Comment les gènes sauteurs déterminent la forme du serpent qui, lui, ne saute pas !
Les serpents sont munis de très nombreuses vertèbres (p. ex 270) et n'ont pas de bassin alors que les lézards ont une bonne trentaine de vertèbres. En étudiant les gènes architectes Hox et leur expression chez un lézard et un serpent, l'équipe du Prof Duboule à l'UniGe a découvert dans la région de ces gènes une invasion de transposons, ces gènes capables de se déplacer à intérieur du génome, qui est peut-être à l’origine de la grande souplesse observée dans le plan de construction des squamates..
Les gènes Hox, architectes de la structure du corps...
Les gènes Hox sont une famille de gènes Homéotiques trouvés chez quasiment tous les embranchements (Alberts (2002) cf. ici ) qui spécifient les structures le long de l'axe antéro-postérieur du corps.On les appelle aussi homeotic selector genes : je trouve le terme de sélecteur très parlant : ils sélectionnent ce que fera ce segment.
La complexité du corps d'un animal adulte résulte de la répétition modulée de quelques types de structures de base. Ainsi, superposé au motif de gènes dont l'expression se répète dans chaque segment, l'expression sérielle (c.-à-d. différenciée en fonction de la position antéro-postérieure) des gènes hométiques confère à chaque segment une identité différente.
- Denis Duboule sur les gènes architectes dans l'émission "La tête au carré " ici.
Fig 1 : [img] Chacune des bandes colorées qui figurent ici sur les chromosomes désigne un gène homéotique. Les couleurs renvoient aux parties de l'embryon où ces gènes s'expriment et aux régions correspondantes de l'organisme adulte. On constate que la disposition des gènes sur le chromosome reflète fidèlement la disposition des structures de l'animal sur lesquelles ils agissent. . Source Campbell, N. A. (2004).
Des gènes bien conservés
Leur remarquable similitude de séquence et de fonction aussi bien chez les arthropodes que chez les vertébrés a été très étudiée (Alberts (2002) cf. ici ). De plus, ils s'expriment dans un ordre qui correspond aussi bien à leur position sur les chromosomes qu'à l'ordre des structures corporelles.Fig 2 : Comparaison du complexe Hox d'un insecte avec ceux d'un mammifère avec les régions corporelles correspondantes . [img] Source Alberts B, et al.(2002). [img]
"Chez la drosophile, tous ces gènes se situent sur le même chromosome. Chez la souris et les autres mammifères, on trouve le même ensemble de gènes ou des ensembles similaires sur quatre chromosomes. Tous ces gènes sont presque identiques chez les drosophiles et les souris, excepté ceux qui sont représentés par des bandes noires; ces derniers se ressemblent moins chez les deux espèces." Campbell, N. A. (2004).
- Voir aussi Alberts (2002)Molecular Biology of the Cell. 4th edition. Edition on-line gratuitement accessible
Ces gènes sont très conservés, ce qui ne veut pas dire qu'ils mutent moins, mais plutôt que les mutations qui s'y produisent ont en général des conséquences trop graves pour que l'individu qui les porte puisse même vivre assez longtemps et être observé : elles sont létales.
Cf l'excellent Blog Pharyngula How to make a snake "purifying selection — that is, mutations here tend to be unsuccessful, and lead to death, failure to propagate, etc., other horrible fates that mean tinkering here is largely unfavorable to fecundity "
Cependant il y a un cas au moins de mutation liée aux gènes Hox cf. Levinsohn, E. M., et al. (2004) publient une recherche qui lie une mutation du gène Hox10 à une déformation du talon Congenital vertical talus.
Cf l'excellent Blog Pharyngula How to make a snake "purifying selection — that is, mutations here tend to be unsuccessful, and lead to death, failure to propagate, etc., other horrible fates that mean tinkering here is largely unfavorable to fecundity "
Cependant il y a un cas au moins de mutation liée aux gènes Hox cf. Levinsohn, E. M., et al. (2004) publient une recherche qui lie une mutation du gène Hox10 à une déformation du talon Congenital vertical talus.
Séquences
Des gènes dont la protéine se fixe sur l'ADN
Les protéines produites à partir des gènes Hox sont des facteurs de transcription qui reconnaissent une région spécifique de l'ADN appelée homeobox ou boîte homéotique d'environ 180 nucléotides. En s'y fixant, ils vont réguler l’expression d’autres gènes.Le domaine (région) des protéines Hox qui reconnaît l’homéobox sur l’ADN est appelé ‘homéodomain’. Il s’agit d’une séquence de 60 acides aminés avec une structure 3D particulière appelée helix-turn-helix (HTH)
Exemple : l’homéodomaine de la protéine antennapedia de la drosophile se fixant par complémentarité des formes à l’homéobox (ADN).
Fig 3 : Homéodomaine de la protéine antennapedia de la drosophile se fixant par complémentarité des formes à une section d'ADN. [img]Source : wikipedia.
Les serpents ont plus de vertèbres
Chez les Squamata (squamates), on observe l'expansion des régions caudale et thoracique et donc des vertèbres porteuses de côtes, mais par contre la disparition du bassin. Fig 4 : Le squelette des serpents a beaucoup plus de vertèbres, thoraciques et caudales, mais pas de lombaires ni de bassin. source : CR4 A droite squelette de lézard d'après Bertrand-Renault & Mols 2001
Les gènes sauteurs
Ce sont des éléments d’ADN mobiles aussi appelés transposons.
Fig 5 : Les transposons sont des éléments d'ADN qui se déplacent dans l'ADN. [img]Alberts Chapter 5, DNA Replication, Repair, and Recombination.
Formés de séquences d’ADN capables de se déplacer de manière autonome dans le génome, présents chez tous les organismes vivants, ces «gènes sauteurs» sont considérés comme de véritables moteurs de l’évolution, leur mobilité étant source de mutations, dit le Pr. Duboule dans le dossier de presse de l'UniGe. Ces séquences particulières produisent une enzyme qui reconnait des zones autour du gène lui-même, la découpent et l'insèrent plus ou moins au hasard.
- Pour approfondir : DNA-only Transposons Move By DNA Breakage and Joining Mechanisms. In: Alberts Chapter 5, DNA Replication, Repair, and Recombination.
- Dessibourg, Olivier.(2010).Les serpents, si longs à cause des «gènes sauteurs»
Les gènes sauteurs modifient l'expression des gènes Hox chez les squamates
L'équipe du Prof. Duboule à l'UniGe ( Di-Poi, N., et al., 2010) a comparé l'expression des gènes Hox chez un serpent et un lézard (Whiptail lizard : probablement Cnemidophorus uniparens@ADW et corn snake : probablement Elaphe guttata (red corn snake) ). Ils ont constaté avec surprise que les segments de génome abritant les gènes Hox étaient bien plus longs chez les squamates que chez les autres reptiles.
«Cette accumulation de transposons a vraisemblablement facilité les adaptations qui ont accompagné la transition morphologique entre le modèle ressemblant au lézard et celui du serpent, qui s’est fortement allongé», explique Denis Duboule. Une fenêtre d’opportunité s’est présentée au cours de l’évolution du plan de construction des squamates. Il en a résulté un relâchement dans la fonction et la régulation des gènes architectes et un remodelage intégral de la structure des serpents.
Ils montrent en particulier des grands changements dans l'expression de Hox13 et Hox10. Cf figure 6
«Cette accumulation de transposons a vraisemblablement facilité les adaptations qui ont accompagné la transition morphologique entre le modèle ressemblant au lézard et celui du serpent, qui s’est fortement allongé», explique Denis Duboule. Une fenêtre d’opportunité s’est présentée au cours de l’évolution du plan de construction des squamates. Il en a résulté un relâchement dans la fonction et la régulation des gènes architectes et un remodelage intégral de la structure des serpents.
Ils montrent en particulier des grands changements dans l'expression de Hox13 et Hox10. Cf figure 6
Fig 6 : Les positions des domaines d'expression Hox le long de l'axe chez un lézard whiptail lizard avec 32-40 somites et un serpent corn snake avec 255-270 somites) sont représentées en noir (Hox13), gris foncé (Hox12), gris clair (Hox11) blanc (Hox10), alignées avec un schéma des futures vertèbres. Les couleurs indiquent les différentes régions : vertébrales ; jaune : cervicale; bleu foncé : thoracique; bleu clair, lombaire; vert : sacrée (chez le lézard) ou cloacale (chez le serpent); rouge; caudale. Notez l'absence de Hoxa13 et Hoxd13 du mésodeme du serpent et l'absence de Hoxd12 du génome du serpent. [img]
Comment Les serpents ont perdu leur bassin
Ces changements se sont accompagnés d’une forte augmentation du nombre de vertèbres chez les serpents et de la disparition de la région lombaire. En effet, chez ces reptiles, toutes les vertèbres portent des côtes, à l’exception de celles du cou et de la queue. «Chez les serpents, les gènes architectes qui interviennent pour bloquer la formation des côtes ont muté. Leur perte d’activité a abouti à une expansion sans précédent de la région thoracique, par manque d’un signal d’arrêt», ajoute Denis Duboule. L’élongation de la région caudale serait due elle aussi à une altération dans les gènes Hox.Ils ont aussi montré qu'un nombre inhabituellement élevé de transposons se sont accumulés dans les complexes Hox, et pourrait avoir joué un rôle dans la radiation morphologique chez les squamates. "Variations in both protein sequences and regulatory modalities of posterior Hox genes suggest how this genetic system has dealt with its intrinsic collinear constraint to accompany the substantial morphological radiation observed in this group."
Façon prudente de dire que cela pourrait avoir activé la répétition des vertèbres thoraciques et la disparition des vertèbres lombaires.
Une nouvelle façon de faire de la science
Un serpent? Un gecko? Une tortue? Et quelques lézards exotiques? S’ils sont vivants, on se trouve dans un zoo. S’ils sont morts, dans un musée d’histoire naturelle. En fait, on se trouve dans le laboratoire à la pointe de la recherche en biologie expérimentale, celui de Denis Duboule à l’Université de Genève. Ces organismes sont utilisés pour mieux comprendre le rôle des gènes dans le développement de l’anatomie des vertébrés. L’article de Nicolas Di-Poï et al. (2010), en plus de présenter des résultats étonnants sur la structure, la fonction et l’évolution de ces gènes, illustre parfaitement une transformation historique profonde en cours dans la manière de faire de la recherche biologique.
Un Gecko dans l’Eprouvette Par Bruno J. Strasser, Yale University dans le nouveau site Expériment@l de la faculté des sciences de l'UniGe. Cf : Expériment@l, des données authentiques, 3 éclairages!
Elle ne remplace pas la paillasse traditionnelle – ici l'étude de l'expression se fait chez des animaux – mais elle l'amplifie, la complète, prend souvent une place cruciale dans la construction des savoirs.
Mais elle demande de nouvelles compétences pour comprendre et mettre en perspective ces résultats, des compétences auxquelles beaucoup d'enseignants ne sont pas formés.
Elle est une opportunité pour l'école, pusiqu'elle permet aussi de nouvelles expériences: les ressources sont disponibles en classe avec un simple accès internet et les outils pour les traiter également.
Comment mettre en oeuvre ces outils en classe n'est pas facile à inventer, certains ont commencé à le faire.
Un site établi sur la base de formations continues avec Marie-Claude BLATTER, de l'Institut Suisse de Bioinformatique, propose de nombreux scénarios http://doiop.com/bist
Façon prudente de dire que cela pourrait avoir activé la répétition des vertèbres thoraciques et la disparition des vertèbres lombaires.
- Dessibourg, Olivier.(2010).Les serpents, si longs à cause des «gènes sauteurs» Extraits intranet.pdf
Une nouvelle façon de faire de la science
Un serpent? Un gecko? Une tortue? Et quelques lézards exotiques? S’ils sont vivants, on se trouve dans un zoo. S’ils sont morts, dans un musée d’histoire naturelle. En fait, on se trouve dans le laboratoire à la pointe de la recherche en biologie expérimentale, celui de Denis Duboule à l’Université de Genève. Ces organismes sont utilisés pour mieux comprendre le rôle des gènes dans le développement de l’anatomie des vertébrés. L’article de Nicolas Di-Poï et al. (2010), en plus de présenter des résultats étonnants sur la structure, la fonction et l’évolution de ces gènes, illustre parfaitement une transformation historique profonde en cours dans la manière de faire de la recherche biologique.Un Gecko dans l’Eprouvette Par Bruno J. Strasser, Yale University dans le nouveau site Expériment@l de la faculté des sciences de l'UniGe. Cf : Expériment@l, des données authentiques, 3 éclairages!
De nouvelles approches pour étudier l'évolution...
Au-delà d'une explication passionnante de cette particularité anatomique remarquable des serpents, c'est l'approche qui interpelle l'école : l'analyse de séquences, pour y mettre en évidence les gènes Hox, leur position, la mise en évidence des transposons est au centre de cette recherche. Et ces expériences-là se font au clavier, une nouvelle sorte de biologie "in silico" (BIST) qui prend de plus en plus de place dans la pratique de tous les biologistes.Elle ne remplace pas la paillasse traditionnelle – ici l'étude de l'expression se fait chez des animaux – mais elle l'amplifie, la complète, prend souvent une place cruciale dans la construction des savoirs.
Mais elle demande de nouvelles compétences pour comprendre et mettre en perspective ces résultats, des compétences auxquelles beaucoup d'enseignants ne sont pas formés.
Elle est une opportunité pour l'école, pusiqu'elle permet aussi de nouvelles expériences: les ressources sont disponibles en classe avec un simple accès internet et les outils pour les traiter également.
Comment mettre en oeuvre ces outils en classe n'est pas facile à inventer, certains ont commencé à le faire.
Un site établi sur la base de formations continues avec Marie-Claude BLATTER, de l'Institut Suisse de Bioinformatique, propose de nombreux scénarios http://doiop.com/bist
Sources
- Dessibourg, Olivier.(2010).Les serpents, si longs à cause des «gènes sauteurs» Le Temps jeudi 4 mars 2010 Extraits intranet.pdf
Campbell, N. A., & Reece, J. B. (2004). Biologie: De Boeck.Alberts B, Johnson A, Lewis J, et al.(2002) Molecular Biology of the Cell. 4th edition. New York: Garland Science; . - Di-Poi, N., Montoya-Burgos, J. I., Miller, H., Pourquie, O., Milinkovitch, M. C., & Duboule, D. (2010). Changes in Hox genes' structure and function during the evolution of the squamate body plan. Nature, 464(7285), 99-103. doi:10.1038/nature08789
- Duboule, D. (2007). The rise and fall of Hox gene clusters. Development, 134(14), 2549 -2560. doi:10.1242/dev.001065. Full Text (PDF)
- Kmita, M., & Duboule, D. (2003). Organizing Axes in Time and Space; 25 Years of Colinear Tinkering. Science, 301(5631), 331 -333. doi:10.1126/science.1085753 | extraitsintranet.pdf
- Levinsohn, E. M., Shrimpton, A. E., Cady, R. B., Packard, D. S., & Hootnick, D. R. (2004). Congenital vertical talus in four generations of the same family. Skeletal Radiology, 33(11), 649-654. doi:10.1007/s00256-004-0851-1
- Service de Presse de l'université de Genève (2010)
Expériment@l, des données authentiques, 3 éclairages!
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