samedi 5 février 2011

Sans l'HDTV les poulpes n'en croient pas leurs yeux.

Le poulpe a des gouts de luxe : HDTV ou rien !

Des chercheurs australiens ont découvert qu'avec un montage exploitant les images des TV les plus récentes et un ordinateur qui fournissait 50 images complètes à la secondes - plutôt qu'environ 25 - ils ont pu faire réagir des poulpes (Octopus tetricus), à des vidéos de crabes (ils se sont précipités sur ces proies très appréciées) ou de congénères (ils les ont fui et se sont cachés). Cela ouvre des possibilités très élargies d'étudier leur comportement avec rigueur.
Figure 1

Fig 1 : Un poulpe dans une anfractuosité. 
[img] Source : Robert Harcourt
Leurs premiers résultats montrent que ces poulpes ont des humeurs : certains jours ils réagissent systématiquement, d'autres pas du tout, ou moins. L'auteur parle de personnalités épisodiques.
Ce sera l'occasion de discuter des similitudes et différences de l'oeil du poulpe et si l'on peut le considérer comme plus avancé que le nôtre.

Une fréquence d'images élevée pour faire réagir les poulpes

Une chercheur de l'université de Macquarie en Australie, Renata Pronk, étudie le comportement des poulpes (Octopus tetricus),  et avait essayé de passer des vidéos classiques (VHS je présume) sur des écrans de TV à coté de l'aquarium de ses céphalopodes étudiés. Même en passant des films de proies très appréciées comme des crabes ils ne réagissaient pas. Avec l'arrivée des TV HD elle a essayé de leur présenter des vidéos et ils ont réagi ! Elle a alors exploré comment des vidéos produites spécialement pour afficher 50 images entières/seconde et diffusées par un Mac Mini sur un moniteur les font réagir.

Fig. 1. Overhead schematic diagram of the test apparatus., Not to scale.
Fig 2 : les stimuli sont présentés sur l'écran à gauche (Monitor),  le comportement du poulpe est enregistré en contre-plongée.  [img] Source : Pronk, R. 

Elle observé qu'ils se précipitaient vers l'écran lorsqu'un crabe était visualisé. Elle nous met à disposition des vidéos du dispositf Cf Supplementary Material
Movie 1 - le poulpe se précipite vers un film de crabe.
Movie 2 - le poulpe réagit a un congénère en fuyant derrière une sorte d'amphore.

Video, footage of a gloomy octopus responding to a food item, stimulus, as viewed from directly above the test aquarium. The, window superimposed in the bottom left corner shows the, time-locked stimulus video that was presented to the subject
Fig 3 : Le poulpe attaque la vidéo du crabe sur l'écran à gauche (insert gauche en bas) Cliquer pour la vidéo  [img] Source : Pronk, R.

Le poulpe a ses humeurs !

Forte de cette technique Pronk et son équipe ont effectué des expériences sur le comportement, pour voir si les poulpes ont une personnalité to find out whether the animals could be said to have a personality.
Elle définit la personnalité comme  des différences comportementales entre des individus qui persistent dans le temps et des différences de contextes géologiquement importantes. "Personality can be defined as behavioural differences between individuals that are consistent over time and across ecologically important contexts,"
Son équipe a donc présenté 3 jours parmi 10 des stimuli tantôt menaçant ( congénère),  appétissant (crabe), ou nouveau (un bocal) et un témoin avec une vidéo sans objet en mouvement.
Ils ont trouvé que le poulpe avait des humeurs : certains jours un animal donné réagissait fortement à la présentation d'un stimulus donné, mais quelques jours plus tard il l'ignorait, ou l'inverse. Pronk parle de "episodic personality"

Je pense - en lisant entre les lignes - que les chercheurs voulaient étudier le comportement et se sont heurtés à des difficultés : les animaux réagissaient différemment chaque jour. Or la répétibilité est une condition normalement nécessaire pour que les résultats soient utilisables. Peut-être qu'ils ont eu l'idée de transformer le problème en solution et de publier sur les humeurs du poulpe... Ce serait futé, non ?
En tous cas elle veut explorer d'autres comportements : "Pronk is keen to find out more about other octopus behaviours, including their communication, learning and social interactions, using her octopus-convincing movie system." dit Knight (2010)

Notre environnement visuel dépend de notre appareillage sensoriel.

Il me semble que c'est un bon exemple pour montrer que l'environnement perçu est dépendant de l'appareillage sensoriel de l'animal, et j'avais pensé que leur oeil aurait une persistance rétinienne plus courte et que les TV et cinémas classiques à 25 ou 30 images/seconde ne créent pas chez eux l'illusion du mouvement.
En fait "On a longtemps cru que le phénomène de persistance rétinienne permettait d’expliquer pourquoi l’on ressent la succession d’images fixes d’un film comme des scènes en mouvement. "  Dubuc, Bruno.(2008) . La discussion de l'illusion de mouvement et raisons pour laquelle la persistance rétinienne  ne peut pas en être la cause  ici  dans l'excellent  Le cerveau à tous les niveaux. Mc Gill "L’illusion du mouvement au cinéma serait donc produite par un autre phénomène qu’on appelle l’effet bêta . Il serait dû à la stimulation de certains neurones de la rétine spécialisés dans la détection des mouvements Celui-ci se manifeste dès que deux images légèrement décalées sont présentées rapidement l’une à la suite de l’autre. Notre cerveau y voit alors automatiquement un mouvement, résultat du travail d’intégration des champs récepteurs des cellules rétiniennes et des différentes aires corticales visuelles impliquée dans la détection et l’orientation du mouvement." Dubuc, Bruno.(2008).
On peut supposer que l'eoil des céphalopodes  détecte de mouvements plus rapides, mais cet article ne le dit pas. L'œil des poulpes serait donc plus exigeant, plus sensible à la vitesse de succession des images ?
Il faut peut-être laisser cette question ouverte pour le moment !  De belles recherches a faire pour nos élèves qui deviendront des chercheurs !

L'œil du poulpe "plus évolué" ?

Par contre on peut considérer l'œil des poulpes comme mieux structuré puisqu'il est "cablé à l'endroit". En effet notre oeil a une structure qui ferait réagir les ingénieurs : les neurones sont devant les cônes et bâtonnets photosensibles, et ceux-sont ont leur partie sensible à la lumière planté au font de la rétine,comme s'ils tournaient le dos à la lumière.  De fait notre oeil est un système bien assez bon pour nous permettre une vision remarquable, mais on a de la peine à y voir la perfection... plutôt un bricolage longuement amélioré par la sélection naturelle...

Fig 4 L'oeil humain paraît câblé "à l'envers" avec la lumière qui doit traverser plusieurs couches de neurones avant d'arriver aux cellules photo-réceptrices (cônes et bâtonnets).  [img] Source

Chez le poulpe l'oeil - en apparence très semblable au notre - a sa rétine inversée par rapport au notre; on devrait plutôt dire câblée dans le bon sens, la partie photosensible est tournée vers la lumière et les neurones sont derrière. Du  coup je présume qu'ils n'ont pas de tache aveugle.

Image: Halder,, G., P. Callaerts, and W.J. Gehring. "New Perspectives on, Eye Evolution". Current Opinions In Genetics &, Development 5:602-60 (1995).
Fig 5 La rétine du poulpe est inversée par rapport à la notre et paraît câblé "à l'endroit" avec la lumière qui arrive directement aux cellules photo-réceptrices (cônes et bâtonnets).  [img] Source Halder, G., P. Callaerts, and W.J. Gehring. New Perspectives on Eye Evolution. Current Opinions In Genetics & Development. 1995; 5:602-60. modifié ici

Figure 1 : Deep homology of eye development and the parallel evolution of animal eyes. La question de l'homologie dans l'évolution des yeux est traitée en profondeur dans 3 articles récent de Nature ou Science :
Fig 6 : Deep homology of eye development and the parallel evolution of animal eyes.  [img]Source : Shubin, N., Tabin, C., & Carroll, S. (2009).

Fig 7 : Eight major types of optics in animal eyes:[Img] source :Fernald, R. D. (2006).

Plus évolué ?

Non, car cette question suggère qu'il y aurait une ligne de l'évolution,  une tendance (finalisme), et que l'on doive placer les espèces comme des barreaux sur une échelle.
Cette conception très fréquente empêche de comprendre les mécanismes de l'évolution. Ce cas la met en défaut car il faudrait placer le poulpe plus loin que l'homme... Un peu difficile a avaler dans une vision finaliste où l'homme serait l'aboutissement ultime d'un projet ...
On peut se contenter d'être l'aboutissement actuel d'une des branches de l'évolution, comme le poulpe est l'aboutissement actuel d'une autre branche.
... ça ne vous empêchera pas de préférer tourner nos yeux inversés vers une jolie femme ou un beau mec que vers les tentacules visqueux du poulpe, mais ça c'est un autre sujet.. 

Sources

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