JTS montre ensuite combien la confiance dans votre discipline peut être ébranlée par l'emploi face aux élèves de termes comme réfuter / rejeter / présenter comme faux l'ancien modèle et argumentera pour utiliser plutôt des termes comme améliorer, optimiser, compléter.
Les modèles sont au coeur des disciplines MSN (Math Sciences de la Nature) dans le Plan d'Etude Romand (PER) La thématique Modélisation
très précisément le phénomène de précipitation de calcite qui génère du CO₂. Source UNIL [img] source Lapierre, F. (2024)
"Il s'agit en fait d'une réaction chimique qui se produit durant l'été. Elle a lieu quand les algues poussent avec la chaleur et modifient le pH de l'eau. Les ions bicarbonates de calcium qu'elle contient, arrachés aux roches par l'érosion et drainés jusqu'au lac, se transforment alors en microparticules de calcaire, la calcite. Le phénomène libère un grand volume de CO₂ dans l'atmosphère. Il se manifeste en surface par une teinte d'une couleur bleu-vert lors d'épisodes «explosifs» fin juin et début juillet." Lapierre, F. (2024) ici
«C'est très excitant d'avoir pu trouver la pièce manquante et démontrer la mécanique, alors que tous les raisonnements se cassaient à l'épreuve du Léman. Cette énigme me trottait dans la tête depuis ma thèse, soutenue en 2004, s'enthousiasme Marie-Élodie Perga, coautrice de l'étude et professeure de limnologie à la Faculté des géosciences et de l'environnement de l'UNIL. Nous sommes les premiers à la résoudre, mais d'autres avaient émis des doutes sur la théorie du carbone uniquement d'origine organique.» Lapierre, F. (2024) ici
Un modèle peut-il être vrai ?
Le Léman ( et d'autres lacs) émet beaucoup plus de CO₂ que le modèle habituel ne prédisait
D'autre part de nombreuses mesures montraient que la plupart de ces grands lacs des émettaient des quantités de CO₂ plus élevées que le carbone absorbé et cela n'était pas bien expliqué par le modèle classique : la respiration des hétérotrophes dépassant systématiquement la production primaire brute, on la considérait comme la principale cause de la supersaturation en CO₂ (libération dans l'atmosphère) dans ces lacs. Bien que dominant, ce modèle n'explique donc pas bien les émissions nettes de CO₂ des lacs où l'effet des autotrophes l'emporte. encourage le lecteur à aller vérifier dans l'article d'origine : ici
Ce modèle habituel ne prenait pas bien en compte les apports en carbone minéral
L'alcalinité qui augmente avec la température et la croissance des algues stimule la précipitation de calcite
Le carbone dans l'eau est souvent représenté par un équilibre chimique entre plusieurs formes : CO2 dissous, bicarbonate) HCO3− ion carbonate CO32−Pour valider le modèle amélioré, simuler "the carbon cycle of the large Lake Geneva over the past 40 years"
"We develop and introduce a calcite module in a coupled one-dimensional physical-biogeochemical model that we use to simulate the carbon cycle of the large Lake Geneva over the past 40 years. We mechanistically demonstrate how the so-far neglected process of calcite precipitation boosts net CO2 emissions at the annual scale. Far from being anecdotal, we show that calcite precipitation could explain CO2 outgassing across various lakes globally, including some of the largest lakes in the world." Many, & al. (2024).ici:
Ce modèle amélioré explique bien mieux ce qu'on observe actuellement
Appliqué au cycle annuel du lake of Geneva ( le Léman donc :-), on voit sur la figure 3 que le modèle du cycle du carbone prenant en compte la précipitation de calcite (CP en rouge) correspond bien mieux aux données que le modèle sans CP (bleu, noCP).L'article argumente soigneusement pour convaincre les autres spécialistes du domaine
Dans la discussion Many et al. (2024) argumentent de la validité de leur modèle, de ses limites.
"The simulations show that when the carbonate equilibrium chemistry is the only mechanism by which DIC is converted into CO2, final CO2 emissions are close to carbon neutrality for Lake Geneva. Even for such an autotrophic lake with relatively buffered pH, the carbonate equilibrium can generate sufficient CO2 to compensate for the 105 Gg C of CO2 consumed by the net metabolism across the total water column. However, accounting for the CP is necessary to reach the annual supersaturation and a net CO2 outgassing observed for Lake Geneva." encourage le lecteur à aller vérifier dans l'article d'origine : ici
L'article propose à la communauté cette amélioration du modèle : le débat est lancé avec cette publication !
"The modeling exercise on Lake Geneva shows that CO2 outgassing is fueled by alkalinity but cannot be explained by the carbonate equilibrium alone. CP is the necessary mechanism by which the lake turns into a net CO2 emitter at the annual scale. To test our conclusions beyond the case of Lake Geneva, we ran additional simulations of surface PCO2 with both iterations of the model, modulating the initial lake alkalinity for ¼, ½, equal to, and double that of Lake Geneva (TAC range: 0.4 to 3.6 mol m−3). Results are reported as annual averages of CO2 saturation (ΩCO2 = pCO2 pCO2 eql), to which we fit a regression model (with or without CP) as a function of alkalinity (Fig. 4A). All other conditions kept constant, annual ΩCO2 increases with the lake's alkalinity for both model versions ([…]
The regression model fitted to the observation data predicts that a doubling of alkalinity leads to a +134% increase in CO2 saturation and lake CO2 emissions, i.e., an effect size similar to the one derived from the model with CP. Lakes from the dataset span an extensive range in size (surface areas vary over four orders of magnitude), trophic status (from oligo to eutrophic), and mixing regimes (from oligo to dimictic), all of which are likely to affect the inorganic carbon fluxes (table S8). However, the similarity in the effect size between the Mod. CP and the observational dataset suggests that both the model parametrization and the deduced mechanisms, i.e., CP boosting of CO2 emissions, apply broadly." encourage le lecteur à aller vérifier dans l'article d'origine : ici
Ligne de régression : en rouge le modèle prenant en compte la précipitation de calcite (CP) en bleu le modèle sans CP (noCP) source Many,(2024 ici
Tout modèle est modifiable
Comme l'écrit Jean-Louis Martinand, un modèles scientifique est hypothétique (car il repose sur des théories, et peut être vérifié expérimentalement). Many et al. (2024) proposent une amélioration du modèle classique. Ils ne le rejettent pas. Comme le dit Martinand, le modèle est modifiable. P. ex. on voit dans la figure 3 que la correspondance n'est pas parfaite ( il n'est pas non plus simplement vrai et l'ancien faux) et le nouveau modèle est ainsi également modifiable, cela arrivera sûrement dans le futur... c'est ainsi que la science progresse.
Choix du modèle pour sa pertinence à certains problèmes
Dans certaines classes il serait probablement pertinent comme étape pour la progression des élèves.
Apprendre que les modèles peuvent changer sans perdre confiance dans la science
Et en plus ce que vous avez appris à mon grand père ( "il y a des millions de gènes chez l'humain") n'est pas ce que vous avez enseigné à mon père ("on connaît protéines donc il y autant de gènes") et maintenant vous me dites qu'il y a environ 21'500 gènes ... comment voulez-vous que je vous croie ?
Du coup l'importance de formuler les progrès en termes d'amélioration des modèles plutôt que de rejet, comme le sensationnalisme des média l'oblige.
Comment concilier la nécessaire clarté des objectifs "vérité pour la classe" et la science faite de modèles qui ne sont pas "vrai" ni "faux" et peuvent évoluer ?
Comment concilier l'usage de modèles en changement, différents selon le contexte et l'exigence pédagogique de définir ce qui peut être considéré comme juste à un moment donné pour la classe ?
Comment aider les élèves à progressivement travailler avec des modèles qui changent ?
Table 4 des étapes dans la progression des apprentissages pour comprendre les modèles comme des outils pour comprendre le monde -donc changeables
Niveau | Observables |
---|---|
4 | Les élèves envisagent des modifications dans les modèles pour améliorer leur pouvoir explicatif avant d'obtenir des résultats soutenant ces modifications. Les changements dans les modèles sont envisagés pour développer des questions qui peuvent ensuite être testées par rapport aux phénomènes. Les élèves évaluent des modèles concurrents pour envisager de combiner des aspects des modèles afin d'améliorer leur pouvoir explicatif et prédictif. |
3 | Les élèves révisent les modèles afin de mieux correspondre aux résultats obtenus et d'améliorer l'explication d'un mécanisme par le modèle. Ainsi, les modèles sont révisés pour améliorer leur pouvoir explicatif. Les élèves comparent les modèles pour voir comment différents composants ou relations s'ajustent plus complètement aux données afin de fournir une explication plus mécaniste des phénomènes. |
2 | Les élèves révisent les modèles sur la base d'informations provenant d'une autorité (enseignant, manuel, pair) plutôt que sur la base de preuves recueillies à partir des phénomènes ou de nouveaux mécanismes explicatifs. Les élèves apportent des modifications pour améliorer les détails, la clarté ou ajouter de nouvelles informations, sans considérer comment le pouvoir explicatif du modèle ou son adéquation aux preuves empiriques est amélioré. |
1 | Les élèves ne s'attendent pas à ce que les modèles changent avec de nouvelles compréhensions. Ils parlent des modèles en termes absolus, comme s'ils étaient soit corrects, soit incorrects. Les élèves comparent leurs modèles pour évaluer s'ils sont de bonnes ou de mauvaises répliques du phénomène. |
Selon ChatGPT on peut employer selon les cas Élément(s) de preuve, Preuves, Données probantes, Indices, Constatation(s)
Au lieu de nous apprendre le passé simple ils feraient mieux de nous enseigner le futur complexe
Cette phrase généralement attribuée à Jean Cocteau illustre de façon satirique et lucide une question centrale dans l'enseignement : jusqu'où faut-il simplifier le monde à l'école pour le rendre accessible aux élèves, ou les aider à affronter sa complexité ? Chaque enseignant-e adapte en fonction de ses élèves, de ses pédagogies, etc.
Mais pour vous lecteurs prend le parti d'encourager ses lecteurs - qui ont en général une formation scientifique avancée - à ne pas croire ces publications JTS, mais à aller vérifier l'article d'origine.
C'est ce que le titre de Jump-To-Science évoque L'argumentation qui fonde cette approche est décrit ici
Références
- Groleau, A., & Michard, G. (2023). La sédimentation dans un lac carbonaté étudiée La sédimentation dans un lac carbonaté étudiée par la chimie des eaux : Exemple par la chimie des eaux : Exemple du lac du du lac du Bourget Bourget 01/03/2023 Auteur(s) / Autrice(s) : Alexis Groleau Institut de Physique du Globe de Paris, Univ. Paris Cité Gil Michard [Ressources scientifiques pour l'enseignement des sciences de la Terre et de l'Univers]. ENS-Lyon. https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/lac-carbonate.xml
- Lapierre, F. (2024, octobre 30). L'UNIL perce un mystère : L'eau calcaire et les algues du Léman émettent beaucoup de CO₂. Tribune de Genève. https://www.24heures.ch/lunil-perce-le-mystere-des-fortes-emissions-de-CO2-du-leman-272756952227
- Lombard, F. (2011, décembre 20). Rechercher le top-modèle pour expliquer la biologie ? Jump-To-Science; ex Bio-Tremplins. https://tecfa-bio-news.blogspot.com/2011/12/la-perfection-du-modele-certains.html
- Many, G., Escoffier, N., Perolo, P., Bärenbold, F., Bouffard, D., & Perga, M.-E. (2024). Calcite precipitation : The forgotten piece of lakes' carbon cycle. Science Advances, 10(44), eado5924. https://doi.org/10.1126/sciadv.ado5924
- Martinand, J. L. (2010). Schémas didactiques pour la modélisation en sciences et technologies. Spectre, 40, 1, 20‑24. intranet.pdf
- Middelburg, J. J. (2024). Closing the inland water carbon cycle. Science Advances, 10(44), eadt3893. https://doi.org/10.1126/sciadv.adt389
- Schwarz, C., Reiser, B. J., Davis, E. A., Kenyon, L., Achér, A., Fortus, D., Shwartz, Y., Hug, B., & Krajcik, J. (2009). Developing a learning progression for scientific modeling : Making scientific modeling accessible and meaningful for learners. Journal of Research in Science Teaching, 46(6), 632‑654. https://doi.org/10.1002/tea.20311
- Taber, K. (2019). MasterClass in science education : Transforming teaching and learning.
- Treagust, D. F., Chittleborough, G., & Mamiala, T. L. (2002). Students' understanding of the role of scientific models in learning science. International Journal of Science Education, 24(4), 357-368. doi: 10.1080/09500690110066485