vendredi 26 septembre 2008

Le camouflage de mobilité

Les insectes sont souvent camouflés ... immobiles




Fig 1 : Biston betularia : un exemple classique de camouflage immobile. (Source Kettlewell, Oxford ) Phasme-bâton qui ressemble à une brindille (source : Phasmes.com).

On connaît bien les formes de camouflage des insectes notamment, comme le fameux Biston betularia (phalène des bouleaux) qui est un exemple classique (et maladroitement fondé-nous y reviendrons) dans l'évolution. Ou les Phasmes qui ressemblent à des brindilles de bois. Mais tous ces camouflages supposent l'animal immobile.

Les libellules sont des prédateurs très rapides

Fig. 1 : Une libellule (Aeschne sp. bleue ?) assez proche de Hemianax. On voit bien ses grands yeux qui lui donnent une vue très large.
Ici encore en cours de séchage après sa mue elle m'a été plus facile à photographier près de Genève ! (Source : F.Lo)

Pour la libellule qui chasse en vol, la question du camouflage se pose autrement ... Or ces animaux défendent fortement leur territoire et pour les auteurs ce sont les plus anciens prédateurs aériens.


Fig 3 . Les libellules géantes étaient les premiers prédateurs des airs selon Mizutani et al. (2003). En effet des libellules géantes de 80cm d'envergure ont régné les airs au carbonifère il y a environ 320 millions d'années !(source Wikipedia)


La libellule qui se cache par la virtuosité de son vol

Fig 4 : Hemianax papuensis [img] source : Brisbane Insects and Spiders Home page.

Mizutani Akiko, et al. (2003) ont découvert il y a quelques temps chez une espèce de grandes libellules , Hemianax papuensis, qu'elle est capable de se déplacer en fonction des mouvements de ses proies pour paraître immobile sur le fond visuel.

En effet on sait que les yeux des insectes sont particulièrement sensibles aux mouvements. Quand un insecte volant se déplace, sur sa rétine l'image de l'arrière-plan (Rive de l'étang par exemple) se déplace (Optic flow), de manière régulière selon sa vitesse et sa direction. Un insecte volant dans une autre direction ou immobile serait très visible par contraste.


Par des manoeuvres aériennes très rapides, accélérations énergiques et virages puissants (cf fig 1.b) , la libellule camouflée réussit se placer toujours devant le même point du fond visuel (1.a) alors même que sa proie ou son concurrent se déplace. Ainsi elle se distingue très peu du fond, car il n'y a pas de mouvement apparent pour la proie.



Figure 1a Interactions entre deux libellules mâles : les lignes relient celui qui est camouflé (en bleu) et celui dont il se cache en rouge. On voit que ces lignes se croisent en un point : par rapport à ce point (arrière plan) le bleu parait immobile au rouge . 1b : les accélérations sont très fortes par moments ( vitesse angulaire en degrés.s-1) 1c : un autre example : le camouflé se déplace de manière à être indiscernable d'un objet immobile qui serait situé à l'intersection des lignes ( sphère arc-en-ciel) (image et légende complète An)

Encore une tactique impressionnante pour un si petit cerveau, mais qui a eu pas mal de millions d'années pour optimiser ses performances et sa taille !

Quand les militaires s'en inspireront-ils ? Probablement qu'ils y ont déjà pensé, hélas. Mais les inerties des avions de plusieurs tonnes ne permettent peut-être pas l'incroyable agilité de ces libellules !

Références

dimanche 21 septembre 2008

Le jeu de jambes de la mouche, une trajectoire d'évitement !

D'après une nouvelle dans Science Now : Miller, Greg. (2008)Fancy Footwork Helps Flies Cheat Death, ScienceNOW Daily News, 28 August 2008

Le jeu de jambes : digne de Lucky Luke !
Pesant à peine un milligramme, la mouche à vinaigre, Drosophila melanogaster est perpétuellement menacée d'écrasement. Des chercheurs du California Institute of Technology viennent de découvrir qu'un complexe jeu de jambes, bien plus qu'un simple réflexe, lui permet d'échapper à la main vengeresse. En quelques millisecondes elle analyse la trajectoire de la menace et adapte la position de ses pattes centrales - d'avant en arrière et de côté - pour la projeter et lui permettre de décoller dans la direction opposée au danger.

Fig 1 : La Drosophila positionne en quelques dizaines de [ms] ses pattes centrales vers l'avant (observer leur déplacement par rapport au point rouge) pour se projeter en arrière au décollage (ici le danger vient de devant et un peu de côté). L'image montre la mouche de côté et par dessous grâce à un système de miroirs. Credit: Gwyneth Card and Michael H. Dickinson, Current Biology 18 (9 September 2008)


Fig 2 : La mouche fuit (jump angle) à l'opposé de l'angle d'approche (approach angle) [Image complète ] Source : Card, G., & Dickinson, M. H. (2008)

Petite, mais futée !
Gwyneth Card et Michael Dickinson du California Institute of Technology à Pasadena ont utilisé des caméras video qui capturent 5400 images/seconde. Ils ont vu ce que personne n'imaginait possible pour un insecte dont le cerveau a environ 100'000 neurones : en environ 150 [ms], (200[ms] avant de décoller) les mouches positionnent leurs jambes de manière à placer leur centre de gravité dans l'axe du départ prévu.

Une vidéo au ralenti de ce mouvement est disponible ici.

Comment les attraper alors ?
L'auteur de la news suggère de surcorriger : viser plus loin que la mouche à l'arrêt puisqu'elle va fuir l'arrivée de la tapette a mouche ! On sait d'ailleurs (Jablonski, P.G et al. 2001) que certains oiseaux ( Myioborus pictus) exploitent ce système pour faire s'envoler les mouches plus tôt et mieux les attraper !

Le circuit de fibres géantes (GF) impliqué ?
On connaît un circuit conduit par une paire de neurones de grand diamètre qui est impliqué dans les réponses de fuite des mouches mais que cela ne semble pas suffire à expliquer la finesse de cette réaction.
"A pair of large-diameter interneurons called the giant fibers (GF) are thought to trigger visually mediated escape responses in flies by coordinating the rapid bilateral contraction of leg extensor and wing-depressor muscles" Card, G., & Dickinson, M. H. (2008)
Chacun sait que les neurones ont une vitesse de réaction qui est liée au diamètre de l'axone : plus gros axone -> plus rapide. C'est probablement la raison de leur taille "géante".

Chez d'autres insectes ?
D'autre part, d'après les auteurs de l'article, les sauterelles aussi font des ajustements de leur position avant de sauter pour fuir ou mieux atteindre leurs cibles visuelles.
Il y a aussi la libellule qui se déplace pour paraître immobile aux yeux de ses prédateurs, mais cela mérite un autre bio-tremplin bientôt !

Un Bio-tremplin récent avait mis en évidence que cette faculté existe aussi chez les poissons-archer.
Ainsi la géométrie et la balistique dans les petits cerveaux n'est pas rare !
Notez bien que je n'ai pas saisi l'occasion de parler du foot, ou des tennismen qui ont raté leurs études et obtenu des médailles... ;-)

Calcul mental ?
Comment un si petit cerveau peut faire aussi vite l'analyse de positions dans leur champ visuel ( positions azimutales) pour en déduire la direction de fuite - l'équivalent de calculs complexes d'un système de DCA - est une belle question qui attend les futurs chercheurs que sont nos élèves ... des prix Nobel à faire, peut-être ?

Références

mercredi 17 septembre 2008

Addiction: le côté obscur de l'apprentissage demain jeudi soir

Une conférence sans doute remarquable sur l'addiction ... un sujet auquel nous sommes tous confrontés, et pour lequel des avancées importantes apportent un éclairage nouveau.

l'addiction



Chaque époque produit ses dépendances: substances toxiques, jeu d'argent, réalité virtuelle, Internet Jeudi 18 septembre, le prof. Christian Lüscher et le Dr Daniele Zullino présenteront les dernières recherches en neurosciences et en psychiatrie, montrant que l'addiction correspond à un dérèglement des mécanismes d'apprentissage.

Tout effort d'apprentissage, dans quelque domaine que ce soit, est motivé par l'attente d'une récompense. Il arrive que la recherche du plaisir lié à cette récompense s'emballe et occulte la finalité liée à l'apprentissage. Dans ce cas, la fin ne justifie plus les moyens et les moyens deviennent une fin en soi, entraînant des comportements de type compulsifs.

L'exposé du prof. Lüscher et du Dr Zullino est le troisième du cycle de conférences publiques annuelles organisées par la Faculté de médecine de l'UNIGE. Le cycle 2008 est dédié à la Fondation Louis-Jeantet de médecine, qui célèbre cette année ses 25 ans.

Christian Lüscher est professeur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l'Université de Genève. Il s'est orienté vers une formation de clinicien-chercheur en physiologie et en pharmacologie cellulaire et moléculaire.

Daniele Zullino est Privat-Docent de la Faculté de médecine de l'Université de Genève depuis 2006 ; Médecin-Chef du Service d'abus de substances du Département de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève.

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Addiction: le côté obscur de l'apprentissage
Centre médical universitaire (1 rue Michel-Servet, Genève)
Auditoire 400
Jeudi 18 septembre 18h30
Entrée libre

jeudi 11 septembre 2008

GéNographie ? Situer les différences génétiques interindividuelles produit une carte d'europe !

Situer les différences génétiques interindividuelles produit une carte d'europe !

Un traitement statistique des variantes génétiques (SNP) pour plus de 1000 européens (Analyse en composante principales) produit une répartition de ces individus qui ressemble bien à la carte de leurs ancêtres... On y distingue même les Suisse-allemands des Romands et des Tessinois.


Fig 1 : Les différences génétiques peuvent-être représentées dans 2 dimensions qui ressemblent remarquablement à une carte géographique. source: Cahoon, Lauren, (2008) Carte plus détaillée

Dans une news de Science, Lauren Cahoon (2008) décrit les résultats d'une étude par John Novembre à l'University of California, Los Angeles (Novembre, J., et al. 2008 Genes mirror geography within Europe) dans la revue Nature. Ils ont comparé 500,000 SNP (Single Nucleotide Polymorphisms) parmi 1387 Européens dont les grands parents étaient de la même région qu'eux pour établir une représentation en 2-d de ces différences.

SNP ?

Les SNP sont des endroits du génome humain où l'on connaît au moins deux variantes de nucléotides à cette position précise. Ce sont donc des sortes de marqueurs de variation. (cf Bio-Tremplins février 2008) Ces variantes sont répertoriées dans une base librement accessible DbSNP

D'anciennes questions avec de nouveaux outils... à apprivoiser

Cavalli-Sforza avait déjà utilisé ces outils statistiques (Notamment l'ACP) pour établir une cartographie génétique, mais sur la base des fréquences des allèles de plusieurs gènes.

Maintenant qu'on peut séquencer des milliards de base à la fois, et traiter statistiquement des montagnes de données, on peut aborder les mêmes questions sur la base d'une avalanche (un demi-million ici) de variantes (SNP) chez de très nombreuses personnes , 1000 ici. Ces nombres vont sans doute augmenter très vite.
On est déjà capable de séquencer des milliards de base en peu de jours, mais une comparaison sur l'ensemble du génome de nombreux individus n'est pas encore aisée...
Là aussi on voit que le biologiste peut de moins en moins se passer d'une bonne base dans le domaine des technologies de traitement de l'information, simplement pour bien comprendre et mettre en perspective les résultats qui sont publiés.

Une analyse statistique
Une analyse en composante principale (ACP) cherche les axes de variations maximum dans l'espace de toutes ces variations des SNP. Elle réduit les variations à 2 axes en somme. (Sorry les statisticiens, c'est très simplifié... voir ici pour plus de détails) On peut ainsi visualiser ce qui différencie les individus de l'échantillon et ce qui les rapproche sur l'ensemble des SNP.

L'étonnante correspondance avec la carte (souvent à quelques centaines de km près)) révèle selon Carlos Bustamante a quel point les mariages ne sont pas aléatoires, mais bien plus probables à l'intérieur des groupes sociaux qui correspondent en gros aux pays et aux langues. La suisse se révèle ainsi être constituée de 3 clusters assez distincts, avec peu de brassage génétique entre eux.
Fig3 : Les suisses des 3 régions linguistiques peuvent être souvent être distingués génétiquement. Source (Novembre, J.., et al. (2008))

La géNographie

Ils proposent le terme de geNographie pour ce type d'études. Les usages de ce type d'information sont nombreux, disent les auteurs : avec plus de données, cela permettra peut-être de situer l'origine d'un individu sur la carte, une forme d'aide à la généalogie. Pour la médecines légale on peut situer sur la carte des traces ( cheveu, sang, etc.) d'un suspect ou un coupable...



Cela soulève des enjeux éthiques ou légaux nouveaux.

Que nous apporte la géNographie !?


Nous avions vu dans les Bio-tremplins ici (mai 2008) qu'on avait pu- avec les SNP également - confirmer l'origine africaine des populations mondiales et leur répartition selon 2 grands mouvements de migration.


La fameuse revue National Geographic propose avec The Genographic Project une identification de son origine ethnique dans le projet Your Genetic Journey pour situer son lignage sur des dizaines de milliers d'années "explain the genetic journeys that bond your personal lineage over tens of thousands of years. "

La question des origines prend un autre éclairage aux USA où l'esclavage a déraciné pas mal de gens et où les arbres généalogiques ne sont pas disponibles pour beaucoup de descendants de colons.

Mise en perspective

Mattias Jakobsson,un généticien des populations à l'Université d'Uppsala en Suède souligne que si ces statistiques très fines ont pu mettre en évidence des différences, cela ne devrait pas faire oublier que les similitudes entre européens sont bien plus grandes que ces différences !

A l'expo Chromosome Walk de l'UniGE au jardin Botanique, Marie-Claude Blatter disait à mes élèves qu'il n' y a qu'1 pour mille qui change dans le génome d'une personne à l'autre : bien sûr ça fait quand même 3 millions de différences, mais ça ne doit pas masquer la très grande similitude entre nous tous.
Pour paraphraser l'expositions conçue par Hubert Van Blyenburgh,

"Tous semblables tous différents" ...

André Langaney fustige ces tests dans une émission récente de la RSR Podcast.
Une mise en garde de Charmaine Royal du Duke Institute for Genome Sciences and Policy (Brendan, Maher. 2008) souligne combien ces tests peuvent avoir des conséquences psychologiques lourdes et qu'ils posent la réalité des race comme un fait, comme si il y avait 4 ou 5 groupes d'humains descendant d'ancêtres distincts et bien séparés les uns des autres alors que la recherche en génétique a montré que ces séparations n'ont aucun fondement. L'usage de tels test pour permettre aux juifs de vérifier leur origine fait pas mal de bruit en évoquant de sinistres précédents : un article dans un gratuit évoque le scandale Melilo, Giuseppe. (2008)


Et en français ?
Références
Update 15 XI 08 : ajouté les liens sur les commentaires d'André Langaney et la mise en garde de Charmaine Royal du Duke Institute for Genome Sciences and Policy (Brendan, Maher. 2008). Et une réf. d'un journal gratuit sur un test qui identifie les juifs a été rajoutée