mardi 7 mai 2013

Si le cheval islandais a un répertoire d'allures plus étendu c'est à cause d'une mutation des systèmes de coordination locomotrice

Les chevaux peuvent adopter différentes allures : le pas, le trot, le galop, … Il en existe plusieurs autres (cf. wikipedia) comme l'amble ou le Tölt (cf fig. 1) que seules certaines races de chevaux comme le cheval islandais et Rocky parviennent à adopter. On a cru que ces chevaux avaient une capacité génétique en plus qui leur donne un répertoire plus large.
Une étude récente rapportée dans une news de Nature (Smith, K., 2012 ici) par  Andersson, L. S., et al. (2012)  établit le rôle crucial d'une mutation du gène DMRT3 pour permettre ces allures particulières. La mutation empêche le développement d'un réseau normal de coordination locomotrice dans la moelle. Ainsi un défaut de contrôle de la coordination rendrait possible ces allures qui sont inhibées dans la nature.

Fig 1: Seuls certains chevaux peuvent adopter cette allure particulière suite à une mutation (ici le tölt) [img] Source R.T. Sigurdsson/Arctic Images/ArcticPhoto

La coordination du pas est en partie gérée dans la moelle

Des générateurs rythmiques couplés dans la moelle épinière produisent les cycles d'activation des membres qui déterminent les allures principales chez les mammifères quadrupèdes.
Ces allures résultent de l'interaction entre ces différents générateurs dans la moelle - notamment l’inhibition des mêmes phases du mouvements simultanés des membres du même coté. On a aussi observé qu'ils peuvent fonctionner indépendamment de l'encéphale (cf Purves (2001)  Spinal Cord Circuitry and Locomotion) figure 2. 


Fig 2 :
Des circuits dans la moelle épinière produisent les cycles d'activation des membres qui génèrent les allures principales et peuvent fonctionner même avec une section de la moelle reliant à encéphale. (ici  le chat) [img] source Purves

Normalement ces générateurs rythmiques sont couplés de manière a ce que les membres du même coté n'avancent pas en même temps. Ce contrôle semble absent ou réduit chez le cheval islandais.
Le cas de l'amble (avancer les deux pattes du même coté en même temps) semble plus complexe: des éleveurs américains arrivent à apprendre l'amble à des chevaux normaux. Le chameau ou la girafe utilisent cette allure parce qu'elle est plus efficace quand les pattes sont longues par rapport au corps (Kar, D. et al., 2003)..

Ces mécanismes spinaux permettent de comprendre des phénomènes affreux et tendres … qui font partie du monde des élèves ? 

C'est probablement ce qui se passe dans ces scènes difficiles à supporter (youtube) où une poule destinée à la casserole à qui on a coupé la tête volète et court – d'où l'expression anglaise "To run around like a headless chicken" . Il semble que le contact des pattes avec le sol (source) produise cet effet assez gore. C'est pourtant un cas  que les élèves pourraient avoir vu et sur lesquels ils pourraient interroger leur enseignant-e de biologie. Montrer qu'une compréhension des mécanismes neurobiologiques permet d'expliquer ce phénomène c'est donner du sens aux apprentissages peut-être ?


Ces mécanismes sont aussi à la base de la marche automatique qu'on teste chez les nouveaux-nés. Le site de l'unige  Ethologie.unige.ch le décrit comme  un exemple de FAP Fixed Action Pattern

Figure 3 : La marche automatique du nouveau-né est sous le contrôle des circuits spinaux  
[img] source Ethologie.unige.ch
Cette marche automatique disparait ensuite. En effet, chez l'humain ce contrôle spinal de la locomotion semble jouer un bien moins grand rôle que chez les quadrupèdes.
"the reduced ability of the transected spinal cord to mediate rhythmic stepping movements in humans presumably reflects an increased dependence of local circuitry on upper motor neuron pathways. Perhaps bipedal locomotion carries with it requirements for postural control greater than can be accommodated by spinal cord circuitry alone."  Purves (2001).

Une mutation non-sens très fortement associée à cette démarche spéciale.

Revenons à cette recherche sur les chevaux.  Pour déterminer ce qui distingue ces chevaux, Andersson et al. (2012) ont exploité les registres des éleveurs, obtenu leur ADN et effectué une analyse statistique pour chercher des corrélations entre gaitedness (la capacité de produire ces allures particulières) et les SNP sur l'ensemble du génome (genome-wide).
Une analyse d'association genome-wide révèle une association très significative entre  gaitedness et un SNP BIEC2_620109 sur le chromosome 23 (cf figure 3d).


Figure 3 : d) Une analyse  Genome-wide révèle une association très significative entre  "gaitedness" (la capacité à produire ces allures particulières) et le SNP BIEC2_620109 sur le chromosome 23 près de la localisation de la mutation DMRT3_Ser301STOP f) L'alignement de la protéine type sauvage (WT) et mutée pour DMRT3_Ser301STOP (MUT) avec d'autres organismes. L'étoile indique la mutation stop [img] source Andresson (2012)


Ils ont alors séquencé la zone et repéré une mutation près de ce SNP  la mutation DMRT3_Ser301STOP (cf. fig. 3 f) : une mutation non sens qui produit un codon stop prématuré et une protéine raccourcie. C'est probablement une protéine qui se fixe sur l'ADN et le régule (cf. UniProt J3SGP7)

Le  simple fait qu'on trouve - une fois de plus - cette protéine chez de nombreux autres organismes, mais avec des différences légères (et graduées : observez que le poisson est plus différent du cheval que nous) peut être relevé comme une confirmation de l'évolution. Ce n'est pas forcément inutile de bien montrer aux élèves les données qui démontrent solidement la réalité de l'évolution … Ils peuvent aller vérifier eux-mêmes sur UniProt par exemple

On peut vérifier et expérimenter en classe avec cette séquence !

On peut situer ces séquences  grâce a Mapviewer ici – pour bien montrer que le gène est sur le chromosome 23 du cheval par exemple.

On peut voir et aligner ces séquences DMRT3 dans UniProt - par exemple vérifier que cette séquence existe chez de nombreux organismes ici pour en sélectionner plusieurs et le aligner voire en faire un arbre (Cf formation BIST Scénario 5 : adapter pour DMRT3)

UniProt sera mis à jour avec Andersson(2012) pour la prochaine release afin de vous informer mieux. Merci de leur réactivité.
On peut aussi noter que le nom de cette protéine (Doublesex- and mab-3-related transcription factor 3 ) a été donné avant qu'on connaisse ce rôle et qu'il parait moins opportun maintenant.  Comme d'avoir appelé du même nom amygdales des structures anatomiques de l'encéphale et du fond de la gorge parce qu'elles se ressemblaient- alors qu'ion ne connaissait pas leur fonction.  Facile d'être malin après.

C'est le traitement des données pas "l'ADN" qui permet de comprendre cette expérience

L'obtention des séquences pour tous les SNP connus ou le séquençage d'un fragment d'ADN est actuellement relativement bon marché et de l'ordre de la simple technique de labo; la simple description ne justifie plus une publication. Ce qui produit un savoir intéressant est le traitement des données qui se fait après, le travail de comparaison avec d'autres séquences issues des base de données qui a permis de mettre en évidence DMRT3 ici.
C'est aussi ce que nos élèves ont besoin de savoir pour comprendre une telle étude; Ce que nous dit un SNP qui diffère, comment un SNP proche nous informe sur une mutation qui n'est pas sur la séquence SNP,  ce que genome wide association a comme potentiel et comme limites, ce qu'on peut comprendre en observant l'alignement des séquences...

In silico puis in vivo : une vérification expérimentale du rôle de ce gène

Ces expériences in silico produisent des savoirs qui posent de nouvelles questions et mènent souvent à des expériences in vitro ou in vivo.
Pour vérifier le rôle présumé de DMRT3 – une corrélation n'est jamais une preuve très forte - les chercheurs ont entrepris de supprimer ce gène chez la souris pour observer les effets sur la coordination de la locomotion à la marche, la nage, etc. Ces expériences sont décrites ici (Andersson, L. S., et al 2012). En voici un extrait montrant l'effet désorganisateur sur les rythmes spinaux d'une souris homozygote mutée Dmrt3-/-  " Our discovery positions Dmrt3 in a pivotal role for configuring the spinal circuits controlling stride in vertebrates."


Figure 5 i : Les rythmes spinaux des types sauvages  (WT) et mutée DMRT3_Ser301STOP (MUT) [img] source Andresson (2012)

Avec d'autres expériences en manipulant ce gène chez la souris cf. (Andersson, L. S., et al 2012) doi:10.1038/nature11399 les chercheurs montrent comment cette Dmrt3 est nécessaire pour le développement normal du réseau de coordination locomotrice dans la moelle : on voit par exemple l'effet sur les rythmes spinaux dans la figure 5. 
Les auteurs emploient le langage prudent des chercheurs pour dire que leurs résultats sont de solides indications que la mutation DMRT3_Ser301STOP joue un rôle causal  dans les allures du cheval.
"The remarkable association between the DMRT3 nonsense mutation and gaitedness across horse breeds, combined with the demonstration that mouse Dmrt3 is required for normal development of a coordinated locomotor network in the spinal cord, allow us to conclude that DMRT3_Ser301STOP is a causative mutation affecting the pattern of locomotion in horses."


La mutation qui réduit la coordination, mais rend possible le dressage de certaines allures du cheval.

On ne trouve ces allures particulières comme le tölt que chez certaines races comme le cheval islandais. Ces allures étant perçues comme un accroissement des possibles des passionnés équestre ont pu écrire que " Cette cinquième allure doit être innée, et non acquise, comme pour les chevaux de la race des Rocky Mountain Horse, ou les chevaux islandais." Wikipedia sur le tölt.  Il y aurait des gènes qui donneraient aux chevaux islandais une fonctionnalité supplémentaire. On imagine difficilement comment de tels gènes pourraient être apparus sans intervention extérieure et on sent les créationnistes s'approcher en se frottant les mains.
Ce que l'étude d'Andersson révèle est qu'il ne s'agit pas d'une fonctionnalité supplémentaire, mais d'une perte ou réduction des mécanismes de contrôle qui rend possible l'apprentissage des allures très particulières peu naturelles (normalement inhibées)  et ergonomiquement discutables. Il s'agit en fait d'un défaut qui rend possible un élargissement du répertoire d'apprentissage. Les islandais ont ensuite sélectionné ces individus mutés peut-être en pensant qu'ils avaient cela "dans le sang" qui veut dire génétique dans ce milieu. 
Un bel  exemple des interactions entre l'environnement et les gènes qu'il est difficile de comprendre dans la pensée déterministe un gène-une protéine-un caractère phénotypique.

Sources :

  • Andersson, L. S., Larhammar, M., Memic, F., Wootz, H., Schwochow, D., Rubin, C.-J., … Kullander, K. (2012). Mutations in DMRT3 affect locomotion in horses and spinal circuit function in mice. Nature, 488(7413), 642‑646. doi:10.1038/nature11399
  • Kar, D. ., Kurien Issac, K., & Jayarajan, K. (2003). Gaits and energetics in terrestrial legged locomotion. Mechanism and Machine Theory, 38(4), 355‑366. doi:10.1016/S0094-114X(02)00124-6
  • Purves, Dale, George J. Augustine, David Fitzpatrick, Lawrence C. Katz, Mark S. Williams, and McNamara James O. Neuroscience.  Sunderland, MA, USA: Sinauer Associates, Inc., 2001.
  • Smith, K. (2012). Horse gait traced to single mutation. Nature. doi:10.1038/nature.2012.11308

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