En lien avec la récente confirmation des ondes gravitationnelles, voici une contribution de Dr. Alice Gasparini; Collège Rousseau/UniGe
La première détection directe d'ondes gravitationnelles : le couronnement d'un énorme travail et une fenêtre sur l'astrophysique du futur.
Alice Gasparini            (Alice.Gasparini@unige.ch)[1]
            
            
            
            
            
En novembre 1915 Albert              Einstein proposait une              nouvelle vision de la gravité : la chute libre d'une masse m n'est pas le              résultat d'une force              d'attraction d'un astre massif sur m,              mais plutôt une nouvelle inertie dans un espace-temps courbé              par la présence de              l'astre. Une conséquence remarquable des équations              d'Einstein est la prévision              que les modifications de la courbure de l'espace-temps              (modifications dues à              des distributions de masses dynamiques comme une collision              d'objets compacts,              ou l'explosion d'une supernova) engendrent des perturbations              qui se propagent              comme des ondes.
| 
En effet, de même                      qu'un caillou lancé dans un lac d'eau calme produit                      des ondes à la surface de l'eau, ce type                      d'événements produisent des ondes de courbure de                      l'espace-temps : les ondes gravitationnelles[i].                       
La théorie                      d'Einstein date de 1915, mais la question de savoir                      si les solutions mathématiques correspondant aux                      ondes gravitationnelles avaient une réalité physique                      a été longuement débattue:  | 
Einstein lui même, dans une              première version              d'un article écrit avec Nathan Rosen en 1937, en niait              l'existence. 
| 
Crédit image:                        Blayne Heckel | 
C'est seulement en                      1957 que la question a été définitivement résolue,                      au moins du point de vue théorique : lors de la                      conférence de Chapel Hill, Felix Pirani et Hermann                      Bondi montrèrent que l'effet d'une onde                      gravitationnelle traversant un cercle de masses en                      chute libre perpendiculairement au plan du cercle,                      est de déformer ce cercle, en étirant et en                      comprimant de manière alternée les deux directions                      perpendiculaires. | 
C'est à partir de cette              date que le défi de la              détection d'ondes gravitationnelles a été ouvert à la              communauté scientifique.              Comme pour d'autres prévisions de la RG, ce défi              expérimental était au delà des              technologies de l'époque, et à la limite de celles actuelles              : la nature de              l'interaction gravitationnelle étant très faible, ses effets              sont extrêmement              difficiles à détecter, et ce malgré le fait que les              événements qui les génèrent              soient les plus violents et les plus énergétiques de              l'Univers. L'effet d'une              onde générée par un de ces événements sur un détecteur placé              sur Terre est une              variation DL de la distance entre              deux masses de l'ordre DL/L ~ 10-21 ,              où L est la              distance entre les deux              masses. Il va sans dire qu'au cours du siècle dernier, ce              chiffre fut à la base              du pessimisme d'un grand nombre de scientifiques concernant              la possibilité              d'une détection de ces ondes. Pourtant, en 1974 Russel Hulse              et Joseph Taylor              découvrirent un système binaire PSR B1913+16 contenant un              pulsar. La diminution              de la période de rotation de cette binaire sur 27 ans de              mesures - en parfait              accord avec la prédiction de la relativité générale - fourni              la première preuve              expérimentale, mais indirecte, de l'existence des ondes              gravitationnelles :              le taux de perte d'énergie de rotation de ce système ne peut              pas s'expliquer              sans l'existence de ces ondes, et cette découverte a été              couronnée par le prix              Nobel en 1993. 
Alors que Hulse et Taylor              faisaient leur              observation, d'autres physiciens cherchaient un moyen de              parvenir à une              détection directe. La première génération de détecteurs a              été celle des barres              métalliques résonnantes : la barre de Weber dans les années              1960, suivie              par des réseaux de barres résonnantes cryogéniques, et de              sphères cryogéniques.              Mais cette technologie n'est jamais parvenue à des              sensibilités suffisantes. Il              fallait une autre direction : ce fut l'interféromètre de              Michelson-Morley              (le même qui, en ne mesurant pas de vent d'éther, avait              montré le besoin d'une              nouvelle théorie de la Relativité). Le développement des              technologies              nécessaires a permis, au début des années 2000, la              construction des premiers              grands interféromètres laser : TAMA 300 au Japon, GEO 600 en              Allemagne,              VIRGO en Italie et les deux LIGO aux Etats Unis : Hanford,              (H1, Washington)              et Livingston (L1. Louisiana). Il aura donc fallu attendre              plus qu'un demi              siècle de travail et d'étroite collaboration entre              expérimentateurs et              théoriciens de toute la planète, pour pouvoir annoncer une              première détection              directe, le 14 septembre 2015, pile 100 ans après la              première publication de la              théorie de la Relativité Genérale. 
Les interféromètres              terrestres peuvent mesurer              les ondes gravitationnelles d'une fréquence entre la dizaine              et le millier              d'Hertz, générées par des collisions d'objets compacts              stellaires (étoiles à              neutrons ou trous noirs) ou des explosions de supernova.              LIGO consiste en un              faisceau laser d'un diamètre de 12 cm séparé par un miroir              semi transparent en              deux faisceaux dirigés dans deux directions perpendiculaires              et réfléchis à une              distance L =4 km              pour les faire              interférer. La variation des distances parcourues par les              deux faisceaux (DL qui est donc de              l'ordre de 10-18m,              soit un cent millionième de la taille d'un atome !) cause              une différence              de phase, et donc une variation de la figure d'interférence.              
Pour que la sensibilité              soit suffisante pour              la détection d'une onde gravitationnelle, ces              interféromètres ont été              énormément améliorés par rapport à la version de Michelson              Morley : par              exemple, en « allongeant » L, la distance              effective parcourue par              chaque faisceau, (et donc aussi le DL) par une cavité              résonnante dans chaque bras, qui multiplie les              allers-retours de chaque              faisceau avant l'interférence, et donc l'effet d'une onde              sur le déphasage,              d'un facteur 300. De plus un système de recyclage du              faisceau permet d'avoir              une puissance circulant dans chaque cavité de 100kW alors              même que              l'interféromètre n'est alimenté que par un laser de 20W. Le              tout est entouré de              nombreux dispositifs à haute technologie pour minimiser les              multiples sources              de bruit : sismique (à de basses fréquences), thermique              (fréquences              intermédiaires) et le « shot noise » des photons à hautes              fréquences.              
| 
Mis à part la                      source du laser, toutes les composantes sont isolées                      en utilisant des technologies d'ultravide les plus                      avancée : ces détecteurs contiennent le plus grand                      volume de vide jamais construit. Impensables il y a                      encore dix ans, ces technologies  ont permis aux                      deux interféromètres LIGO d'atteindre la sensibilité                      souhaitée pour la première fois en 2015.  | 
Crédit image :                        B. P. Abbott et al. PRL 116, 061102 (2016) | 
Leurs courbes de              sensibilité sont reproduites              dans le graphique ci-dessus.
Malgré tous les efforts              faits pour pousser la              sensibilité des ces détecteurs au maximum, le bruit reste              significatif par              rapport au signal, tellement celui-ci est faible. Cependant,              pour chaque type              de source, on peut pré-calculer la forme des signaux sur la              base de modèles              théoriques combinés aux simulations numériques. Il devient              alors possible, à              l'aide d'une analyse statistique sophistiquée, d'extraire du              bruit la forme du              signal attendu. De plus, l'utilisation de réseaux de              détecteurs permet de ne              tenir compte que des événements enregistrés simultanément              dans plusieurs détecteurs, ce qui              écarte les « fausses alertes ». Il existe bien une              probabilité d'avoir des coïncidences accidentelles (non dues              à une onde              gravitationnelle) entre deux détecteurs mais on peut              quantifier cette              probabilité en refaisant l'analyse après avoir              artificiellement décalé le              signal de l'un des détecteurs car, dans cette situations,              les coïncidences sont              toutes accidentelles. De manière générale, plus un signal se              prolonge plus il              devient facile de l'extraire du bruit. Il n'est donc pas              étonnant que la toute              première détection soit un signal correspondant à la phase              finale de la              collision entre deux objets compacts qui à pu être suivie,              par les deux LIGO,              sur une durée de 0,45s. Selon l'analyse statistique              mentionnée ci dessus, cette              observation coïncidente a un probabilité inférieure à 2×10-7 d'être              une fausse alerte              (cela signifie qu'il faudrait prendre des mesures pour une              durée de l'ordre de              200000 ans pour qu'une coïncidence accidentelle de ce type              se produise en              l'absence de signal !)
Crédit                images : B. P.                Abbott et al. PRL 116, 061102.         
Les caractéristiques du              signal combinées au              modèle relativiste ne laissent donc pas de doutes quant à la              nature du système              produisant la radiation. Il s'agit de la coalescence d'un              système binaire formé              de deux corps extrêmement compactes pesant chacun une              trentaine de masses              solaires orbitant l'un autour de l'autre à une distance de              quelques centaines              de km. On observe d'abord 8 périodes allant de 35Hz à 150Hz,              où l'amplitude du              signal atteint son maximum, ensuite la phase correspondant à              la collision et la              stabilisation du trou noir final, qui irradie dans ses modes              « quasi-normaux ».
| 
L'image ci-contre,                      en haut, montre le résultat des simulations du                      signal en utilisant la modèle relativiste avec les                      paramètres qui reproduisent le mieux le signal :                      deux corps de 29 et 36 masses solaires qui orbitent                      à une distance d'à peine 350km, à une distance de la                      Terre de 410Mpc (z = 0,09).                      L'image du bas montre la vitesse relative orbitale v/c en                      vert, ainsi que la distance entre les deux corps                      avec comme unité leur rayon de Schwarzschild. Le                      rayon de Schwarzschild 2GM/c2                      de ce type d'objets étant de l'ordre de 200km, et au                      vu de la fréquence élevée du signal, il ne peut                      s'agir que d'un couple de trous noirs. On peut                      exclure que l'un des corps soit une étoile à                      neutrons, car celles-ci ne peuvent pas être plus                      massive que 3 fois la masse du Soleil.  | 
Cette détection questionne              les modèles astrophysiques              de formation des trous noirs existants[ii]              dans l'Univers : ces modèles prévoient une borne supérieure              pour la masse              de trous noirs d'origine stellaire de 15 masse solaires : la              présence de              trous noirs d'une trentaine de masses solaires reste donc à              expliquer. De plus,              la détection nous révèle que le trou noir final est de 62              masses solaires, ce              qui signifie que, lors de cette collision, 3 masses solaires              ont été converties              en radiation : environ 5% de la masse de départ. À titre              comparatif, lors              des réaction nucléaires les plus énergétiques –comme  la fusion de l'hélium –              ce taux de conversion              est d'environ 0,005%, soit 3 ordres de grandeur plus petit.              La coalescence              durant moins qu'un demi seconde, cela se traduit par un pic              de puissance              radiative d'environ 200Mc2/s              ou 4×1049 W,              plus que toute la radiation lumineuse produite dans              l'Univers observable !              
On comprend donc pourquoi              la capacité à              détecter des événements de ce type a des conséquences              extraordinaire pour le              futur de la physique : contrairement aux              mesures              des ondes électromagnétiques et des neutrinos, la fenêtre              des ondes              gravitationnelles est la seule qui nous permet d'accéder à              des événements aussi              énergétiques, produits uniquement par de systèmes où la              Relativité Générale              domine, comme l'horizon des trous noirs, où le paramètre GM/c2R ~ 1. L'étude de ces              événements, jusqu'ici              observés uniquement de manière indirecte par le biais              électromagnétique des              rayons X, permet de tester la Relativité Générale, et de              poser des contraintes              sur le modèles théoriques qui vont au delà, comme les              théories de cordes ou de              gravité quantifiée.
Depuis la détection en              septembre 2015, LIGO a              encore été amélioré : pour l'année 2016 il pourra observer              un volume 3              fois plus grand qu'en 2015. Un gain d'un facteur 10 dans la              sensibilité de nos              détecteurs correspond à une vision 10 fois plus loin dans              l'espace, donc un              volume 1000 fois plus grand et une augmentation de la              fréquence de détection de              tels événements. Lors des années à venir on attend donc              d'autres détections de              ce type qui enrichiront notre connaissance du cosmos. 
Par la suite, un vrai              réseau d'interféromètres              sera opérationnel, incluant VIRGO, GEO et TAMA. Ces              instruments, résultat des              efforts théoriques et expérimentaux faits par les              scientifiques du monde entier,              devrait nous apporter de nouvelles connaissances et, qui              sait, de nouvelles              surprises. À cela s'ajoute le projet du lancement d'un              interféromètre spatial :              LISA, proposé actuellement pour 2034. En orbite, et donc              affranchit des bruits sismiques,              ce détecteur est conçu pour détecter des ondes              gravitationnelles de plus basse              fréquence, entre 10-4 et 1 Hz, émises par des              masses de l'ordre de              106M, comme les trous              noirs supermassifs tapis dans le noyaux des galaxies.
2015 a été l'année du              centenaire de la              découverte de la Relativité Générale et celui de la              détection directe des ondes              gravitationnelles. Plus qu'une ligne d'arrivée, cette              première détection marque              le début d'une nouvelle astronomie qui traque les événements              les plus violents              du cosmos produit par les objets les plus compactes que l'on              puissent              imaginer : les trous noirs. Gardez un œil sur les ondes              gravitationnelles : nous allons au devant de découvertes              spectaculaires !              [iii].  
[1] Dr. Alice Gasparini,                enseignante de physique                et mathématique au Collège de Genève et collaboratrice                scientifique dans un                projet éducatif de SwissMAP (http://www.nccr-swissmap.ch/) avec l'équipe de                Didactique de la Physique à                l'UniGe. 
[i]                  Une vidéo sympathique illustrant l'effet des                ondes gravitationnelles                se trouve à l'adresse suivante :                https://www.youtube.com/watch?v=s06_jRK939I
[ii]                 Une liste de trous noirs observés par leur                émission des rayons x est                accessible à l'adresse suivante :                http://www.johnstonsarchive.net/relativity/bhctable.html
[iii]                Et pourquoi pas partager cela avec le élèves :                dans le cadre du                projet pédagogique lancé par SwissMAP en occasion du                centenaire, des activités                pédagogiques d'introduction à la RG pour collégiens ont                été créés et sont                disponibles sur le site de SwissMAP (un cours complet                d'introduction à la                Cosmologie Moderne et huit séries d'exercices et                activités). Contact :  Alice.Gasparini@unige.ch
A voir aussi :
- la contribution                experiment@l par  F.                Lombard et L. Weiss du 26/2/2016 et les                références mentionnées : 
https://experimental.unige.ch/2016/02/26/les-ondes-gravitationnelles-des-vagues-dans-les-medias-mais-des-infos-assez-vagues/
- la                contribution dans « Nature » du 24/2/2016, http://www.nature.com/nature/journal/v531/n7592/full/nature17306.html
 





 
 
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire