mercredi 5 mars 2008

L'agressivité des ados visualisée dans le cerveau ?

L'aggressivité des ados visualisée ?

Un exemple typique de la puissance visuelle d'une image de neuroimagerie et de la nécessité de l'interpréter :
Fig 1 : Un ado qui a l'amygdale plus grande (à droite) est plus souvent agressif dans ses interactions avec ses parents qu'un jeune avec l'amygdale de taille plus réduite (gauche) selon Quill, Elizabeth. (2008). Credit: Sarah Whittle and study group img

Selon une étude récente rapportée dans ScienceNow par Quill, Elizabeth. (2008) Teen Aggressiveness in the Brain, les ados qui interagissent plus agressivement avec leurs parents ont des structures cérébrales de taille différente. Elle dit qu'en moyenne leur amygdale (qui traite les réponses émotionnelles) est plus grande que celle des ados coopératifs.

et non

Figure 2 : Il s'agit ici bien sûr de l'amygdale -qui est au singulier même si elle est bilatérale- dans le système nerveux (elle fait partie du système limbique) et non des amygdales au fond de la gorge (organe immune secondaire) ! ( Selon wikipédia "Dans les deux cas, l'étymologie du terme vient du latin amygdala qui signifie amande, en référence à la forme de ces structures.")
L'adolescence : un déséquilibre entre amygdale et cortex préfrontal ?

Selon cette nouvelle, avec les hormones de la puberté, l'amygdale s'accroît et devient plus active produisant des comportements plus emportés. Le cortex préfrontal ( la surface du cerveau juste derrière le front PFC en abrégé anglais) régulerait l'amygdale pour assurer des comportements socialement acceptables.
Selon cette news, le PFC ne se développerait ou ne maturerait pas aussi vite et n'arriverait pas à pleinement contrôler l'amygdale. Avec l'âge adulte, il semble que les connexions inhibitoires se développent entre ces deux zones et le PFC parvient à mieux contrôler, et cela expliquerait un comportement moins impulsif chez les adultes.
D'autres parlent de "fonctions executives" en les liant au PFC (exemple), et je ne peux m'empêcher de trouver que cela ressemble un peu à ce qu'un certain Sigmund appelait Surmoi.

Comment ont-ils procédé ?

Dans le papier de Whittle et al, des chercheurs Australiens ont filmé des ados de 11 à 14 ans lors de discussions avec leurs parents sur des sujets sensibles ( les heures de coucher, les devoirs, l'usage du téléphone etc). Ils ont classé en termes d'agressivité ( selon une échelle standardisée LIFE (Hops H, et al.1995 ) les discussions, leur contenu, les expressions, et le ton de la voix.
Par IRM classique ils ont aussi mesuré les volumes de diverses structures de l'encéphale de ces adolescents.

Résultats
Les résultats dans cet article sont plus nombreux (différence garçons -filles, autres différences cérébrales, etc.) si on regarde l'article de Whittle S, et al. (2008) (Intranet.pdf)... je vous laisse le faire. D'ailleurs la seule image de l'article n'est pas celle de la news, mais une explication méthodologique.
Donc l'un de ces résultats a retenu plus particulièrement l'attention et fait l'objet de cette news de science : Ceux qui avaient une amygdale un peu plus grande par rapport à la taille du corps étaient plus souvent ceux qui montraient plus de comportements agressifs lors de leur discussions avec les parents.

Interprétation ?

On a une corrélation et bien sûr cela ne prouve pas qu'il y at un lien de cause a effet, ni dans quel sens cette causalité éventuelle irait...
Qui nous dit - par exemple - que ce n'est pas le surcroît d'agressivité qui induit un développement de l'amygdale ?
En somme c'est une piste de recherche, nous dit Jay Giedd du National Institute of Mental Health à Bethesda,... c'est n'est que le début ! (exemple)
C'est tout de même une information utile pour chercher à comprendre : ces images jettent un pont entre la clinique, la psychologie et le cerveau, la biologie.
Pour beaucoup l'esprit est distinct du corps (le Dualisme de Descartes) et donc si quelque chose est considéré comme "psychologique" on est surpris de pouvoir le mettre en évidence de manière rigoureuse dans une zone du cerveau ou dans l'encéphale. Il me semble que cette vision dualiste est de plus en plus remise en question avec l'avalanche de résultats que la neuroimagerie (IRM, IRMf etc cf Bio-Review précédente ) produit !

Vulgarisation ou déformation ?

Réduire l'adolescence à un conflit entre le cortex préfrontal et l'amygdale ne convaincra peut-être pas tous ceux qui côtoient les ados...

On voit ici bien la nécessité d'aller chercher la source de l'info pour bien comprendre. Et peut-être d'accompagner nos élèves pour les en rendre progressivement capables ... sinon comment comprendront-ils les informations dont ils sont bombardés lorsqu'ils seront sortis de l'école ?

... les aider à prendre le contrôle par le PFC de leurs envies d'apprendre ? ; -))

Exemple de texte vulgarisé en français
C'est quand même un peu réducteur. Je vois déjà un titre du patin bleu... La violence chez les jeunes : la faute à leur cerveau (si il parait je serais heureux de le joindre au blog) Comme si l'amygdale était synonyme de comportement aggressif.
Rappelons que Whittle et al. n'ont étudié que la corrélation entre l'agressivité et la taille de l'amygdale. Or elle gère aussi les autres émotions et est impliquée dans de nombreux autres phénomènes mentaux.
D'autre part l'analyse des réactions des ados est focalisée sur cet axe PFC - amygdale. Faut-il rappeler que l'encéphale est un système très fortement connecté et qu'il n'y a pas que PFC et amygdale qui interviennent dans ces propos entre parents et ados...

Bien sûr il faut simplifier quand on fait du journalisme -même scientifique- et nous le faisons dans nos documents de cours ... Mais cette simplification ne peut pas être incolore insipide et inodore... Le corolaire est que la lecture doit être active !

Mettre en perspective ?

Une lecture un peu sommaire de ces images pourrait encourager une vision très réductrice de notre fonctionnement mental.
Ici réduire l'adolescence à l'agressivité et à une opposition entre amygdale et PFC et ramener le comportement à la taille d'une aire cérébrale.
Gazzaniga l'avait dit : de telles images pourraient mener à une déresponsabilisation : que faire d'un élève qui dirait
"c'est pas ma faute, j'ai l'amygdale qu'est trop grosse m'sieur, regardez mon IRM ! "
Les émotions versus la raison? «Je ne pense pas qu'on puisse diviser le cerveau en deux» Klaus R.Scherer, directeur du Pôle de recherches national «Sciences affectives» à L'université de Genève. Le temps Mercredi 11 juillet 2007 intranet.pdf

Je crois que la tradition américaine est plus encline à une vision réductrice des fonctionnements mentaux.
D'ailleurs cette question a des conséquences juridiques et est débattue dans ce site sur la peine de mort.
"Je ne suis pas en train d'excuser les adolescents, mais ils ne fonctionnent pas avec la capacité complète d'un adulte", déclare M. Fassler. Il estime toutefois que la violence est un phénomène complexe, qui ne peut être réduit à l'utilisation de la région du cerveau appelée amygdale cérébelleuse." Source peinedemort.org
Avec ces techniques d'investigation nouvelles les limites de la biologie sont redessinées et il faudra bien nous habituer à avoir des frontières plus actives avec les psychologues, les neurologues et même peut-être les philosophes.

Déjà que c'est pas facile avec les chimistes et les physiciens pour se mettre d'accord...

Sources

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