jeudi 27 novembre 2008

Haeckel trop simplifié ?

Alors que la contestation de l'évolution n'est plus réservée a l'Amérique traditionaliste et commence a se faire sentir même chez nous, la rigueur scientifique des arguments et documents employés prend une importance particulière. Or un exemple largement employé dans l'enseignement -modifié pour le rendre plus convaincant - offre une prise presque trop facile aux critiques, alors même qu'il est fondamentalement pertinent.

L'ontogénie résume la phylogénie ... Vraiment ?

Nous connaissons tous la planche de Haeckel 1874 souvent présentée pour mettre en évidence la similitude des embryons aux premiers stades. Il parle de stade phylotypique : un stade très similaire par où tous les embryons vertébrés passeraient. Elle a aussi été employée pour illustrer la loi biogénétique ou de récapitulation qu'on a essentiellement abandonnée.
Dans l'enseignement, en général on se limite à y chercher quelques similitudes : en particulier on arrive bien à y mettre en évidence la présence de fentes branchiales chez les mammifère et de queue chez notre embryon.

Fig I : La planche de Haeckel en 1874 (source Gilbert et al 2000)

Or une analyse de Richardson, et al. (1997) montre qu'en fait Haeckel avait passablement arrangé -certains parlent de falsification de - ces images, et dit qu'il l'avoue dans une lettre ultérieure. Cf. Pennisi Elizabeth. (1997) Surtout il conteste l'existence d'un stade phylotypique.
L'excellent ouvrage Gilbert et al. (2000) on-line et gratuitement accessible par un simple accès internet propose une discussion assez complète de la question.: Haeckel and the Vertebrate Archetype


Figure 2 source : "Selected embryos shown at the "phylotypic" stage. " Ce que ces images auraient du être en fait selon Richardson (1977)


Y'a pas photo ?
Figure 3 : Photographs of a fish, amphibian, reptile, mammal, and bird embryo at the "phylotypic" stage. (Photographs courtesy of M. Richardson.) des photos d'embryons de divers vertébrés ou l'on peut voir -c'est plus difficile - les similitudes et les différences.

Sur ces images, on voit tout de même bien les fentes branchiales - et on peut montrer que si nous n'avons pas de branchies notre embryon a bien des ébauches.
A d'autres stades on distingue bien la queue en formation dans l'embryon humain.

Les similitudes et les différences ?
Pour démontrer l'évolution on doit en somme trouver des similitudes suffisamment nombreuses et fondamentales pour confirmer une origine commune et des différences graduées corrélées entre elles pour démontrer une évolution depuis cette origine commune.

Y a-t-il une "vraie" image, alors ?
On retrouve cette image sous de nombreuses formes dans des ouvrages de biologie, relativement récents, on les trouve par exemple :
  • Miram, W., & Scharf, K. H. (1997). Biologe. Ed LEP. intranet.jpg
  • Zihlman, A. (1982). Human Evolution Coloring Book (1st ed.). New York: Barnes & Noble.intranet.jpg
  • Kolb, H. (1968). High School Biology, Green Version. Chicago: Rand Mc Nally.intranet.jpg
Dans ces ouvrages des image équivalentes diversement schématisées contrastent avec la simplicité trop parfaite de celle de Haeckel... ce qui la rend si frappante.

Plus clair, plus "didactique", scolaire mais moins correct ?
Cet exemple montre bien combien la question de la transposition en classe de savoirs authentiques est difficile. Le document de Haeckel est sans doute bien plus facile à exploiter en classe que ceux de Richardson. Il est plus "didactique" diront certains : on y voit bien ce que les élèves doivent voir. C'est déjà si difficile de les intéresser et de leur faire comprendre en quoi cela constitue une preuve d'évolution. Sa persistance dans des ouvrages presque récents et dans de nombreux document encore utilisés dans les écoles est sans doute l'expression de la force de persuasion de cette image. On sait bien que le schéma n'est jamais neutre dans ce qu'il choisit de montrer ou d'estomper qu'il est forcément construit en référence à un modèle explicatif qui détermine ce qui est important

Didactique, oui mais est-ce une fraude ?
"Je ne pense pas qu'en concluant simplement que Haeckel a commis une fraude ou que les enseignants commettent des simplifications outrancières on rende justice de la complexité du problème de la représentation en sciences. Toutes les représentations du type de Haeckel sont l'expression de partis pris théoriques et doivent être comprises comme des tentatives de convaincre une audience particulière. Les représentations de Haeckel ne sont pas davantage des fraudes que celles de Darwin, Mendel, Watson, Crick et tant d'autres, elles font partie du processus normal de production des connaissances scientifiques. Toutefois, je pense qu'attirer l'attention sur le travail de Richardson est intéressant et un bon sujet pour un tremplin."

Bruno J. Strasser est professeur d'histoire des sciences et de la médecine à l'Université de Yale.
Notre ADN apporte des preuves encore plus solides
Dans une vision plus large de la question des preuves de l'évolution, les plus solides peuvent être trouvées dans les séquences d'ADN dit Moore (2008) L'impressionnante similitude au niveau des gènes mais aussi de l'ensemble du génome montre bien l'origine commune et les différences au niveau assez fin entre les gènes ou les protéines (orthologues) équivalentes d'espèces différentes constituent des preuves très fortes de l'évolution. Et les données d'origine et les outils authentiques pour les faire apparaître sont accessibles en classe a l'aide d'une simple connexion internet. Des scénarios d'usage en classe sont proposés dans un cours de formation continue organisé avec l'Université de Genève ici. Notamment l'évolution de l'insuline : scénario n° 5.

L'authentique complexe ou le simple, scolaire ?

Les documents authentiques -qui sont de plus en plus souvent accessibles en classe par internet - sont bien souvent plus complexes à utiliser. Mais le monde n'est guère simple, et tôt ou tard il faudra bien que les élèves deviennent capables de faire face a cette complexité.
Jonassen (2003) dit que
"le péché le plus grave qu'un enseignant puisse commettre est de simplifier la plupart des idées enseignées aux élèves afin de faciliter leur transmission. Une trop grande simplification déconnecte les savoirs de leur contexte, leur ôtant une grande part de leur sens et encourage l'illusion confortable que le monde serait simple et cohérent. " Trad. personnelle
Ne faudrait-il pas plutôt de rendre l'élève progressivement capable d'affronter la complexité de la science.
Et peut-être aussi les aider à devenir des citoyens et des consommateurs responsables ?

Sources :

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