jeudi 21 février 2013

L'anorexie et l'hyperactivité liés ?

L'anorexie et l'hyperactivité liés ?

Une étude récente révèle – chez des souris - un lien entre l'anorexie et l'hyperactivité, et peut-être avec les mécanismes de la dépendance. Une voie métabolique commune ( NAc-5-HTR4/CART pathway)  établit un lien entre les deux phénomènes et le circuit de la récompense (Noyau accumbens). Les auteurs suggèrent que ce serait un mécanisme susceptible de limiter la suralimentation et l'inactivité après une période de privation.

L'article est accessibles ici. Comment  Obtenir un article mentionné : Get-a-doi

Dans une perspective éducative, pour comprendre les pertes inéluctables de la vulgarisation, nous étudierons comment le contexte dans lequel ces résultats ont été trouvés s'est perdu pour se restreindre progressivement à une affirmation réductrice : "L'hyperactivité des anorexiques n'est pas intentionnelle"

L'anorexie mentale ( il y a plusieurs autres formes d'anorexie, dont certaines sont des effets secondaires de traitements) est une maladie grave qui atteint un nombre important de jeunes filles adolescentes – 2% des adolescents (9 filles pour 1 garçon – elle est mortelle dans 10% des cas selon Lenoir, 2001 ). On a beaucoup évoqué l'influence de la mode sur l'augmentation de la fréquence constatée de ce grave trouble du comportement alimentaire.
La plupart des explications de ce trouble sont dans le registre du psychologique. Comme elle  est souvent associée à l'hyperactivité qu'on a donc souvent interprété comme un désir de maigrir et résultant de la volonté de la malade.
Des recherches récentes (Jean, A., et al. 2012) abordant la question sous un angle très différent, suggèrent une cause physiologique à cette hyperactivité, et un lien avec le circuit de la récompense.

Chez la souris ...

Cette étude a été réalisée avec des souris. Elles sont un modèle de la maladie : elles ont été sélectionnées parce qu'elles ont des mutations qui leur donnent un comportement et une physiologie qui a été considérée comme similaire à l'anorexie.  C'est ainsi qu'on procède parce qu'évidemment on veut pas faire des expériences sur les humains. Mais les résultats doivent être interprétés et mis en perspective... Je n'ai pas trouvé (mais je n'ai peut-être pas assez cherché) de discussion de leur pertinence à l'anorexie mentale en particulier. Or elle n'est pas évidente il me semble.

Pourtant Jean et al. argumentent bien en soulignant que l'anorexie et l'hyperactivité existent rarement indépendamment et que cela suggère des voies nerveuses communes, probablement dans le système de la récompense. Ils ont mis en évidence préalablement une facette addictive de l'anorexie qui active les mêmes transcriptions que la cocaïne, par exemple dans le noyau accumbens. (circuit de la récompense)
" production, in the nucleus accumbens (NAc), of the same transcripts stimulated in response to cocaine and amphetamine (CART) upon stimulation of the 5-HT4 receptors (5-HTR4) or MDMA (ecstasy)"
Ils ont alors testé si cette voie prédispose aussi à l'hyperactivité. En bloquant ou en surexprimant les molécules de cette voie, en présence d'ecstasy ou non ils montrent de manière convaincante la grande similitude des liens de l'anorexie et de l'hyperactivité avec le circuit de la récompense.
"In conclusion, the NAc-5-HTR4/CART pathway establishes a ‘tight-junction’ between anorexia and hyperactivity, suggesting the existence of a primary functional unit susceptible to limit overeating associated with resting following homeostasis rules." (Jean, A., et al. 2012)
Ils proposent une explication évolutive à ce surprenant mécanisme : il limiterait la suralimentation et l'inactivité après une période de privation alimentaire. Un mécanisme de plus dans la régulation déjà complexe du poids ?  

Tout cela est vrai ...Chez cette souris particulière, ce modèle de l'anorexie. Evidemment cela limite la portée des résultats, mais – vu la gravité d'une telle maladie et les limites des traitements actuels – c'est quand même beaucoup mieux d'avoir des résultats de portée à discuter que pas de résultats du tout !     Si on arrive à vivre avec des incertitudes délimitées...
Face a nos élèves si on veut classer cette recherche entre vrai et faux on est très ... limité !  

Fig 1: les mains d'un-e anorexique. [img] source  Allodocteurs.fr.


La vulgarisation transforme en affirmation les savoirs nuancés produits par la recherche ?

Dans la vulgarisation on retrouve le classique glissement depuis de discours scientifique pondéré discutant les hypothèses ("In conclusion, motor hyperactivity is anorexia-dependent upon activation of the NAc-5-HTR4/CART pathway." vers des conclusions simples et présentées comme des certitudes  "L'hyperactivité des anorexiques n'est pas intentionnelle"  p.ex. dans  allodocteurs.fr. C'est souvent plus marqué dans les texte de titres comme celui-là puisque le texte du "chapeau" est déjà moins affirmatif  "…Une étude de l'INSERM vient confirmer l'hypothèse selon laquelle les deux comportements seraient induits par un mécanisme biologique commun, au niveau moléculaire."

D'autres documents vulgarisés en français
Cette tendance dans la vulgarisation à évacuer les conditions dans lesquelles les résultats ont été obtenus – qui pourtant sont nécessaires pour mettre en perspective ces données – est classique. Une lecture rapide donne l'impression que ce résultat serait "scientifiquement prouvé"… L'incertitude et la nature hypothétique intrinsèque à la science sont évacués. Comme si un résultat était une vérité, comme si il n'allait pas y avoir vérification, contestation, bref  un débat scientifique. Ce débat qui permet à la science de progresser malgré les imperfections des humains, les pressions sociales et l'inertie conceptuelle.
C'est pourtant  majoritairement à ce type d'informations scientifiques que nos élèves sont confrontés !

Et qui leur apprendra à dé-vulgariser,  à se poser la question des conditions dans lesquelles les données ont été établies, discuter les hypothèse etc. ? Il faut bien que ce soit les enseignants de sciences ... ou voulons-nous compter sur le 20 minutes ? Ils ont un autre rôle disons.
Pour ma part je préfère tenter de donner aux élèves une certaine autonomie dans la validation de leurs connaissances.

Sources :

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