lundi 9 septembre 2013

Des neurones spéciaux pour les câlins ?

Les phanères ne servent pas seulement  à la thermorégulation… 

Une étude récente met en évidence des neurones particuliers sensibles aux caresses. Ces neurones  réagissent spécifiquement à des stimulations "caressantes" par un pinceau alors que d'autres ne répondent qu'à des stimulations pénibles comme le pincement ou les piqûres.
Des chercheurs ont identifié un récepteur moléculaire spécifique qui permet d'identifier leur position et les activer expérimentalement. Ces neurones sont présents chez les souris, mais on en trouve des similaires chez l'humain là où la peau porte des poils, mais pas sur la paume des mains par exemple.
caresser est une activité sociale          importante chez les primates
Fig 1 : Nature titre sur cette découverte [img] source  Roberto Westbrook/Blend Images/Corbis

Les caresses : un besoin psychologique ?

Nous avons probablement tous observé combien les chats, les chiens apprécient les caresses, et je vous souhaite d'avoir pu ressentir que les humains aussi.
Leur besoin critique est mentionné par les auteurs en référence aux expériences de Harlow, Harry F. (1959) “Love in Infant Monkeys,”.
harlow
Fig 2: Harlow avait déjà mis en évidence le besoin de caresses chez le nouveau-né chez d'autres primates que nous  [img] source  Harlow

De nombreuses recherches portent sur la douleur, parce qu'elle est sans doute plus importante médicalement mais aussi parce qu'elle est plus facile à étudier chez les souris (évitement, retrait etc). Il y a tout de même des recherches sur les bases neurologiques des caresses et la présence de neurones spécifiques pour ce type de stimulus est connu depuis Olausson, H. (2002). Ils ont montré  que des voies nerveuses spécifiques sont en jeu, mais la nature des récepteurs n'était pas établie.

caresse
Fig 3: Chez l'humain on avait déjà démontré que les caresses suivent des voies nerveuses indépendantes [img] source  Pearson, Helen (2002)

Les auteurs - sur la base de l'étude par IRMf d'une patiente dépourvue des neurones myélinisés et d'une grande part du toucher mais qui percevait les touchers agréables - suggéraient alors que cette voie pourrait sous-tendre les réponses émotionnelles hormonales et affectives des caresses. 
"These findings identify CT as a system for limbic touch that may underlie emotional, hormonal and affiliative responses to caress-like, skin-to-skin contact between individuals."Olausson, H. (2002) Comment  Obtenir un article mentionné : Get-a-doi
Mais les récepteurs impliqués n'étaient pas connus, et la recherche de (Vrontou, S., et al. 2013) montre que nous avons une double innervation tactile de la peau pileuse; l'une d'entre elle,  qui est lente (C Tactile) met en jeu des neurones non myélinisés qui répondent à des stimulations faibles et activent les aires de l'insula du cerveau mais pas les aires somatosensorielles.


Fig 4 :Les aires somatosensorielles [img] source Figure 9.8 dans  Purves, Dale. et al.,(2006).

L'étude est rapportée dans une News de Nature ( Mice have 'massage neurons') par Thea Cunningham avec une très amusante vidéo qui décrit l'expérience.
Vrontou et al.  mettent en évidence chez la souris un récepteur moléculaire particulier aux stimulations douces comme les caresses : MRGPRB4. C'est une classique G-Coupled Protein transmembranaire – comme de nombreux récepteurs.  Comment  Obtenir un article mentionné : Get-a-doi
  • La protéine, sa séquence chez uniProt Q91ZC0
Fort de cette séquence ils ont pu l'activer par des voies pharmacologiques (avec des molécules qui les activent) pour en vérifier la spécificité et la répartition.

Fig 5: Les différentes simulations testées  [img] source  Vrontou, S.,et al (2013)

Les chercheurs ont réussi à monter un dispositif ingénieux qui stimule la souris de manière "caressante" ou plus ferme (pincement ou poking (~piqûre légère), cf. fig. 5), pour montrer que MRGPRB4 n'est pas activé lors de stimuli désagréables, mais seulement lors de caresses avec un pinceau. Ils ont utilisé une technique où les neurones fluorescent quand ils sont actifs. Leur réaction à des stimuli donc être suivie visuellement. Ils ont ainsi montré que les neurones CT (C Taciles) munis de MRGPRB4 ont une sensibilité distincte d'autres neurones CT anatomiquement semblables munis de récepteurs ( MRGPRD) sensibles aux stimulations désagréables.
  • Séquence et liens pour MRGPRD Chez l'humain Q8TDS7
Ils ont exploré les dimensions affectives par des expériences comportementales : en activant ces neurones dans une loge de leur espace (cf fig. 6) ils ont pu observer que les souris y retournaient préférentiellement, suggérant que ces neurones ont un effet de renforcement ou anxiolytique et pas seulement un effet local dans la peau.

Fig 6: Les souris ont été conditionnées dans différentes loges de leur cage pour étudier l'effet comportemental (calmant?) de ces récepteurs [img] source  Vrontou, S.,et al (2013)

Les potentiels?

L'article termine classiquement par l'évocation des potentiels de cette découverte... et s'ils reconnaissent que les applications thérapeutiques ne sont pas pour demain, l'un des auteurs envisage une crème stimulant ces récepteurs à appliquer à votre animal familier pour le calmer en votre absence – comme si vous le caressiez…
Imagine smearing something on their skin that makes them feel like they're being stroked and petted even when you're away at work!  It might make your pets feel better and make you feel less guilty for leaving them home alone,” Anderson, David, responsable de l'étude.
J'entends le petit malin au fond de la classe qui glousse son incrédulité. Et l'imagination fertile des adolescents imaginer d'autres applications entre humains...

Et en français ?

Comme toujours les savoirs percolent depuis la publication d’origine vers la littérature grand public. En se vulgarisant ils perdent les circonstances des mesures, le cadre théorique, les limites et les incertitudes, se focalisent sur une conclusion à sensation ... mais touchent un public plus large.

  • Furura-sciences est assez peu vulgarisé  ici 
  • Pour la Science propose dans les actualités un court texte par Sébastien Bohler  ici
  • La Recherche propose aussi une brève ici
On voit que la crème qui remplacerait les massages frappe l'imagination mais devient une pilule.

Bio-Tremplins avait par ailleurs publié un article sur les effets du massage ici L'acide lactique, mythes et récentes découvertes. 

De nouvelles questions

Comme souvent une recherche répond à une question et en soulève plusieurs nouvelles qui permettront d'aller plus loin – c'est une des  caractéristiques de l'investigation qui conduit à l'affinage conceptuel.

- Ces récepteurs sont-ils effectivement présents chez l'humain et ont-ils le même rôle chez nous ? Et chez la plupart des mammifères ?
- Si oui, le rôle crucial des caresses - au moins dans la petite enfance – serait confirmé par le maintien à travers l'évolution de ces neurones : sans sélection ils seraient vraisemblablement disparus.
- La présence de ces récepteurs seulement sur la peau munie de poils serait-elle la raison du maintien de rares poils sur une bonne part du corps chez l'humain ?
- La même question se pose pour l'éléphant qui a des poils fort peu visibles et dont l'utilité n'est pas évidente il me semble.

Fig 7 : Les éléphants semblent apprécier les caresses : est-ce par ces mêmes récepteurs et cela explique-t-il leurs poils  [img] source  Cunningam, T. (2013)

Une question que des élèves pourraient soulever est pourquoi on ne peut pas se chatouiller soi-même. Une étude en IRMf suggère que les influx venant de la périphérie sont bloqués avant d’arriver à l'aire somatosensorielle. Cf. Lawrence, E. (1998). Why you can’t tickle yourself. Nature News. doi:10.1038/news981022-7  Comment  Obtenir un article mentionné : Get-a-doi

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Sources :

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