mercredi 12 novembre 2008

La recherche peut-elle nous aider dans la lutte contre les résistances aux antibiotiques ?

La recherche peut-elle nous aider dans la lutte contre les résistances aux antibiotiques ?

Alors que les mauvaises nouvelles sur le front des maladies infectieuses sont nombreuses... que le colloque Wright affiche ce titre inquiétant "Grandes épidémies le retour ?" j'ai choisi d'explorer un peu la littérature scientifique pour voir si la recherche porte des espoirs et quelques bonnes nouvelles.

Quand les femmes pourront se protéger activement contre le sida
Les technologies de pointe au service des pays défavorisés.
La première bonne nouvelle sort de notre université : une protéine microbicide et bon marché qui pourait donner un gel pour la prévention du sida, chez les femmes du tiers-monde notamment.

A l'UNIGE, l'équipe de Oliver Hartley, aidée par des collaborateurs français et américains, a découvert la nouvelle molécule via une technique innovante intégrée à l'ingénierie des protéines, expressément conçue pour la circonstance. Le nouveau-né des microbicides, désigné sous l'appellation de 5P12-RANTES, «marche tout aussi bien que la précédente chez les macaques sur lesquels nous l'avons testé, mais ne coûtera qu'une petite fraction de son prix», selon Oliver Hartley.
La quête d'un microbicide efficace et pas trop onéreux:
Plusieurs grandes institutions ont déjà tenté la conversion de molécules, utilisées à d'autres fins, en microbicides. Malheureusement, la plupart ont échoué : les produits obtenus n'étaient pas assez puissants ou, pire, ils favorisaient l'infection. Mais, depuis la fin des années 90, les recherches des profs Hartley et Offord se sont démarquées par leur usage des données modernes concernant le mode d'action du virus du sida. Leurs résultats ont permis l'élaboration de molécules d'un tout autre genre, spécifiquement conçues pour fonctionner contre le VIH. Pour rappel, en 2004, ces chercheurs avaient déjà développé une protéine, qui compte parmi les substances anti-sida les plus puissantes actuellement connues : ce fut la première capable de protéger les femelles macaques d'une infection par voie vaginale.
Depuis un certain temps, ces scientifiques du Dpt. de biologie structurale et bioinformatique de l'UNIGE suivaient la piste d'une protéine anti-sida, qui, quelle que fût la complexité des moyens techniques déployés pour la découvrir, devait être aisée à produire.
(Source : Passerellle unige)
Plus d'info
Des antibiotiques nouveaux qui ne tuent pas les bactéries ?
La deuxième bonne nouvelle est une approche complètement différente de la recherche d'antibiotiques : les désorienter plutôt que les tuer.

En effet , les souches résistantes aux antibiotiques sont de plus en plus un problème sérieux dans les hôpitaux MRSA
Alors que la plupart des antibiotiques visent à tuer ou au moins à empêcher les bactéries de se multiplier, une nouvelle stratégie a été développée par Rasko, David A. et al. (2008) : ils inactivent une voie de signalisation (QseC) par laquelle la bactérie détecte qu'elle est dans son hôte et active alors les gènes de virulence. Inhiber cette voie permettrait d'éviter que la bactérie produise ses effets pathogènes, et ne devrait réduire l'apparition de résistances.
Les antibiotiques forts en langue !
Une troisième bonne nouvelle est une approche complètement nouvelle de la recherche d'antibiotique basée sur une analyse avec des outils linguistique qui explorent des règles générales concernant les relations de proximité entre les mots dans d'immenses corpus de texte. Ces outils appliqués à des séquences d'acides aminés d'antibiotiques connus ont permis de prédire les proximités et éloignements d'a.a. qui seraient efficaces : 42 protéines prédites ont été testées et près de la moitié étaient capables de tuer des bactéries (alors que les mêmes acides aminés dans un autre ordre n'avaient quasi aucun effet). L'une d'entre elles tuait même Staphylococcus aureus la bactérie qui fait peur dans les hôpitaux, et l'agent de bio-terrorisme Bacillus anthracis à de faibles concentrations.
On voit là aussi que la biologie est de plus en plus une science de l'information, et que la question de comment aider les élèves a comprendre cette biologie-là aussi est posée.
Les asticots contre les bactéries résistantes ?
Image source : nature
La quatrième nouvelle est bonne, mais pas très ragoûtante : dans une news de Nature Katherine Sanderson rapporte les recherches sur une thérapie surprenante, voire choquante mais très sérieusement étudiée pour guérir des plaies infectées de bactéries résistantes à nos antibiotiques les plus puissants (Methicillin-Resistant Staphylococcus aureus (MRSA)) voir Bio-tremplin du 22 mai 07
La cinquième bonne nouvelle, selon l'adage "les ennemis de mes ennemis sont mes amis" est la recherche d'un ennemi naturel des bactéries pathogènes, on a ainsi exploré les virus bactériophages ou des bactéries prédatrices (Bdellovibrio ) comme antibiotiques Pearson Helen(2006), surtout contre les biofilms qui sont souvent très difficiles à attaquer.

La fréquence des résistances aux antibiotiques : pas seulement une affaire de lutte moisissures - bactéries !

Une sixième nouvelle est qu'on comprend mieux l'origine des résistances dans l'environnement.
Selon des recherches de Gautam Dantas, rapporté dans une news de Science, par Leslie Mitch les résistances aux antibiotiques ne découleraient pas seulement d'une sorte de guerre entre les décomposeurs dans le sol, mais s'inscrivent dans un ensemble de voies biochimiques parfois même "alimentaires" : ces bactéries utilisent les antibiotiques pour leur métabolisme.

Dans la même veine , une review Martínez José L. (2008) des interactions entre les antibiotiques et leur environnement naturel (non-clinique) explore les conséquences de la libération croissante d'antibiotiques dans l'environnement et des modifications de l'environnement sur les résistances qui reviennent dans notre environnement clinique. Les conséquences sur la santé humaine sont difficiles à prévoir et ces chercheurs insistent sur l'importance des recherches visant a améliore cette compréhension.
Photo Credits Science / M. Sommer and G. Dantas; (inset) photos.com


Plus d'infos sur les antibiotiques
  • On le voit : la recherche fondamentale sur les antibiotiques est tout de même très active : qu'on en juge sur la liste de publications sur le sujet rien que dans les news de Nature qui maintient une liste de liens sur la question des antibiotiques ici Keyword - Antibiotics
Des textes en français ?
La recherche fondamentale : un espoir dans le long terme ?
S'il ne faut pas attendre une solution aux maladies infectieuses dans l'immédiat de ces nombreuses pistes de recherche, (on sait qu'il s'écoule souvent 10-20 ans de la première identification de la molécule au traitement cf. p. ex ici ) il est encourageant de savoir que la recherche fondamentale (où le farfelu qui se révélera génial côtoie le farfelu qui le restera) se poursuit, malgré des pressions pour une recherche toujours plus appliquée aux effets a court termes tellement plus faciles à voir.

Pourtant on sait bien que la recherche appliquée d'aujourd'hui s'appuie sur la fondamentale d'il y a dix, vingt ou trente ans.

Si on n'avait pas fait des recherches sur une obscure bactérie des sources chaudes, on n'aurait pas la Taq Polymérase et la PCR (Kary B. Mullis prix Nobel chimie 1993) ,
Si un chercheur (Osamu Shimomura) n'avait pas exploré par curiosité les jolies fluorescences d'une méduse (Aequorea victoria image animée info ici ) on n'aurait pas la GFP et le prix Nobel de chimie de cette année...

Saurons-nous cultiver cet esprit d'exploration chez nos élèves ?

"Sa grande qualité était l'aptitude à goûter l'étrangeté qui marque l'esprit des véritables chercheurs."
MORRIS, Desmond, 1980, La fête Zoologique, Calmann-Lévy

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