jeudi 23 septembre 2010

La percolation des découvertes scientifiques dans la presse.

Comprendre scientifiquement ces résultats c'est les mettre en perspective …

Parmi les très nombreux articles du CISA, nous avions mentionné (Bio-tremplins du 17IX010) un article sur la mémoire des émotions faciales.
Cette nouvelle a été reprise dans la presse en général. Nous allons comparer un peu l'original et ce qu'il en reste dans la percolation de l'information à travers les strates de la vulgarisation.

La science : des conclusions étayées...

L'article scientifique de Vrtika, P. et al. (2009) quant à lui, décrit comment ils ont procédé, ce qu'ils ont trouvé (résultats),  et discute l'interprétation possible (conclusions).

Comment ils ont procédé  

Pour être complet :cf  METHODS pour ceux qui ont un accès (les étudiants l'ont par leur université !). En gros ils ont présenté des visages juste après que le sujet ait gagné ou perdu à un jeu. Les visages étaient souriants ou fâchés (cf fig 2a). Comme s'ils se réjouissaient de la victoire, ou de la perte, ou en étaient fâchés (fig 2b).  Le visage joyeux lorsqu'on perd ou fâché quand on gagne est appelé dans l'expérience : ennemi "foe". Ils ont mesuré par IRMf les zones qui s'activaient lors de la présentation de tous ces visage et ~5 minutes plus tard lorsque ce même visage leur était présenté à nouveau lors d'une autre activité.

Illustration of the paradigm and the four, different, feedback conditions.

Fig 2 : le principe de l'expérience et les 4 conditions de feed-back visuel. [img] Source : Vrtika, et al. (2009)

Ce qu'ils ont trouvé : les résultats.

...une sélection des  RESULTS  complets.

résultats principaux
Fig 3 : c-d un des résultats de l'expérience : l'ACC s'active plus quand le visage est  "ennemi" (il sourit de votre défaite ou est en colère de votre victoire). [img] Source : Vrtika, et al. (2009)



Parmi d'autres résultats,  celui qui a le plus frappé en général est le fait que certaines zones dont l'amygdale, et le cortex cingulaire antérieur (anterior cingulate cortex =ACC) s'activent plus lorsqu'on revoit les visages qui étaient "ennemi". L'ACC est en général considérée comme une région qui module et régule les émotions "Finally, of particular interest, [...], we found that activity in the rostral ACC was significantly modulated by the prior social context of faces, and exhibited a selective increase to faces of “foes” from the two incongruent feedback conditions. " Cf. Purves

L'interprétation possible :

Une sélection des DISCUSSION et CONCLUSIONS L'article suggère – en des termes prudents – qu'on se souvient des émotions évoquées la première fois qu'on rencontre un visage. "the activation of some of these regions to new encounters of the same face identities is modulated by the positive (friendly) or negative (hostile) nature of past social context, providing a neural substrate for enduring person impression that can influence emotion and behavior during subsequent presentation with the same face identities. " Le lecteur moyen de cette revue (Nature) est sans doute capable de mettre en perspective dans les hypothèses ces données : Par exemple savoir que la mesure du signal IRMf est interprétée comme l'activation d'une zone : c'est une hypothèse très forte actuellement. Mais qu'en fait avec l'IRMf BOLD (@lecerveau.McGill)[img] on mesure indirectement un afflux de sang qui se produit après l'activation et on doit déduire ce délai (quelques secondes). Que chaque image est une différence de l'ensemble des activités mesurées entre une condition considérée comme "repos" et celle testée, etc.   Mais sans ce recul, peut-on bien comprendre ces résultats ? D'autre part les auteurs discutent les autres explications possibles et la portée, la solidité de ces conclusions. "Because most of the abovementioned areas showed the highest levels of activation for familiar faces previously encountered in an incongruent social context, our results could potentially also be interpreted as a simple incongruency/congruency effect on memory. However, an incongruency effect would predict similar influences for both types of incongruent faces irrespective of their previous expression (smiling or angry), whereas our results indicated a clear difference as a function of expression, in agreement with a role for more specific factors related to affective/social perception during encoding."
Ainsi les conclusions sont étayées par des données et une justification en référence aux hypothèses étaye les conclusions : cet article permet au lecteur de se construire une connaissance scientifique !

Une information scientifique devient une question de Trivial Pursuit ?

Cette recherche Vrtika, P. et al. (2009) a été reprise dans la presse en général. On la retrouve naturellement simplifiée. Ce qui est intéressant, c'est de voir ce qui reste lors de ce processus. Cette nouvelle a été reprise dans la presse en général. Mais évidemment simplifiée. Ce qui est intéressant, c'est de voir ce qui reste lors de ce processus.  Les articles mentionnent le plus souvent une des conclusions, mais pas les conditions expérimentales ou les interprétation qui permettraient de comprendre la portée de l'information. Par exemple le gratuit "20minutes" du 20 août titre : "Ennemis mémorisés " puis  un bref article :
" Le cerveau reconnaît les visages, surtout ennemis. Des chercheurs de l'Université de Genève ont découvert qu'il suffisait d'une seule et courte confrontation pour se souvenir de l'impression. " (page 3).
Une partie des conclusions – sans justification ni référence aux méthodes – est tout ce qui reste. Et décrit en insistant sur les dimensions dramatiques ou sensationnelles.  C'est sans doute un bon  article pour susciter l'envie de savoir, ou pour amorcer un questionnement. Dans le contexte éducatif c'est peut-être un excellent article pour susciter l'envie de savoir, ou pour amorcer un questionnement, mais si c'est sur de tels articles que la culture scientifique des jeunes se construit, on peut être inquiet. Or certaines recherches suggèrent que les jeunes acquièrent plus de leur culture scientifique à travers les médias qu'à l'école... 

Ce que la presse a publié sur cette nouvelle

Chacun pourra se faire une idée de cette dégradation de l'information en lisant la sélection d'articles de presse suite à cette publication scientifique que le CISA a rassemblée.

La dégradation de l'information dans le processus de vulgarisation

Cette transformation est classique, et a été étudiée par d'autres scientifiques. Dans un chapitre d'un ouvrage édité par W.Doise de l'université de Genève, et C. Garnier des chercheurs Lausannois Green, E. G. T., & Clémence, A. (2002) étudient comment une publication scientifique voit son contenu transformé par la vulgarisation.
"En circulant, la découverte scientifique est débarrassée progressivement d'un ensemble d'éléments caractéristiques de la pensée informative. Le vocabulaire expert, précis et abstrait, est remplacé par des expressions concrètes et connues. La description expérimentale est abandonnée au profit d'une focalisation sur les choses étranges et troublantes qui, après avoir été simplifiées, se transforment en affirmations générales. Les éléments de l'article initial sont simplifiés autour d'une idée ou d'une image centrale. Celle-ci [...] prend place dans un débat sur ses conséquences éventuelles et pousse les personnes à développer des points de vue pour donner une conclusion à une histoire incomplète."

Un exemple de percolation :  Les bases moléculaires de l'attachement chez les mammifères

Pour l'exemple étudié par Green, E. G. T., & Clémence, A. (2002).
D'autres connexes

Dégradation inéluctable ou niche éducative différente ?

Pour produire ces Bio-Tremplins je dois lire Nature et Science (oui, c'est une chance, mais c'est ~200 pages bien tassées toutes les semaines ou deux), et je vois comment la plupart du temps la publication d'origine se fait dans ce type de revues, puis est repris dans La Recherche et Science et Vie par exemple, pour arriver dans les journaux grand public. Quelques exemples de cette percolation sont disponibles ici. Faut-il en déduire que certaines revues seraient mauvaises et d'autres bonnes ? Je pense plutôt qu'on peut -en fonction de leur niveau de formulation- déterminer laquelle de ces revues est plus adaptées a un public scolaire déterminé ou a un type d'activité.  En particulier on peut distinguer des articles qui suscitent le questionnement, des articles qui permettent de trouver des réponses. Alors on distinguera dans chacune de ces revues différents types d'articles. Certaines News de Nature sont assez accrocheuses ( Abdulla, Sara. (1999). GM mouse makes a mastermind), alors que certains dossiers de Science & Vie sont bien étayés. (Tourbe, Caroline. (2009) Science et Vie IX09 p. 67 Extraits intranet.jpg). Ainsi l'adéquation du type d'article à l'activité des élèves est peut-être plus pertinente pour trier ces articles... Les articles pour susciter les questions, pour aider à définir un problème, pour donner de l'information scientifique, pour poser les questions et les enjeux éthiques...

Sources

  • Green, E. G. T., &Clémence, A. (2002). De l'affiliation des souris de laboratoire au gène de la fidélité dans la vie : un exemple de transformation du savoir scientifique dans le sens commun. In C. Garnier & W. Doise (Eds.), Représentations sociales. Balisage du domaine d'études. Montréal: Éditions nouvelles, pp. 147 - 155, 2002. (pp. 147 - 155). extraits OCR intranet.pdf
  • Vrtička, P., Andersson, F., Sander, D., & Vuilleumier, P. (2009). Memory for friends or foes: The social context of past encounters with faces modulates their subsequent neural traces in the brain. Social Neuroscience, 4(5), 384‑401. http://doi.org/10.1080/17470910902941793 |Intranet.pdf
  • Tourbe, Caroline. (2009) Science et Vie IX09 p. 67 Extraits intranet.jpg

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