jeudi 31 octobre 2013

L'alcootest pour levures …

Levures, veuillez souffler dans le ballon !

Pour améliorer la très classique manip' de fermentation des levures, certains ont eu l'idée d'utiliser les tests d'alcoolémie qu'on trouve facilement sur le marché pour la mise en évidence de la production d'alcool. Une enseignante a expérimenté et propose ses documents ( pour l'enseignant, les élèves, et l'assistant technique). 
Nous avons rassemblé quelques travaux de chercheurs qui ont étudié ce qui se passe vraiment lorsque les élèves font ce labo et en proposerons quelques extraits, ainsi que l'accès aux articles d'origine. 

Un TP classique

La fermentation des levures est un TP tout à fait classique dans le secondaire, pour illustrer la fermentation, pour comparer avec la respiration cellulaire, ou dans le cadre de l'explication de la vinification ou la panification.

On en trouve un exemple dans un ouvrage français (Tavernier, 1985).
 

Fig 1: Un dispositif classique pour la fermentation des levures [img] source : Tavernier. (1985).


Un autre exemple dans un document d'un établissement du secondaire II datant de 1993 suggère de relever l'odeur d'alcool comme indicateur de la fermentation alcoolique.

 Réalisez les montages suivants :


Fig 2: Un exemple de montage expérimental proposé dans un protocole de labo [img]  Source : Groupe de biologie, Collège Calvin, 1993

La consigne indique après un temps: 
  1. Mesurez à nouveau les températures des trois montages.
  2. Relevez la formation de gaz carbonique en regardant si l'eau contenue dans les béchers  A, B et  C est devenue trouble.
  3. Relevez dans les 3 fioles coniques (A, B, C) la présence ou l'absence d'une odeur d'alcool.
Source : Groupe de biologie, Collège Calvin, 1993
En réalité  l'odeur très marquée des levures rendait le plus souvent indiscernable celle de l'alcool. Pourtant les élèves soucieux d'avoir une bonne note plus que pétris de rigueur scientifique devinaient ce qui est attendu et indiquaient le plus souvent la présence de cette odeur.
Arrivés à ce stade de leurs études ils ont appris à deviner les intentions des enseignants –certains appellent cette compétence d'élève guess my mind
--> -->

Un alcootest pour révéler la production d'alcool.

Pour éprouver la production d'alcool sans recourir à des systèmes de capteurs et de logiciels complexes, une enseignante genevoise, Tania Bühler, a exploré la faisabilité d'utiliser de simples éthylotests (on les trouve à moins d'un € pièce et la fin de l'obligation d'en disposer dans chaque voiture en France laisse penser qu'on peut en trouver facilement). Elle s'est inspirée de http://www.didier-pol.net/1LEVURE.html.
Elle a accepté de partager ses impressions avec les lecteurs de Bio-Tremplins:  Elle propose ses documents :
tp_levures_-_fermentation_alcoolique_-_pour_collegues.pdf 02-Oct-2013 16:53 1.2M
tp_levures_fermentation_alcoolique_eleves.pdf 02-Oct-2013 16:53 1.2M
TP Levures - Fermentation alcoolique - CORR.pdf 02-Oct-2013 16:53 1.2M
tp_levures_-_fermentation_alcoolique_-_assistants_techniques.pdf 02-Oct-2013 16:53 59K

Les indications de montage sont détaillées, en voici un extrait :
"Couper l'embout de gonflage d'un ballon, sur un minimum de 4 cm, pour réaliser un adaptateur entre le goulot de la bouteille et la cartouche du test d'alcoolémie.
Selon le mode d'emploi du test d'alcoolémie, ouvrir le tube, et jeter les petits cristaux qui se trouvent aux deux extrémités du tube du test.
Avec une épingle (à nourrice), percer deux ou trois petits trous à travers le réactif de la cartouche pour faciliter le passage des gaz (dans le sens de la longueur du tube). Ne soufflez pas dans le tube !
Enfiler l'embout de gonflage du ballon sur le tube du test (c'est le côté qui ira dans la bouteille) : c'est normalement le côté qui devrait se placer dans le ballon/sac de l'éthylomètre." (Buhler, 2013)
TP Levures - Fermentation alcoolique - pour collègues montage de l'ethylometre
Fig 3: Le flacon avec les levures  est relié ua ballon par un ethylotest [img] source : Buhler, T.

Elle a observé le changement de couleur sous forme d'une ligne verte petite mais très manifeste (cf figure 3) et quand même beaucoup plus net que la prétendue odeur d'alcool des anciens TP.  Elle indique que le montage est facile et à la portée des élèves.  Il faut juste agiter régulièrement et attendre que les levures produisent assez d'alcool : on a bien le temps de le faire en 2x 45 minutes et on peut profiter de ce temps pour compléter la théorie.
C'est donc l'occasion de dépoussiérer un TP et peut-être aussi de faire connaitre aux élèves ces éthylotests, qui ne manqueront pas de susciter des questions. Des questions qui peuvent conduire à la prévention.

 
Fig 4 : Un ethylomètre du commerce   source : http://www.myethylotest.fr/

Certains sites proposent de souffler le contenu du ballon sur un petit chiffon d'alcool à bruler enflammé pour montrer qu'il contient du CO2 qui éteint la flamme. Tania Bühler a testé et dit que ça ne marche pas à tous les coups. De plus le risque lié au feu lui a fait renoncer à cet aspect.

Les difficultés qu'on peut imaginer pour les élèves :

Des chercheurs ont étudié les réactions des élèves lors d'un tel TP  Schneeberger, P., & Rodriguez, R. (1999). " Notre objectif est de clarifier le rapport des élèves à l'expérimental en essayant de comprendre comment ils procèdent pour formuler et traiter un problème."
Un extrait de ce texte met en évidence un obstacle conceptuel : de nombreux élèves considèrent que la suspension brunâtre devant eux est une substance non vivante, et ont donc de la peine à modifier leur compréhension du métabolisme cellulaire que ces organismes sont censés représenter.

"Nous avons pu relever des erreurs ou des difficultés qui paraissent fréquentes.[…]
- Nature précise des supports biologiques mal perçue Certains élèves ne font pas la distinction entre une substance et les levures, êtres vivants unicellulaires. D'une manière générale, ils ont une mauvaise connaissance des organismes unicellulaires et font la confusion entre levure et bactérie (mais cela ne leur avait pas été enseigné auparavant).
- Concept de vivant mal appréhendé
Certains élèves recherchent "Quelle est la partie vivante de la levure ?". Dans ce cas, le vivant est assimilé à une partie de la levure c'est-à-dire à une structure, ou à un attribut que possède ou non une population de levures. D'autres élèves attribuent des caractères propres au monde vivant à certaines molécules (les protéines par exemple).
Cette mauvaise connaissance des concepts de biologie va handicaper les élèves dans l'élaboration des protocoles. En effet, ces difficultés apparaissent au moment du choix des paramètres et des techniques à employer. "
Schneeberger, P., & Rodriguez, R. (1999)

On trouve d'autres conceptions obstacles ici Concepts structurants et conceptions obstacles : misconceptions dans le cadre du project 2061 : AAAS / Life Science : Cells

Conclusion

Offrir de nouvelles opportunités de vérifier (éprouver dirait G. De Vecchi)  ce qu'on a vu "en théorie" permet d'exercer le scepticisme scientifique ... même si elles ne peut peuvent guère prétendre démontrer rigoureusement, ces manips permettent de pratiquer des allers-retours entre modèle et réalité qui sont au coeur de la démarche scientifique. Confronter les modèles du monde biologique que les élèves ont dans leur tête à travers des hypothèses, des manipulations, des essais, peut contribuer à faire évoluer ces modèles vers celui qu'on cherche a institutionnaliser en classe.

Sources :

dimanche 6 octobre 2013

Des engrenages chez des insectes bien avant chez les ingénieurs

Les engrenages existaient sans doute des millions d'années avant les ingénieurs...

Le monde de la mécanique parait distinct du vivant, pourtant on a trouvé des engrenages entre les deux pattes arrières d'un insecte pour assurer la synchronisation lors du saut. Aristote et Archimède parlent d'engrenage il y a plus de deux mille ans et les chinois les auraient inventés bien plus tôt… mais tous auraient été précédés par des humbles insectes. Et donc précèderaient de millions d'années l'invention de la simple roue par l'homme!
Une équipe de chercheurs anglais a observé chez  la larve d'un petit insecte Issus coleoptratus (= cigale bossue) des structures chitineuses entre les pattes arrière qui s'engrènent et que les chercheurs interprètent comme un mécanisme pour assurer l'extension simultanée pour éviter à cet animal d e 5-7 mm de partir en vrille lors d'un saut de près d'un mètre.  Burrows et al. supposent  que ces engrenages seraient une première dans le monde animal.

Fig 1: Les pattes de la larve de Issus coleptratus s'engrènent pour assurer leur déploiement synchrone  [img] source Burrows, M., & Sutton, G. (2013).

Un insecte sauteur


Fig 2: Issus coleoptratus de dos et de côté [img] source.britishbugs.org.uk/  

Quand cette petite bête (Issus coleoptratus cigale bossue) de 5-7mm saute, on est souvent surpris de l'ampleur du saut ( près d 'un mètre). Pourtant l'accélération est impressionnante : chez les adultes, elle  atteint 5.5 m/s (moyenne 3.2 ± 0.2 m/s pour 10 mâles) en parfois moins d'1 ms (moyenne 1.5 ± 0.04 ms) correspondant à des accélérations de 700 g (Burrows, et al.2013). Les mécanismes permettant de telles accélérations (stockage d'énergie dans la flexion de structures en chitine, notamment) sont passionnants et ont été étudiés chez plusieurs insectes. Une Bio-Tremplins vous en parlera bientôt. C'est plutôt la stabilité dans la trajectoire qui est étudiée ici.

Fig 3: Issus coleptratus saute avec des pattes arrière [img] source Burrows, M., & Sutton, G. (2013).
Dans la news de Nature, Philipp Ball (2013) explique que quand un insecte de quelques millimètres saute près d'un mètre, la synchronisation parfaite du mouvement des pattes est indispensable pour lui éviter de partir en vrille. Cela serait la pression évolutive qui a sélectionné ces aspérités très particulières chez ces insectes où les pattes sont très proches - sous le corps (cf. figure 1, 4, et 5droite), alors que chez les sauterelles par exemple leur écartement plus grand - sur le coté du corps - rend moins sensible de petites erreurs dans la vitesse d'extension des pattes.

Franklin, C. E 2000Dans leur article de Science (ici) les auteurs proposent une vidéo montrant bien l'imbrication des dents  (à des vitesses de l'ordre de 50'000 dents par seconde) lors du déploiement des pattes, ils ont aussi essayé de bloquer une patte pour établie l'effet de la forme des dents. Ils établissent assez solidement qu'ils ne sont pas seulement ressemblants à , mais fonctionnellement des engrenages.  On trouve en effet des structures évoquant des engrenages chez d'autres espèces animales (la tortue Heosemys spinosa, l'insecte Arilus cristatus (Hemiptera, Reduviidae). Le cœur des crocodiliens a une valve en engrenage qui bloque le reflux (cf  (Franklin, 2000)  cf. figure à droite et ici, source Franklin, 2000) permettant une pression artérielle accrue et plusieurs insectes ont des des structures munies de rangées de dents qui produisent en se frottant l'une l'autre des stridulations, mais les auteurs disent que Issus serait le premier cas d'engrenage fonctionnant comme tel.

Fig 4: Vidéo des pattes de Issus coleptratus s'engrenant e [img] source Burrows, M., & Sutton, G. (2013).

Les Vidéos sur le site de Science

  • Movie S1 Spontaneous jump of a nymph viewed from the side. The images were captured at a rate of 5000 images per second and with an exposure time of 0.03 ms and are replayed at 30 frames per second.
  • Movie S2 Movements of the gears during cocking of the hindlegs in preparation for a jump by a nymph restrained on its back in Plasticine. Images were captured at a rate of 5000 images per second and with an exposure time of 0.03 ms and are replayed at 30 frames per second.
  • Movie S3 Movements of the gears during a restrained jump by a nymph fixed on its back in Plasticene. Images were captured at a rate of 5000 images per second and with an exposure time of 0.03 ms and are replayed at 30 frames per second. The hindlegs pushed against the flexible hairs of a small paint brush that slowed the velocity of their propulsive movements.

Pourquoi seulement chez les larves ?

Étonnamment on ne trouve ces engrenages que chez la larve - la dernière mue produit un adulte qui n'en a pas. En effet chez l'adulte, un mécanisme de simple friction entre les pattes qui assure une extension synchrone  des pattes. Les auteurs proposent une explication en rapport avec les possibilités de réparations  : si un engrenage casse chez la larve, à la prochaine mue il est remplacé. Ou alors, disent-ils,  la taille plus grande et la rigidité accrue des adultes rend possible le mécanisme de friction 

Et chez les espèces locales ?

Issus c. ressemble à d'autres insectes chez nous (Cicadelle spumeuse, Phlaenus spumarius ) dont les larves sont reconnaissables dans le "crachat de coucou". Les larves y sont protégées par une sorte de mousse savonneuse qu'on voit parfois de mai à juillet dans les prés. Loyer, B.  et al. (1999) dans 300 insectes faciles à voir décrit cet animal (extrait intranet.jpg). Que les larves de cet insecte local dispose de ce mécanisme n'est pas mentionné dans l'article, mais se poser la question suscite des observations détaillées du dessous de l'animal, de l'articulation de ses pattes de leur différence avec celles des sauterelles, et peut les guider vers la découverte d'une nature peu connue juste à nos portes. Et peut-être de montrer que la biologie permet d'expliquer le monde qui les entoure,  de lui donner du sens. Sans cet article, qui aurait été regarder comment les pattes sont fixées sous l'animal, ou comment il saute droit malgré tout ?  Je me réjouis du printemps pour tenter de voir cela.

Fig 5:La cicadelle spumeuse - ici extraite de sa mousse protectrice par un vigoureux souffle. Source : F.lombard

S'émerveiller de mère Nature … au risque de renforcer une vision créationniste ?

On serait tenté de montrer avec lyrisme que la Nature avec un grand N a précédé l'homme une fois de plus, et j'avoue qu'inciter l'arrogance humaine à plus de modestie ne me déplait pas...  Cependant ce discours pourrait facilement renforcer les visions déterministes et créationnistes : ce serait parce que c'est utile pour l'insecte qu'un tel mécanisme apparaît !
On peut plutôt discuter comment des individus que le hasard aurait munis de pattes se frottant l'une l'autre ont pu sauter plus droit, mieux échapper aux prédateurs et avoir plus de descendants, ou comment les Issus actuels sont plutôt les descendants de ceux qui ont auraient eu de petits défauts dans ces surfaces, des aspérités qui ont limité des glissement des surfaces, comment certaines aspérités les ont plus aidés que d'autres ...  bref placer la discussion du lien forme-fonction dans une perspective évolutive. 
Rien n'a de sens en biologie si ce n'est à la lumière de l'évolution  ...
    "Nothing in biology makes sense except in the light of evolution"  Dobzhansky, T. (1973).

Sources :

  • Ball, P. (2013). Insect leg cogs a first in animal kingdom. Nature. doi:10.1038/nature.2013.13723
  • Burrows, M., & Sutton, G. (2013). Interacting Gears Synchronize Propulsive Leg Movements in a Jumping Insect. Science, 341(6151), 1254‑1256. doi:10.1126/science.1240284
  • Dobzhansky, T. (1973). Nothing in biology makes sense except in the light of evolution. American Biology Teacher, 35(3), 125-129.
  • Franklin, C. E., & Axelsson, M. (2000). Physiology: An actively controlled heart valve. Nature, 406(6798), 847‑848. doi:10.1038/35022652
  • Loyer, B., Petit, D., & Hodebert, G. (1999). 300 insectes faciles à voir. Paris: Nathan.