dimanche 7 mars 2010

Réparer le climat en le polluant volontairement ?

De la prévention à la thérapeutique environnementale : un changement d'approche ?

Face aux risques environnementaux la stratégie à jusqu'ici surtout été la protection de la nature : tout faire pour éviter les dégâts. Cette approche défensive explique peut-être la perception par le public que les écolo' (au sens militant et politique) sont des neinsager, prompts à interdire et à limiter. Alors que la réalité des problèmes environnementaux est de plus en plus largement reconnue – même George W.Bush a fini par admettre le rôle de l'homme dans le changement du climat – on voit maintenant émerger une nouvelle approche : l'intervention de l'homme sur l'environnement pour corriger les problèmes. A l'échelle locale c'est déjà une réalité : depuis bien des années des projets de "renaturation" des cours d'eau se réalisent. Mais au niveau global on voit la montée en puissance de cette approche d'ingéniérie environnementale (geoengineering). On parle ainsi de mesures pour corriger le réchauffement du climat en agissant non seulement sur les causes mais directement sur les effets : tenter de refroidir la terre par des actions chimiques et physiques sur le globe et son atmosphère.

Figure 1Réparer le climat en le polluant volontairement ?

Pour le climat, certains commencent à étudier l'idée de larguer - par exemple - des sulfates dans la stratosphère pour la rendre plus blanche (augmenter son albedo) et réfléchir une plus grande part du rayonnement solaire, afin de compenser le réchauffement. (Cf Wigley, Reports, 20 October 2006, p. 452). En effet les sulfates sous forme d'aérosols réfléchissent la lumière ils devraient avoir un effet refroidissant. Dans un article récent (Rasch, P. J., Crutzen, P. J., & Coleman, D. B. (2008) des scientifiques font le point sur les méthodologies, les avantages et désavantages de telles interventions. Pour eux, l'injection de sulfates est nettement moins favorable que la prévention

Fig 1 : Certains envisagent de combattre le réchauffement de la planète en renvoyant dans l'espace une plus grande proportion de la lumière du soleil. Comme le volcan Pinatubo en 1991 en rendant l'atmosphère plus trouble. [img]Source : BULLIT MARQUEZ/AP PHOTO

Planning for plan BUne discussion des enjeux

Comme si on n'avait pas assez de questions éthiques, cette possibilité d'agir sur le climat soulève des enjeux nouveaux : dans la mesure où on arrive à modifier le climat, qui va décider de ce qu'il faut faire et si une modification est avantageuse pour certains pays et moins pour d'autres qui va trancher ? (Inman, M. (2010) Par exemple, l'injection de sulfate peut refroidir le climat, mais elle pourrait aussi produire des sécheresses et un diminution massive de la couche d'Ozone selon certains Lenton, T. M. & al.(2009), Bala, G. et al. (2008).

FIG 2 : L'injection de sulfate peut refroidir le climat, mais elle pourrait aussi produire des sécheresses et une diminution massive de la couche d'Ozone[img] © ISTOCKPHOTO / JESÚS JAVIER DEL VALLE MELENDO

toit blancPeindre les toits en blanc pour moins réchauffer la planète (et les maisons) ?

Selon Akbari, H., et al. (2009) on peut modifier l'albedo global en peignant les toits et les routes en blanc. Au niveau mondial, une telle mesure aurait un effet équivalent à la suppression de 44Gt de CO2. Repris par Steven Chu, secrétaire à l'énergie aux USA cette mesure a fait pas mal de bruit. Fig 3 : [img] Des toits blancs - comme celui-ci en montagne - pourraient limiter le réchauffement climatique. Source : F.Lombard

Larguer du fer dans la mer pour absorber du CO2

Cette approche peut choquer, mais certains pensent qu'il faut écarter les idéologies et agir avec pragmatisme : pour anticiper il faut commencer des expériences qui sont déjà dans une phase exploratoire.

Planning for plan B

Fig 4 : [img] Victor Smetacek and colleagues faced fierce opposition to their experiment on ocean ecosystems in January, owing to its possible implications for climate control. Source : TOM BRESINSKI / AWI

Victor Smetacek — un océanographe du Alfred Wegener Institute for Polar and Marine Research à Bremerhaven, en Allemagne a obtenu la permission du gouvernement allemand pour explorer les effets du fer en mer. On pense que le largage de fer dans la mer pourrait stimuler la croissance du plancton et absorber des tonnes de CO2. ils ont choisi un endroit où un vaste courant spirale de 150 Km2, où les effets sont circonscrits. Mais leur expérience a produit un développement de flagellés qui semblent avoir été mangés par des prédateurs et n'ont ainsi pas absorbé de CO2. Ce résultat a refroidi les plus enthousiastes, et d'une certaine manière calmé le débat. Pour un temps.

L'écologie de la restauration

L'écologie de la restauration est relativement jeune — la Society for Ecological Restoration International (www.ser.org/default.asp) fête ses 21ans cette année — mais elle joue un rôle important dans les efforts pour un développement durable. Ce terme définit une dimension nouvelle de l'écologie et révèle peut-être nouveau métier ? Au fond les ingénieurs de l'environnement sont peut-être déjà dans cette voie depuis longtemps. Leslie Roberts, et al (2009) ouvrent sur ce thème un numéro spécial de Science The Rise of Restoration Ecology Special issue

sn-geoengineering-main.jpgHacker la planète ?

Eli Kintisch (2010) rapporte dans science news que lors d'une conférence récente The Latest on Hacking the Planet on a fait le point sur le geoengineering. On y a discuté les manières d'introduire ces sulfates : des travaux récents suggèrent que larguer du dioxyde de soufre ne serait pas si simple que ça : les microgouttes risquent de se rassembler et produiraient des gouttes d'acide sufurique qui retombent rapidement. Au final 10 mégatonnes de soufre (environ la quantité injectée par le Pinatubo en 1991) ne rattraperait que la moitié du réchauffement.

Fig 5 : Ensemencer le ciel de sulfates pourrait contrecarrer le réchauffement. mais inégalement. Credit: Wikimedia Commons / Blink. [img] Du coup certains ont proposé de larguer l'acide sulfurique directement . "Il suffirait de quelques mégatonnes" dit Keith. ça fait froid dans le dos d'imaginer tout cet acide largué sur nos têtes. Il est vrai que nous avons survécu à l'éruption du Pinatubo fort bien, mais...

Il semble qu'un apport homogène de souffre produirait un sous-refroidissement aux pôles et un sur-refroidissement à l'équateur. D'ou l'idée d'éparpiller des quantités ajustées de souffre selon les régions pour obtenir l'effet souhaité et réduire les perturbations des pluies. Ainsi certains se retrouveraient gagnants après ce geoengineering et d'autres perdants. Evidemment on peut craindre si on est dans les pays pauvres et être plus serein si on habite les pays riches.

Prométhée : une responsabilité parce que nous savons !

La crise climatique qui menace n'est pas la première que le globe affronte; la chronologie de la vie montre de nombreuses crises climatiques qui ont bouleversé les espèces sur terre. Ce n'est probablement pas la première fois que les êtres les plus concernées y contribuent de manière décisive. Les premiers organismes photosynthétiques qui ont produit l'oxygène qui s'est accumulé et a éliminé la majorité des organismes vivants de la soupe primitive et ceux-là même qui avaient causé cette "pollution" est un exemple qui me vient à l'esprit... (intranet.jpg) Mais ce serait la première fois que nous en avons conscience et avons le pouvoir et la responsabilité prométhéenne de l'éviter ou d'y remédier. Dans la mythologie grecque Prométhée a été puni pour avoir donné aux hommes la connaissance, et on parle du "mythe de Prométhée" pour la responsabilité que de la connaissance donne. La gouvernance du monde est-elle de taille à porter cette lourde responsabilité que nous donne la connaissance. Avons-nous le choix de ne pas la porter ?

Sources

Réactions

Avec un sujet pareil, il m'est parfaitement impossible de ne pas réagir, même si je sais d'avance qu'on va me taxer de dogmatique invétéré.

D'un point de vue purement scientifique, ces recherches sont fort intéressantes, mais je dois hélas dire qu'elles nuisent fortement à la recherche de vraies solutions.

Nous savons depuis longtemps ce que devons faire: un développement rapide et massif des énergies renouvelables, un renoncement tout aussi radical aux combustibles fossiles, le tout couplé à une très grande "sobriété consumériste". Seulement c'est pas très attractif, surtout pour les plus riches.

Dans ce contexte, les solutions proposées en "geoengeneering" sont fort rassurantes: "Ouf, nos bons scientifiques ont la solution, laissons-les travailler, octroyons leur quelques crédits et ne changeons surtout rien à nos petites habitudes".

Depuis le début du 20è siècle, l'humanité vit avec la certitude que la science et la technique possèdent ou posséderont bientôt les moyens de résoudre tous les problèmes de l'humanité. "Ayez confiance chers citoyens, nos meilleurs chercheurs sont sur le point de trouver la solution ... et même toutes les solutions."

Or, depuis quelques décennies, cette croyance a bien du plomb dans l'aile. Les solutions proposées deviennent bien souvent des problèmes encore plus graves qu'auparavant. L'exemple des déchets nucléaires est un des plus évidents. La confiance s'effrite, et pour moi, c'est une très bonne chose.

Avec les "geoengeneering", il me semble évident que le remède sera pire que le mal, et que même si ça marche pour un temps, nous serons vite rattrapés par l'aggravation des problèmes pré-existants, sans parler de l'épuisement généralisé des ressources qui nous pend au nez. Et puis entre nous, si on parvient à faire peindre toutes les routes et tous les toits de la planète en blanc, on pourrait aussi en faire pas mal en matière d'énergies renouvelables. Mis pour ça, il y a quelques dogmes et quelques tabous à terrasser.
Christian Lavorel

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