mercredi 26 août 2009

Oubliez ce que vous savez, la mémoire a changé !


...Ou plutôt n'oubliez pas, mais préparez-vous à sensiblement enrichir et modifier ce que vous savez !

On sait maintenant -par exemple- que l'évocation d'un souvenir, ce n'est pas simplement rappeler une information inscrite quelque part dans notre cerveau : c'est la reconstruire - et même probablement la modifier de ce fait. Il en résulte qu'une interrogation de la mémoire maladroite ou malintentionnée peut sérieusement l'altérer : on parle d'implanter des faux souvenirs. (Il semble que l'exemple d'Outreau soit une illustration dramatique de ce phénomène). Par exemple demander "De quelle couleur était la voiture qui a débouché à vive allure et écrasé le piéton ?" C'est subtilement implanter l'idée que la voiture allait trop vite. Le témoin risque désormais de se souvenir en toute bonne foi de cette vitesse excessive.

Les faux souvenirs : une spécialiste à Genève mardi 1er septembre

La plus connue des spécialistes de ce domaine des faux souvenirs est probablement Elizabeth Loftus, qui donne une conférence à UniDufour mardi prochain 1er septembre. Cf plus bas


Le point sur la mémoire ?

Pour faire le point sur la mémoire de manière générale, un excellent numéro spécial de LA RECHERCHE présente un dossier intitulé "MEMOIRE : nouveaux regards sur notre cerveau". Quelques extraits pour vous faire envie ...

Anticiper c'est "fabriquer" un souvenir possible avec l'expérience passée ?

"Les récents travaux des neurosciences l’ont révélé, c’est en nous aidant à reconstruire le passé et à nous projeter dans le futur que notre mémoire et ses différents systèmes forgent notre identité." Ainsi les mêmes mécanismes sont mis en oeuvre quand on évoque et quand on cherche à anticiper : on fabrique des "souvenirs" anticipés quand on se projette dans le futur. " Ainsi, projection de soi, état de repos et prédiction utilisent la même machinerie cérébrale." Pour Moshe Bar, la simulation, la planification et la combinaison du passé et du futur, qui occupent constamment notre cerveau fabriquent de nouveaux: éléments à mémoriser, des faux souvenirs en quelque sorte puisqu'ils ne correspondent à aucun événement réel."

Diférentes formes de mémoire

Selon L'organisation de la mémoire, La Recherche VII 09 on peut distinguer différentes formes de mémoire extraits-intranet.jpg
  • Mémoire à court terme.
  • Mémoire à long terme
    • Mémoire épisodique
    • Mémoire sémantique
    • Mémoire perceptive
    • Mémoire procédurale
Les régions impliquées dans la mémoire sont décrites dans L'anatomie des souvenirs, la Recherche VII09 extraits intranet .jpg D'autres aspects de la mémoire m'ont paru intéresssants :

La bonne influence des émotions

La manière dont les émotions -même négatives - influencent positivement la mémoire est discutée dans Rémy Lestienne. La bonne influence des émotions, La Recherche, VII09 extraits-intranet.pdf Chacun sait qu'il est plus facile de mémoriser ce qui a une charge émotionnelle forte. Pour apprendre les noms des gens on recommande par exemple d'associer avec des items qu'on aime ou déteste voire carrément grivois... L'hippocampe et l'amygdale (pas celles au fond de la gorge, celle qui est au centre de l'encéphale....) travaillent de concert pour mémoriser, notamment dans le cas du conditionnement (Pavlovien). "L'amygdale contrôle le déclenchement des réactions émotionnelles et l'apprentissage du conditionnement, c'est-à-dire l'association entre la stimulation et l'émotion induite. L'hippocampe - quant à lui - effectue la mise en situation contextuelle de l'événement, et détermine les conditions de sa mise en mémoire. " Rémy Lestienne. La bonne-influence des émotions

L'hormone de la faim qui aide à mémoriser

Un article récent (Ledford, Heidi,2008) montre qu'une hormone de la faim (la ghreline) aide à mémoriser. Juste avant les repas, quand la ghrelin déclenche le sentiment de "faim", les auteurs ont mis en évidence une meilleure mémorisation des images de repas et une activité accrue de l'amygdale. Cet effet est annulé quand la ghrelin est bloquée. Ils suggèrent que de bien retenir ce qu'on a mangé aide à établir l'association avec ce qu'on a mangé pour l'éviter lorsque le mets nous a rendu malade ou retrouver l'endroit si il était bon : un tel conditionnement a un avantage évolutif évident. Est-ce que la ghrelin pourrait aider à apprendre le latin ou la biologie ? Les auteurs sont prudents et expliquent que les expériences sur les souris n'aident pas à trancher : "pour un rongeur, la plus grande partie de la mémoire concerne la nourriture" ! Par contre, selon Heidi Ledford cela pourrait poser un problème si on essaie de bloquer la ghrelin en vue de lutter contre l'obésité puisque cela risque de perturber la mémoire...

L'oubli : nécesssaire !

Le Temps a aussi publié des articles sur l'importance de l'oubli avec les effets dramatiques de l'hypermnésie (des gens qui n'oublient quasiment rien ! ) Un cas d'une personne dont la mémoire épisodique est presque sans limite, montre combien l'oubli est nécessaire. "La mémoire de Jill Price est presque parfaite. Elle enregistre 99% de ses expériences vécues et de ses émotions indépendamment de leur force. En comparaison, une mémoire normale ne conserve que 3% des expériences et favorise celles qui sont reliées à des émotions intenses. Cette disposition ne rend pas la vie plus facile à Jill Price. «Cela peut faire très mal comme procurer de la joie», dit-elle simplement. Les souvenirs vont et viennent, défilant devant ses yeux comme un chuchotement continu dans l’oreille. Une odeur, une chanson ou une rencontre peuvent servir de détonateur. «Le 2 septembre 1991, nous étions venus en famille au Grill. J’ai mangé du poulet et du riz.» «Je suis prisonnière de mes souvenirs», déclare-t-elle. Chaque vision du passé lui apparaît de manière aussi exacte que si elle la revivait. Les émotions la secouent aujourd’hui avec la même vigueur qu’hier. Le décès de son mari il y a quatre ans repasse sans cesse devant ses yeux sans qu’elle puisse l’effacer. «Seul le choc s’est atténué», concède-t-elle. "

Quant aux rasons d'oublier Christof Gertsch cite Schacter
"Dans son livre The Seven Sins of Memory (Les sept péchés de la mémoire), Daniel L. Schachter, professeur de psychologie à Harvard, détaille comment nous perdons le reste.
1. Le caractère éphémère: la perte de mémoire au fil du temps permet de se concentrer sur l’essentiel.
2. La distraction: pendant que nous laissons vagabonder nos pensées, le cerveau se révèle particulièrement créatif. On oublie où l’on a déposé les clés de la voiture, mais en échange on gagne un important moment de fantaisie.
3. Les souvenirs enfouis: la réponse est sur le bout de la langue, pourtant on ne parvient pas à l’exprimer.
4. La gêne: le souvenir du passé est influencé par les sentiments du présent. Nous affirmons que nous sommes opposés à la guerre en Irak depuis des années, uniquement parce que nous le sommes aujourd’hui. L’avis que nous nous forgeons sur quelqu’un dépend de l’opinion publique sur ce type de personnage.
5. Le souvenir tronqué: nous affirmons que Scarlett Johansson a joué dans tel film alors qu’il s’agissait de Penélope Cruz.
6. La suggestibilité: l’invention de faux souvenirs en raison d’influences extérieures. Les enfants y sont particulièrement sensibles.
7. La ténacité: le cerveau humain se souvient des émotions fortes plutôt que des instants indolents. Une belle faculté lorsqu’on se remémore un premier amour, mais plus désagréable lorsqu’on se souvient de moments honteux. "


Grande conférence Les illusions de la mémoire par Elizabeth Loftus, psychologue et professeure à l'Université de Californie Mardi 1er septembre, 18h30, Uni Dufour
Connue du grand public américain pour avoir cerné puis conceptualisé le phénomène des «faux souvenirs», la psychologue Elizabeth Loftus travaille sur la nature de la mémoire individuelle et sur la manière dont nous archivons les faits vécus. Montrant, expériences à l’appui, comment de faux souvenirs peuvent être implantés dans l’esprit des gens, Elizabeth Loftus mène des expertises, au niveau scientifique, dans le domaine juridique et intervient fréquemment, aussi sous l’angle éthique, dans le débat public aux Etats-Unis. Conférence donnée en anglais, avec traduction simultanée en français https://mediaserver.unige.ch/play/68193

Cette conférence est accessible en vidéo depuis ici

Retrouvez l'intégralité du programme sur: http://www.unige.ch/450



Sources

  • La Recherche n°432 - Juillet-Août 2009 Spécial mémoire : nouveaux regards sur le cerveau
    • Dossier Spécial Mémoire : Nouveaux regards sur le cerveau
    • Des cerveaux prodigieux, par Laurent Mottron
    • Notre passé construit notre futur, par Lilianne Manning extraits-intranet.pdf
    • L’anatomie des souvenirs extraits intranet .jpg
    • Tous les rouages de notre identité, par Martin A. Conway et Pascale Piolino extraits intranet.pdf
    • L’organisation de la mémoire extraits-intranet.jpg
    • Comment se forment nos habitudes, par Hélène Beaunieux extraits-intranet.pdf
    • Les traces cachées de nos souvenirs, par Pierre Gagnepain et al.
    • La bonne influence de nos émotions, par Rémy Lestienne extraits-intranet.pdf
    • Des faits qui résistent à l’oubli, par Aline Desmedt
    • L’histoire d’Henri Gustav Molaison, par Marie-Laure Théodule et Delius
    • La dépression nous éloigne de nous-mêmes, par Philippe Fossati
    • Vieillir sans absences, par Anne-Marie Ergis
    • Repérer plus tôt Alzheimer, par Hélène Amieva
    • Un ordinateur dans la tête, par Bernard Lechevalier
    • « J’ai révélé la mémoire épisodique », Entretien avec Endel Tulving
Il y aussi de nombreux autres articles sur le sujet mais ... j'ai oublié ! : )) Ah non ... ils sont ici :
Complété le 21 IX09 avec un lien sur la conférence

L'union fait la force... des abeilles contre le frelon !

Comment les abeilles parviennent-elles à bout d'un prédateur beaucoup plus gros ?

Animal behaviour: Smothered by a swarm

Fig 1 : un essaim d'abeilles.(source Nature Research Highlights)

Au Japon, les frelons sont des prédateurs des abeilles mais elles réussissent à tuer ces frelons en s'agglutinant autour de l'envahisseur. Selon une news dans Nature on savait depuis longtemps que se produit ainsi un échauffement – jusqu'à 46°C – et on pensait que cela suffisait à tuer les frelons tout en épargnant les abeilles plus résistantes à la chaleur. Une étude récente (Sugahara, M., et al. 2009) révèle que la chaleur doit être accompagnée d'une augmentation du CO2 : dans ces boules d'abeilles (Apis cerana japonica), elle atteint le taux de 3.7% et dans cette atmosphère, la température de 46° est létale pour ces frelons (Vespa mandarinia japonica). Ces frelons-là ne sévissent pas chez nous, heureusement.

Fig. 2 : Vespa mandarinia japonica est énorme. A droite : une "boule d'abeilles" en train d'étouffer une frelon (Sources: vespa-crabro.deanimalpicturesarchive.com , wikipedia)

Les forces et les limites de l'approche réductionniste.

On voit ici la force, elle a pu résoudre cette question et, puisqu'il a fallu deux temps et durant un moment on a cru avoir résolu le problème, les limites d'une approche qui isole les paramètres pour les étudier les uns après les autres; l'approche dite réductionniste. Bien qu'elle soit très probablement dominante dans la biologie actuelle, elle marque ses limites dans certains problèmes, comme par exemple les interactions dans le métabolisme d'une cellule ou les études toxicologiques, les études d'effets de polluants ou les effets secondaires des médicaments : l'effet combiné de deux paramètres peut être beaucoup plus fort que chacun séparément ou même la somme des deux. Pour prendre un exemple simpliste, une personne deshydratée ou malade supportera très mal une température qui ne lui aurait pas posé de problème en temps normal, ou encore une femme enceinte ou un immunodéprimé ne supportera pas un fromage avec des bactéries (Listeria dans le Vacherin par exemple) que la plupart des gens supportent fort bien. Comment établir un seuil-limite tolérable ? On a vu un exemple plus complexe avec le millepertuis et le Sintrom dans une Bio-Tremplins du 20 aout 09 : Quand une herbe médicinale interagit avec un médicament vital On sait pourtant bien que le vivant est plus que la somme de ses parties !

Une approche globale : la biologie des systèmes ?

Aussi la biologie est en train de s'accroitre d'une approche plus synthétique : la biologie des systèmes. Elle cherche à intégrer les masses de données issues l'approche moléculaire avec l'aide de modélisations informatiques de systèmes vivants comme une cellule ou un écosystème pour en explorer le fonctionnement global. Pour y parvenir elle travaille en équipes pluridisciplinaires des biologistes, des chimistes, des mathématiciens et des informaticiens. Nous aurons bientôt l'occasion d'en reparler ...

Sources

mercredi 19 août 2009

Le "naturel" et le "chimique"... pas sans danger !

Quand une herbe médicinale interagit avec un médicament vital

Le millepertuis (Hypericum perforatum) est largement utilisé en tisanes pour son effet en cas de "dépressions, humeur morose, anxiété, états de tension et difficultés d'endormissement ou troubles du sommeil " (Source ch.oddb.org).
répartition Hypericum perforatum L. s.str.
Selon Swiss Web Flora, Hypericum perforatum L. s.str. est présente partout en suisse.

Elle est vendue sur internet par exemple ici [img] avec l'indication:
Conseils d'utilisation : 3 x 30 gouttes par jour pendant 3 à 4 mois. Evitez l'exposition au soleil. Consultez votre pharmacien ou votre médecin pour toute interaction avec des médicament.

Un médicament "pour le coeur"

De nombreuses personnes prennent l'anticoagulant acénocoumarol. Connu par exemple sous le nom de Sintrom (Source ch.oddb.org) il est donnés aux personnes souffrant de problèmes cardiaques ou à risque de thrombose. Le maintien dans le sang de la dose précise en est critique : trop et on risque des hémorragies, trop peu et l'effet protecteur contre les thromboses disparait.

L'interaction dramatique entre 2 produits bénéfiques ?

Mais prendre les deux ensemble, c'est s'exposer à une interaction dramatique ou les enzymes de dégradation (Cytochrome p450, ou CYP3A4 par exemple) sont activées par les molécules de la tisane et diminuent ainsi la dose du médicament effectivement présent dans le sang : on risque d'être en-dessous de la dose thérapeutique.
"Ceci peut conduire à une diminution des concentrations plasmatiques et à un affaiblissement de l'action thérapeutique de toute une série de médicaments prescrits en même temps ainsi que - surtout en cas de substances à faible spectre thérapeutique - à des conséquences potentiellement graves. Le taux plasmatique et/ou l'action de remèdes interactifs - en particulier ceux à faible spectre thérapeutique - devraient de ce fait être soigneusement contrôlés au début et à la fin du traitement ainsi que lors du changement de dose de la préparation au millepertuis avec adaptation de leur dosage. Inversement, il peut se produire, lors de l'arrêt soudain de la prise de médicaments au millepertuis, une augmentation de la concentration plasmatique des remèdes pris dans le cadre d'un traitement adjuvant, phénomène accompagné d'éventuels effets toxiques."Source ch.oddb.org

Hypericum perforatumC'est naturel, ça peut pas faire de mal, non ?

Pourtant cette plante naturelle, aux usages paraissant anodins et bienfaisants peut causer, selon un review Zhou et al. (2004), une diminution de la concentration sanguine de plusieurs médicaments : amitriptyline, cyclosporine, digoxin, fexofenadine, indinavir, methadone, midazolam, nevirapine, phenprocoumon, simvastatin, tacrolimus, theophylline et warfarin. Selon ces chercheurs, elle a causé le rejet de greffes en interagissant avec la cyclosporine, des hémorragies graves et des grossesses non désirées en inactivant la pilule contraceptive.
La recherche scientifique apporte ici des réponses précieuses basées sur des données rigoureuses.

Une mise en garde officielle

En suisse l'OICM (Office Intercantonal de Contrôle des Médicaments devenu SwissMedic) a diffusé en 2000 et – suite à des recours des droguistes – révisé en octobre 2002 une mise en garde à ce propos :
"Suite aux annonces d’interactions possibles entre des spécialités contenant des extraits d’Hypericum pour la voie orale et de nombreux autres principes actifs, en particulier certains immunosuppresseurs (ciclosporine), des anticoagulants oraux (phenprocoumone), des contraceptifs oraux (éthinylestradiol et désogestrel), la digoxine et des inhibiteurs des protéases influant sur le métabolisme du CYP3A4 (p.ex. l’indinavir). "
Il s'ensuit que ces produits ne peuvent plus être vendus en droguerie mais seulement en pharmacie et des règles sur l'information au patient et l'emballage : entre autres
"Le patient devra être informé des risques d’interaction par une mise en garde bien visible («boxed-warning») sur le cartonnage et dans l’information destinée aux patients. "

Un autre son de cloche en médecine alternative...

D'autres minimisent ces dangers : par exemple le spécialiste des plantes sauvages comestibles et médicinales, François Couplan s'élevait dans "Le journal du dimanche" à la radio suisse romande le 28 juin 2008 contre cette mise en garde en suggérant qu'elle serait téléguidée par l'industrie pharmaceutique et le lobby des médecins et pharmaciens, et que ce médicament n'aurait pas plus d'effets secondaires que les autres.

Mettre en perspective, apprendre à se faire une opinion étayée ?

C'est peut-être un exemple qu'on peut discuter en classe dans le débat qui oppose le "naturel" au "chimique"... On pourrait par exemple distinguer les points de vue de
  • l'industrie pharmaceutique,
  • la recherche scientifique
  • les médecines alternatives.
Les liens proposés peuvent faciliter l'accès à des ressources authentiques, qui paraitront aux élèves moins "scolaires".

Peut-on tenter d'intéresser les élèves à la botanique par des exemples comme celui-ci ?

Sources

Mise à jour 20 VIII 09 : corrigé quelques erreurs amélioré la mise en page et ajouté une image du sintrom.
Mise à jour le 23 XI 16 Corrigé les liens morts