dimanche 1 mai 2011

Notre ADN est-il naturel ? (suite)

Deuxième partie de "Notre génome est-il naturel ?"

-> La première partie est ici.

Notre génome est assailli d'ADN étrangers et en intègre plus que nos propres gènes : vérifions-le !

On sait que les virus insèrent de l'ADN dans nos chromosomes : le virus de l'herpès insère durablement dans notre génome son ADN. Mais seulement les cellules de certaines régions : notamment les lèvres. Nous allons voir que ces apports d'ADN étranger ne sont pas rares. Par oppositions à la transmission héréditaire classique - mendélienne- appelée verticale, on parle de transfert horizontal pour ces apports génétiques d'organismes autres que les parents.
herpes
Fig 3 : Le virus de l'herpès
insère son ADN dans nos cellules de manière durable. [img] Source : Bronzages.com 

Somatique - Germinal ?

Il faut ici faire une distinction importante entre une modification somatique – limitée aux cellules de l'individu dont le génome n'est pas transmis aux descendants : les cellules "du corps". Toute modification s'éteint avec l'individu qui la porte. Une modification des cellules reproductrices est dite germinale. Il arrive en effet – très rarement – que des virus insèrent leur ADN dans les cellules reproductrices, ou que des fragments d'ADN étranger fusionnent avec le génome germinal d'un organisme. Elles sont plus rares, mais elle ont des effets à beaucoup plus long terme et on a donc plus de chance d'en voir les effets accumulés au cours des générations sur des millions d'années. Nous allons explorer ici surtout ces modifications germinales.

Notre génome contient des séquences d'origine virale : vérifions-le !

Marie-Claude Blatter, bioinformaticienne au SIB,  dit que l'analyse du génome humain a révélé, entre autres, que 8 à 10 % de la séquence est d'origine virale ! ...alors que seulement ~1.5 % de la séquence du génome 'code' pour des protéines ! C'est cette surprenante abondance de séquences étrangères qui fait dire de manière provocante au Prof. M. Strubin, chercheur du CMU : "Nous sommes 8% OGM et 1.25% humains".
Les vestiges des génomes des rétrovirus endogènes peuvent contenir 3 gènes viraux typiques:
  • env (code pour des protéines 'envelope' 'fusiogènes' permettant la fusion entre le virus et la cellule cible)
  • pol (code pour une polymérase impliquée dans la réplication de l'ADN du virus)
  • gag (code pour les protéines de la capsides du virus).
On peut chercher directement ces différents 'gènes' (devenus inactifs pour la plupart) dans le génome humain à l'aide du site de présentation des génomes Mapviewer.
Dans Mapviewer: Introduire le nom du gène à localiser dans le génome humain (env, pol, ou gag...) Choisir assembly: reference ...
Résultats:
Remarque: il n'existe pas de nomenclature officielle pour ces séquences d'origine virale. Le résultat de cette recherche n'est pas strict ni exhaustif, mais permet de voir par soi-même que les vestiges de ces séquences virales sont répartis dans tout le génome humain, sur les différents chromosomes.

Des séquences virales intégrées dans le génome humain produisent des protéines fonctionnelles : vérifions-le !

Non seulement les séquences virales sont nombreuses à avoir intégré notre génome, mais parmi elles on en trouve même qui sont devenues des gènes humains, tout a fait indispensables : par exemple les syncytines (ERVWE1). Selon Marie-Claude Blatter, les syncytines ont des propriétés fusiogènes (vestiges des gènes viraux 'env' qui servent aux virus à fusionner avec nos cellules...) et joueraient un rôle dans la formation du placenta. Elles auraient également des propriétés immunosuppressives, essentielles pour les interfaces mère-enfant.
Localiser le gène de la syncytine (appelé ERVWE1) sur le génome humain à l'aide de Mapviewer
  • Résultat: Le gène codant pour la syncytine (ERVWE1) se trouve sur le chromosome 7

Trouver les protéines similaires à la syncytine humaine chez d'autres espèces

Pour trouver des protéines similaires à une protéine donnée, il faut utiliser un outil appelé BLAST (Basic Local Alignment Search Tool). BLAST permet de comparer la séquence d'une protéine avec des millions d'autres séquences contenues dans une banque de données et de retrouver celles qui lui ressemblent le plus, en quelques secondes.
A partir de l'entrée UniProtKB correspondant à la syncytine humaine (solution Syncytin humaine)
  • Cliquer sur l'onglet BLAST
  • Cliquer sur 'Option' - Database (menu déroulant): choisissez 'UniProtKB/Swiss-Prot'
  • Cliquer sur le bouton gris 'Blast'

Chez quelles espèces retrouve-t-on une protéine similaire à la syncytine humaine ?

Le rétrovirus à l'origine des syncytines aurait été 'capturé' par un ancêtre primate, il y a 45 à 70 millions d'années. La syncytine n'est retrouvée que chez les descendants de ces primates (les simiens).

Quel est le nom des protéines virales les plus similaires à la syncytine humaine ?

L'ancêtre du gène de la syncytine est le gène viral 'env'. Les syncytines ont 'récupéré' les propriétés fusiogènes des gènes viraux 'env'.
Il y a des séquences des protéines similaires à la syncytine humaine : vérifions-le.
  • A partir des résultats du Blast sur UniProt
  • Sélectionner des protéines similaires de différentes espèces (mammifères et virus)
  • Dans la barre verte qui apparaît en bas de l'écran, cliquez sur 'Clear, puis sur 'Align'
  • ous pouvez ainsi visualiser les différences et les similitudes entre les différentes séquences en acides aminés.
  • Pour mieux voir les similarités: cliquer sur 'Similarity'.
Exemples:

Notre génome contient des séquences d'origine bactérienne : vérifions-le !

Marie-Claude Blatter explique que selon la théorie endosymbiotique, (...) une cellule eucaryote primitive (ou une Archaea) aurait intégré un endosymbionte procaryote il y a environ 1,5 à 2 milliards d’années. Les études phylogénétiques indiquent que le plus proche parent de la mitochondrie connu actuellement est Rickettsia prowazekii, une alpha-proteobactérie parasite intracellulaire obligatoire (une cyanobactérie serait à l'origine du chloroplaste). Au cours de l’évolution, la majorité des gènes de l’endosymbionte originel auraient été perdus ou bien transférés vers le noyau de la cellule eucaryote hôte.' (Wikipedia).
Exemple:
Quelle est la localisation subcellulaire de ces protéines ?

Combien de ces protéines ne sont pas localisées dans la mitochondrie ?

Selon Ponting, C. P. (2001) il y en aurait une quarantaine, en plus des gènes mitochondriaux. Marie-Claude Blatter nous en a localisé 4 :
Fig 4 : localisation de 4 des environ 40 gènes d'origine bactérienne dans notre génome. [img] Source M.-C. Blatter Mapviewer 

Il est intéressant de souligner que l'étude de ces transferts horizontaux n'est pas simple : au moment du séquençage des génomes des eucaryotes, les séquences d'origine bactériennes sont souvent considérées comme des contaminations et éliminées d'office ! Il est vraisemblable qu'elles sont très largement sous-estimées. Ponting, C. P. (2001)
Origine endosymbiotique des mitochondries et des chloroplastes Marie-Claude Blatter explique qu'en construisant un arbre phylogénétique en partant d'une protéine 'universelle' impliquée dans la synthèse des protéines (exemple: un facteur d’élongation appelé EFTU ou EF1A selon les espèces), on voit apparaître la séparation entre les eucaryotes, les archae et les bactéries (Arbre phylogénétique) On remarque aussi et surtout que cette protéine, lorsqu'elle est d'origine chloroplastique ou mitochondriale, se retrouve dans l''embranchement' des protéines bactériennes : sa séquence en acides aminés est plus similaire à celle des protéines bactériennes qu'à celle des protéines eucaryotiques. Sur les transferts horizontaux, voir aussi cet excellent Review Dunning Hotoppa, Julie C. (2011) Obtenir cet articles : Get-a-doi
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Fig 5 : Les transferts horizontaux dans notre évolution ont été fréquents . [img] Source Dunning Hotoppa, Julie C. (2011)

Quelle "Barrière" des espèces ?

On voit donc que la pureté du transfert vertical ne peut pas expliquer l'homogénéité de notre espèce et sa constance dans le temps. D'ailleurs, cette idée de pureté de la transmission et du rejet de ce qui serait étranger à des relents sombres qui font un peu froid dans le dos. Puisque de nombreux transferts horizontaux fréquents sont intervenus dans notre ADN, qu'ils sont même 6 à 8 fois plus abondants que nos gènes, il faut bien chercher une autre explication à l'observation que notre espèce - comme les autres - reste homogène (Tous différents, mais tous semblables...).

La sélection naturelle détermine la nature humaine ?

Cependant, si les transferts horizontaux se produisent abondamment, ils ne sont pas tous positifs, loin de là. Ils sont une parmi d'autres causes de mutations. The kitten with two heads: Image - Matthew Poon diverses cerises
Fig 6 : De nombreuses variantes se produisent par mutation de toutes sortes dont les transferts horizontaux sont un cas possible : celles qu'on peut voir sont les plus bénignes. Gauche [img] Matthew Poon Source | Droite : F. Lombard
Et ces mutations causent effectivement des génomes non fonctionnels. Ils se produisent, mais ne sont pas tous viables et féconds. Une faible proportion (Il semble que ce soit moins de 25% mais je n'ai pas de confirmation de ce chiffre) des fécondations humaines se développe suffisamment pour être même détectée comme une « grossesse » (on ne parle pas ici de 75% de fausse couche, mais de retard dans les règles de quelques jours) - pour toutes sortes de raisons, mais entre autres parce que le génome produit n'était pas viable. N'oublions pas que les seuls génomes visibles sont ceux qui sont fonctionnels et que les rares génomes qui nous apparaissent comme anormaux sont en fait la pointe d'un iceberg de nombreux autres n'étaient pas suffisamment fonctionnels pour naître. De fait la sélection naturelle constitue une sorte de barrière : les apports d'ADN horizontaux sont féconds ou s'éteignent. C'est sans doute ce mécanisme qui est à l'œuvre depuis la nuit des temps et garantit que les girafes restent des girafes et les humains des humains malgré toutes les perturbations de notre ADN - dont les transferts horizontaux.

Pourquoi avoir si peur des ADN étrangers ?

Pourquoi on semble avoir si peur des apports d'ADN étranger est une question intéressante. Certains y voient une manifestation d'une époque marquée par la peur du changement :
"Les premiers mouvements de protection de la nature ont consisté à vouloir réaliser un statu quo. On cloisonne, on « protège », par une mise sous cloche d'une zone particulière, la plupart du temps caractérisée par une espèce emblématique. […] Un tel mouvement traduit une vision fixiste de la nature. Au-delà de l'échec annoncé, c'est le signe d'une peur du futur avec une volonté désespérée de s'accrocher au passé. […] En d'autres termes, une telle « protection » de la nature est assimilable à un point de vue créationniste, inconscient – ou parfois conscient... " Le Guyader, H. (2008). Obtenir cet articles : Get-a-doi

L'homme responsable de sa propre humanité !

Prométhée,             qui dérobe le feu de Zeus pour le donner aux hommes, Si la sélection naturelle peut et a autrefois assuré l'homogénéité de notre génome, il serait dangereux d'extrapoler que ce qui a présidé à notre évolution dans le passé devrait gérer la diversité d'une humanité dont l'évolution est actuellement plus culturelle que génétique. Sinon l'eugénisme n'est pas loin ! La médecine permet un choix responsable qui dépasse la sélection naturelle : l'humanité s'extrait de sa condition “naturelle” mais doit assumer son destin. Comme Prométhée, qui donne à l'homme le feu et doit en porter les conséquences : la connaissance nous donne une responsabilité qui peut être lourde, mais qu'on ne peut pas écarter.([img] source eden-saga.com)

Les scénarios présentés dans cette page sont développés ici : http://doiop.com/bist

Accès aux articles scientifiques offert par la faculté des sciences de L'UniGe aux enseignants:

La plateforme Expériment@l vous offre la possibilité d'obtenir ces articles : Get-a-doi

Expériment@l, des données authentiques, 3 éclairages!

Sources

  • Ameisen, Jean-Claude. (2006). Entre gènes et environnements Pour La Science N°350 Décembre intranet.pdf
  • Cole-Turner, R. (2011). What Defines Us? Science, 331(6017), 548. doi:10.1126/science.1203070
  • Dunning Hotoppa, Julie C. (2011) Horizontal gene transfer between bacteria and animals Trends in Genetics Volume 27, Issue 4, April 2011, Pages 157-163 doi:10.1016/j.tig.2011.01.005
  • Ledford, Heidi (2008). Mutations may make humans walk on all fours| Nature News 2 June 2008 | doi:10.1038/news.2008.868
  • Le Guyader, H. (2008). La biodiversité: un concept flou ou une réalité scientifique? Le Courrier de líenvironnement de líINRA, 7-26. texte complet.pdf
  • Marks, J. (2003). 98% Chimpanzee and 35% Daffodil, The Human Genome in Evolutionary and Cultural Context. In A. H. Goodman, D. Heath & M. S. Lindee (Eds.), Anthropology and Science beyond the Two-Culture Divide (pp. 132-151). Berkeley: University of California Press.
  • Ozcelik, T. et al. (2008) Proc. Natl Acad. Sci. USA 105, 4232–4236 (2008). Mutations may make humans walk on all fours Simon E Fisher & Gary F. Marcus. (2009). The eloquent ape: genes, brains and the evolution of language. Nature Reviews Genetics 7, 9-20 (January 2006). doi:10.1038/nrg1747
  • Ponting, C. P. (2001). Plagiarized bacterial genes in the human book of life. Trends in Genetics: TIG, 17(5), 235-237.
  • Teramitsu, I., Poopatanapong, A., Torrisi, S., & White, S. A. (2010). Striatal FoxP2 Is Actively Regulated during Songbird Sensorimotor Learning. PLoS ONE, 5(1), e8548. doi:10.1371/journal.pone.0008548
  • Webb, D. M., & Zhang, J. (2005). FoxP2 in Song-Learning Birds and Vocal-Learning Mammals. Journal of Heredity, 96(3), 212 -216. doi:10.1093/jhered/esi025
Cette Bio-Tremplins est basée sur une présentation aux 31èmes JIES Journées de Chamonix 2011 réalisée avec Marie-Claude Blatter, de l'Institut Suisse de Bioinformatique.

1 commentaire:

  1. Il me semble que dans "comparaison des séquences similaires à la syncitine" faire d'abord "clear" puis sélectionner des proteines et ensuite faire "align"

    excellent article!

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