'idée de l'Educational Cell-Free mini Kit (ECFK), ciblant un public collégial et proposant des expériences liées à ces domaines assez récents. Il sera proposé aux préparateurs de écoles bientôt.
In order to realise the
        project aptasense, we first developed, optimised and tested the
        building blocks of our project separately before assembling them
        all. The first part to develop was the cell-free technique in
        order to express our reporter gene. In the mean time, a part of
        the team learned how to make chips for microfluidics and use
        them for assays. Then we worked on testing the Zika toehold in
        lysates and studying the binding capacity and specificity of
        aptamers on thrombin and PDGF using microfluidics. At the same
        time we started developing our software Toehold Designer. To
        complement the microfluidics experiments, we started performing
        assays with beads in parallel. Finally, when all these segments
        of our project were studied and documented, we could finally
        work on the assembly of the segments. After making sure that the
        different blocks that make up our project worked separately, we
        went on to put them together and test whether protein can be
        detected and a signal generated in one setting.
Fig 3:  Aptasense permet de détecter de grandes protéines par des mécanismes habituellement strictement réservés aux petites molécules.  [img]. Source : IGEM

Des jeunes ingénieurs - dont l'un issu du collège Calvin - lauréats du concours IGEM

http://2017.igem.org/wiki/images/d/df/T--EPFL--team_group.jpg
Ancien étudiant en grec ancien au Collège Calvin à Genève, Jonathan Melis (au milieu, derrière; T-shirt rouge) poursuit un bachelor en Sciences du vivant (SV) à l'EPFL . Avec huit autres étudiants, il participe en 2017 à la compétition mondiale iGEM dans le cadre de laquelle naît le projet Aptasense.

Ethique

La biologie synthétique pourrait bien être un de ces virages qu'on ne voit pas passer parce qu'on le lit comme avec les yeux du passé.

On pourrait y voir simplement de nouvelles techniques de modification génétique, mais on a vu qu'il ne s'agit pas seulement de modifier, mais aussi de créer des systèmes nouveaux à volonté. Avec une approche ingénieur (optimiser, modifier, comme on améliore ou invente des nouveaux moteurs) ces systèmes sont réduits à des mécanismes, d'autant plus que ces systèmes n'ont pas besoin d'être pleinement vivants.

Les usages potentiels sont innombrables - on voit certains préparer des bactéries plus efficaces pour produire du pétrole, dépolluer, détecter, distribuer des médicaments, suppléer à des fonctions défectueuses chez des malades, ...   d'autres avancent à grand pas vers le moment ou l’on pourra composer le génome d'un humain à volonté !

Préparer les élèves à gérer les délicates questions éthiques que cela soulève est une lourde responsabilité !

Une base peut-être trouvée  dans ce cours de l'EPFZ 3TU.Ethics The Ethics of Synthetic Biology ici. Ils traitent de la biosécurité, les usages militaires de recherches pacifiques (Dual use), les risques de contamination, et même la question de la communication au public

Didactique :

Le grand rapport Bio2010-librement accessible  (NRC, 2003)   recommandait déjà une approche plus "ingénieur", développant plus  la modélisation (numérique et informatique aussi) et une approche systèmes et leur régulation. La description ne suffit plus. Les plans d'étude donnent pour mission à l’éducation aux sciences d'aider à comprendre, expliquer,  décider dans un monde qui change.

On peut se demander à la fin de chaque séquence : Qu'est-ce que ce chapitre les a aidés à expliquer, prédire ou mieux décider dans leur monde... Un monde où la biologie synthétique jouera un rôle important.

Sur le plan didactique,on peut relever plusieurs difficultés prévisibles dans la compréhensions... en voici 3 pour commencer:

  • La perception que les molécules et organites de la cellule sont vivants et ne peuvent pas être modélisés avec des formules, ni prédits : les modèles naïfs sont des entraves prévisibles - dans ce cas les explications essentialistes : cf. Coley, J. D., & Tanner, K. (2015) 
  • La confusion fréquente entre la nature moléculaire de l'ADN et l'information portée par l'ADN
    • Pour dissocier, on peut envisager des activités pour les élèves, peut-être que des activités nouvelles offertes par la bio-informatique pourront aider ?  (Des scénarios - qui ont besoin d'être actualisés mais dont on pourrait s’inspirer sont ici )
  • La difficulté à comprendre les mécanismes de contrôle et leur usage est probablement entravée par les modèles naïfs - notamment les explications finalistes : " E. coli ne fabrique pas les enzymes pour digérer le lactose quand il n'y en a plus, car c'est inutile." ou "notre corps fabrique les anticorps contre un pathogène parce que c'est celui-là dont on a besoin" etc.  cf. Coley, J. D., & Tanner, K. (2015) 
Il y a de nouvelles didactiques à inventer pour vous tous ... et à partager dans cette publication ?


Sources

  • Ball, Philip. 2006. « Smallest Genome Clocks in at 182 Genes ». Nature News, décembre. doi:http://dx.doi.org/10.1038/news061009-10 . intranet.pdf
  • Coley, J. D., & Tanner, K. (2015). Relations between Intuitive Biological Thinking and Biological Misconceptions in Biology Majors and Nonmajors. CBE-Life Sciences Education, 14(1), ar8. doi: 10.1187/cbe.14-06-0094
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