vendredi 3 septembre 2010

Pourquoi les lucioles clignotent à l'unisson

Les mâles brillent pour allumer les femelles...

Plusieurs lucioles (Coleoptera : Lampyridea) attirent les femelles en clignotant à une fréquence différente pour chaque espèce. Les femelles répondent en clignotant de leur manière à elles, ce qui permet la rencontre et la reproduction. On a observé chez certaines espèces que de très nombreux individus se synchronisent ; parfois dans une forêt entière, produisant une sorte d'effet "guirlande de noël" saisissant. La raison de cette synchronie n'était pas bien établie. Une étude récente parue dans Science révèle que ce serait afin de faciliter la détection par les femelles.

  • Closeup Photo of Firefly
    Fig 1 : Les lucioles émettent de la lumière par le dessous de leur abdomen. [img] Source : Firelfly-pictures ici
Un peu de recul pour comprendre l'expérience ... On peut noter que cette expérience s'inscrit -et prend du sens - dans certaines hypothèses : notamment que c'est principalement la fréquence du clignotement qui est le stimulus-signal, (la composante utile pour déclencher ce comportement) de réponse lumineuse chez la femelle. Et que cet échange fait partie du comportement de cour.

Le comportement reproducteur des lucioles

Selon Discover Life in America (DLIA) , dès la tombée de la nuit, les femelles Photinus carolinus attendent sur le sol que des mâles qui passent émettent leur signal clignotant (une salve de 5-8 éclairs suivis d'une phase obscure de 5-8 secondes). Elles répondent durant ce "silence" visuel avec leur signal clignotant spécifique. Alors le mâle trouve la femelle et se reproduit avec. Les motifs de ces clignotements sont spécifiques : pour chaque espèce la succession d'éclairs et le délai entre les salves est différent. La figure 3 montre les motifs temporels des mâles de 6 espèces différentes. clignotement des lucioles de différentes espèces
Fig 3 : Motifs de clignotements spécifiques de plusieurs espèce de lucioles ; la succession d'éclairs et le délai entre les salves est spécifique. [img] Source : Discover Life in America ici

Pourquoi cet échange stéréotypé de clignotements ?

Il me semble qu'on peut considérer cet échange spécifique de clignotements du mâle puis de la femelle comme un comportement stéréotypé, équivalent à celui de l'épinoche (intranet.jpg). Il aurait alors comme effet de sélectionner pour l'accouplement des individus de la bonne espèce, du bon sexe, et prêts à la reproduction. Cependant, selon (Milne and Milne, 1980) dans l'excellent article sur ADW des prédateurs interceptent et exploitent cette communication; les femelles d'une autre espèce de luciole Photuris pyralis imitent le signal de Photinus pyralis et attirent ainsi les mâles (pas de commentaires féministes merci) qui sont dévorés. Ou plus exactement la prédatrice injecte un poison qui paralyse et liquéfie la proie, dont le contenu est ensuite aspiré. Bon appétit !

Pourquoi les mâles allument plus... ?

On peut noter que les mâles assument une plus grande part du risque en étant plus visible, comme chez les oiseaux avec leur chant par exemple. On a souvent expliqué cette différence par l'asymétrie de l'investissement dans la reproduction : comme les spermatozoïdes sont plus petits que les ovules, ce sont les mâles qui prennent plus de risques produisent plus de descendants, alors que les femelles plus prudentes ont plus de descendants.
"La sélection intrasexuelle désigne la sélection qui a lieu entre des individus de même sexe. Elle passe par la concurrence directe pour gagner les faveurs d 'un partenaire de sexe opposé. La sélection intrasexuelle est généralement plus évidente chez les mâles, car pour le mâle, le succès de la reproduction dépend beaucoup plus de la capacité de se trouver une partenaire que de produire les cellules nécessaires à cette fonction (alors que ce sera l'inverse pour la femelle)." Campbell, N. A., et al. (2004).
Ainsi les lucioles actuelles sont les descendantes des mâles qui ont bien clignoté le rythme qui convenait pour attirer l'attention des femelles... et de celles qui ont choisi un mâle et clignoté discrètement mais de manière adéquate leur assentiment. (Pas de commentaires macho' ou féministes merci).

Plus d'infos sur ces lucioles ?

Comment ont-ils mesuré le stimulus qui déclenche le clignotement de la femelle?

La raison de ce clignotement synchrone en masse à suscité de nombreuses hypothèse, mais la recherche de Moiseff, A. et al. (2010) apporte des éléments de réponse basés sur des données rigoureuses et discutées de manière critique et prudente. On appelle ça de la science… Pour explorer comment les femelles répondaient à divers stimuli de fréquence et de position, Moiseff, A. et al. (2010) ont placé des femelles de luciole Nord américaine (Photinus carolinus) dans un environnement avec des mâles artificiels (des diodes lumineuses LED) qui clignotaient de manière plus ou moins synchrone.

Firefly, bioluminescence, mating, LED
Fig 2 : Des leurres de mâles artificiels constitués d 'une diode lumineuse (LED) ont permis d'explorer les réactions des femelles. [img] Source : Andrew Moiseff in Scientific American ici

Elles ont répondu à 82% des "mâles" artificiels synchrones et 3% seulement des mâles désynchronisés. Cf. figure 4.

Fig. 1.,             Female responses to synchronous and asynchronous virtual,             males. (A to D) Flash patterns of eight LEDs for different,             stimuli. Green indicates that the LED is producing light.,             Each horizontal line corresponds to one LED. For all,             stimuli, each LED produced the same malelike pattern, but,             the relative phase delays between the LEDs differs. (A),             Unison synchrony. No phase delays between any LEDs. (B),             Near-unison synchrony. Short phase delays between LEDs. (C),             Nonsynchronous stimuli with moderate variation of phase,             delays between the LEDs. (D) Nonsynchronous stimuli with,             large variation of phase delays between the LEDs. (E) Two,             phrases of the P. carolinus malelike flash pattern. The             time, calibration also applies to (A) and to (D). (F)             Percent, female response to 10 stimulus phrases for each             stimulus, sequence (mean ± SD; **P < 0.01, paired t test,             one, tail). Unison synchrony was presented repeatedly as a,             control.
Fig 4 : Taux de réponses (F) des femelles à divers degrés de synchronisation (A-D) des mâles artificiels. (E) Motif normal de clignotement du mâle Photinus carolinus . [img] Source : Moiseff, Andrew, et al. (2010). Figure complète et légende ici

Il apparaît clairement que les femelles réagissent plus a un mâle qui clignote à l'unisson avec les autres qu'à un mâle qui clignote dans le "bruit " visuel de lucioles non coordonnées, même si chacun produit bien le rythme propre à l'espèce.

Qu'est-ce qui a bien pu favoriser les mâles qui clignotent à l'unisson ?

Ils notent que comme les lucioles mâles volent, la détection de la fréquence du clignotement d'un individu parmi d'autres implique de suivre cet individu dans ses déplacements tout en mesurant les temps d'extinction et d'allumage. Dans un environnement visuel chargé, ils pensent que cette tâche est peut-être trop difficile pour les femelles, (pas de commentaires macho' merci) qui ne détecteraient pas certains clignotements hors de la région observée. Un peu comme si nous essayions de suivre une balle clignotante la nuit dans une rue garnie d'enseignes lumineuses clignotantes. Ou comme si on essayait de faire du tennis dans une disco avec un éclairage stroboscopique. Les auteurs relèvent qu'on ne peut pas exclure une autre hypothèse : les femelles préfèreraient simplement les stimuli synchrones. Difficile de trancher. En science il ne suffit pas de montrer que le modèle proposé est compatible avec les données, il faut encore montrer que les autres explications envisageables ne sont pas étayées par les données. Ou pas aussi bien. " Future experiments will be required to differentiate between these alternatives. However, behavioral considerations lead us to favor the pattern recognition interpretation." Prudente conclusion...

Se noyer dans la masse pour mieux être repéré ?

Ainsi de manière paradoxale, pour être mieux repéré chaque mâle a intérêt à clignoter en même temps que les autres. Peut-être que le conformisme vestimentaire des jeunes est aussi une manière indirecte de se mettre en valeur et d'attirer l'attention de l'autre dans la surabondance de stimuli auxquels ils sont confrontés ?

Sources

1 commentaire:

  1. La préférences des mâles synchrones par les femelles ne peut-elle pas s'expliquer par le besoin d'éviter des harmoniques? Deux mâles proches géographiquement qui sont déphasé d'une demi-phase vont produire un signal avec une fréquence double, qui correspondrait à une autre espèce. Par extension, la combinaison de multiples mâles désynchronisés peut produire un signal de fréquence variée, et correspondant à divers espèces.

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