dimanche 8 mars 2009

SIDA et peste; la science trébuche et progresse

Pourquoi ~10% des descendants d'européens sont-ils protégés du SIDA ?


On sait (Stephens, J. C. et al. 1998) que jusqu'à 14% des européens sont porteurs d'une mutation qui les rend résisatant ou moins semsibles au SIDA parce que le co-récepteur CCR5 ( C-C chemokine receptor type 5) est muté. CCR5 est situé sur les lymphocytes (et macrophages) et sa fonction 'normale' est d'être un récepteur pour des chemokines, mais il forme aussi le point d'entrée pour le virus HIV. La raison de cette étonnante fréquence est ses possibles applications médicales suscite bien des réflexions...

La protéine CCR5 ?

On la trouve :

L'allèle Δ32

Il s'agit d'une délétion de 32 bases (d'où son nom de Δ32). Comme il ne s'agit pas d'un multiple de 3, cette délétion conduit à un décalage de phase de lecture (frameshift) et à une protéine CCR5 tronquée et non-fonctionnelle. L'apparition de cette mutation a été estimée vers -2500 ans BP (Before Present : il y a x années plutôt que des années avant J.C.)
La mutation Δ32 ne se trouve pas dans UniProt dans la fiche pour CCR5 car UniProtKB ne recense pas les mutations conduisant à des protéines tronquées. Or cette mutation ne produit justement plus de protéine, ... donc pour trouver plus d'information, il faut chercher le lien vers la base de données OMIM qui recense les informations pour les maladies...

Comment le CCR5 est nécessaire au VIH

CD4 and CCR5 binding sites on HIV gp120
Fig. 1: Schéma de l'interaction entre le virus -notamment la protéine GP120 et les récepteurs du lymphocyte CD4 et CCR5
Source : DeFranco, Anthony L et al. (2007) The Immune Response in Infectious and Inflammatory Disease, New Science Press


"Après avoir accosté le récepteur CD4 [...], le VIH a besoin d'un second récepteur du macrophage, CCR5, pour traverser la membrane cellulaire. Après son union à CD4, gpl20 change de conformation, permettant son union à CCR5. [...]le second récepteur fait passer le complexe gpl20-CD4 à travers la membrane cellulaire, déclenchant le passage du contenu du virus dans la cellule " Raven p. 536 En effet cette interaction promeut la fusion entre la membrane du virus et celle de la cellule. Comme deux bulles de savons.

C'est d'ailleurs le blocage de ce même récepteur CCR5 qui est visé par la protéine PSC RANTES développée à l'UniGE par O. Hartley. cf (Bio-Tremplins 12 novembre 08)
Par aeilleurs, il apparait qu'on peut parfaitement vivre sans cette protéine.

Environ 10% des descendants d'européens protégés du SIDA ?

Selon (Janeway) la fréquence de l'allèle Δ32 est de 0.09 des Caucasiens (euphémisme américain pour blancs d'origine européenne) Cela signifie que 10% sont hétérozygotes (résistent 2-3 ans au SIDA) et environ 1% sont homozygotes (résistent au SIDA indéfiniment). "...homozygous individuals had nearly complete resistance to HIV-1 infection despite repeated exposure, and HIV-1 infected heterozygotes for the mutation delay the onset of acquired immunodeficiency syndrome (AIDS) 2–3 years longer than do CCR5-+/+ " (Stephens, J. C. et al. 1998)
On n'a pas trouvé cet allèle ailleurs. Cette étonnante différence régionale a suscité pas mal de réflexions.
Et évidemment on pense à une forte sélection, des conditions où cette mutation donné un fort avantage, ou plutôt aurait protégé les porteurs d'un sévère désavantage.

L'hypothèse de la peste noire du Moyen-Âge

Une recherche publiée en 1998 (Stephens, J. C. et al. 1998) avait calculé l'origine de cet évènement de sélection il y a environ 700 ans (entre 275–1,875) sur la base du "déséquilibre de linkage entre CCR5 et deux loci de microsatellites et à l'aide de la théorie de la coalescence". (Franchement je ne suis pas sûr d'avoir compris cela, mais je crois que je peux vivre avec et il me parait important en 2009 de savoir limiter ses recherches sous peine d'exploser). Ils ont proposé que la peste soit la cause de cette sélection. On sait que l'agent de la peste Yersinia pestis attaque les macrophages qui expriment aussi CCR5. En effet la grande peste noire a tué près de 40% des Européens entre 1347 et 1350 ! Hopkin, Michael. (2005). Il faut noter qu'on parle de la sélection d'une mutation pré-existante, car l'apparition de la mutation est bien plus ancienne : 2500 ans.
En fait ils étaient plus prudents : "are consistent with a historic strong selective event (e.g., an epidemic of a pathogen that, like HIV-1, utilizes CCR5), driving its frequency upward in ancestral Caucasian populations."

En français :

Utilisé comme exemple dans l'éducation

deme 2.0Une simulation éducative présentée à BioEd09 - d'ailleurs remarquable - prenait ce cas comme exemple : Deme 2.0 de Tony Weisstein, à la Truman State University : il concluait son exposé en disant : dommage que ce si bel exemple ne soit plus utilisable, mais c'est ainsi que la science avance !
Cette simulation de génétique des population pour un gène et deux allèles est cependant utilisable avec d'autres exemples et tourne avec les tableurs habituels comme OpenOffice Calc (.xls) et reste remarquablement intéressante. Excellent pour mettre en évidence la dérive génétique.

Mais en fait ... ce n'est peut-être pas la peste !

Sans vraiment prétendre faire une analyse historique complète, voyons quelques étapes du cheminement de cette idée.
Une première remise en question assez fondamentale apparaît en 2004 Mecsas, J. et al (2004) ils ont essayé devoir si d'être CCR5déficient pouvait protéger de Yersini pestis et ont conclu avec un non prudent "our results indicate that CCR5 deficiency in people is unlikely to protect against plague." D'autres Elvin, S. J., et al. (2004). ont cependant contesté ces conclusions en montrant que la mutation limite quand même l'entrée de Yersinia pestis dans les macrophages "we did find that there was a significantly reduced uptake of Y. pestis by Ccr5-deficient "

Deaths from plague in the Middle Ages may have left more people with a gene that guards against HIV.

Figure 2 à droite : la peste noire a fait des millions de morts en Europe Source nature news;
Cette hypothèse était si belle et convaincante qu'on l'a largement répercutée, discutée, et fait l'objet de nombreuses publications (pubmed recense 17 publications pour "CCR5 plague"et 14 publications pour "CCR5 yersinia"

Dans une news de nature Hopkin, Michael. (2005) présente 2 théories :
1) L'hypothèse selon laquelle la peste noire serait en fait virale et non pas causé par la bactérie Yersinia pestis et la transmission virale expliquerait alors bien la sélection de CCR5 et la fréquence de la mutation CCR5-Δ32 plus importante en Scandinavie et en Russie où l'on sait que la peste a sévi plus longtemps et plus tard.
2) L'autre hypothèse est celle que le virus de la variole aurait sélectionné l'allèle CCR5-Δ32 Galvani A. P. et al. (2005). "we find that smallpox is more consistent with this historical role".
Dans les 2 cas la sélection résulterait d'un agent pathogène viral. Mais des chercheurs français Raoult, D., et al. (2000) avaient confirmé Yersinia pestis comme agent de la peste noire (La Recherche)

Enfin des résultats plus récents (Hummel, S. et al. 2005) mettent en doute la date de l'évènement de sélection puisqu'on a trouvé (par PCR) CCR5-Δ32 dans des squelettes datant de l'age du bronze (2900ans BP) tirés de divers sites européens. De plus la fréquence de l'allèle CCR5-Δ32 n'était pas différente chez les victimes de la peste du 14ème comparés à un groupe de contrôle. Ces résultats indiquent que la mutation était déjà fréquente dans les populations européennes préhistoriques et sont un argument contre la peste comme force majeure de sélection.
Il semble donc -prudemment - que la trop belle hypothèse ait fait long feu, ... et qu'il reste donc une explication à trouver, un challenge pour nos élèves !

La science trébuche mais progresse

Cet exemple montre finalement comment la science avance : de manière assez hésitante par allers et retours, pas seulement rationnellement, mais aussi en fonction comme ici de la fascination que certaines idées exercent. Mais arrive à la longue à une assez bonne certitude, jamais une vérité définitive : s'il semble que l'hypothèse de la peste est devenue assez faible, elle ne peut être écartée complètement. L'algorithme converge diront les gens du traitement de l'information.

Travailler sur des hypothèses pas des vérités

On voit aussi combien il est prudent d'enseigner la science en termes d'hypothèses et non de vérités. Si on a cédé aux sirènes des certitudes et parlé de la peste comme LA cause de cette résistance au VIH SIDA chez les européens, on est bien embêté... Si on en a parlé comme d'une hypothèse, on est très à l'aise pour dire que cette hypothèse n'a pas tenu face à l'apparition de nouvelles données et est bien moins probable actuellement.

Une pré-adaptation

C'est aussi intéressant de voir que cette mutation existait chez nos ancêtres bien avant l'apparition du SIDA. Mais personne ne l'avait repérée. Si le SIDA était apparu bien avant la science actuelle, ces gens-là auraient été presque les seuls survivants et la population humaine serait peut-être repartie depuis leurs descendants... Avec le recul on aurait dit : l'espèce s'est adaptée ! Comme si cette évolution avait été l'effet d'une intention !
Cet exemple illustre bien comment la sélection de changements - souvent invisibles avant- est le moteurs de l'évolution et donne l'illusion que les changements des organismes sont induits par le milieu.

Grâce à la science nous comprenons ce qui se passe !

On peut aussi se réjouir que la science -notamment la recherche en biologie - soit capables de comprendre ce qui se passe et permette à la médecine et aux organismes de prévention et finalement aux citoyens de ne pas seulement subir.
Nous savons aussi que ce n'est pas une malédiciton et que le préservatif protège et selon www.ciao.ch : le site d'info pour les ados "Ne sortez pas sans être couvert ! "
Nous pouvons faire vivre les sidéens avec des traitements - très lourds sans doute - mais ils peuvent vivre.
Cette résistance issue du CCR5 a évidemment suscité de nombreuses recherches pour tenter de trouver un traitement dont voici juste un aperçu !

Un traitement du SIDA possible ?

Certains ont essayé avec des ARN interférents de bloquer l'expression du CCR5 avec des ARN interférents : siRNAs (Sands, Tim, 2008) ils ont obtenu une protection significative contre l'infection des lymphocytes par le HIV-1.
Plus enthousiasmant encore dans un article du New England Journal of Medicine (NEJM) Hutter, G., et al. (2009). On peut actuellement confirmer qu'un sidéen greffé de la moelle dont le donneur était homozygote pour la mutation Delta-32 n'a toujours pas de HIV détectable, 20 mois après la greffe et est donc sans doute guéri du SIDA. Les cellules souches du donneur ont produit des Globules blancs sans CCR5 et donc insensibles au HIV. On peut désormais envisager une forme de thérapie génique contre le SIDA !
C'est évidemment un énorme espoir ! Soyons tout de même prudents en communiquant à ceux qui sont concernés ; le chemin depuis un espoir en recherche jusqu'au traitement est souvent long et semé d'embûches. (Cf De la recherche au médicament)

Souhaitons que ce résultat puisse se traduire en un traitement plus rapidement puisqu'il s'est révélé chez l'homme et donc saute une partie des étapes de ce processus.

Sources

Remerciements :
Merci à Tony Weisstein pour son exposé à BioEd09 qui a inspiré cette publication, à Michel Strubin et Marie-Claude Blatter pour leur précieux commentaires.

1 commentaire:

  1. Je me demande si en étendant la réflexion, il et possible d'arriver à l'hépatite B
    Ensuite, il et permis de comprendre que des Européens possèdent une protection naturelle contre l'hépatite B; voir excédentaire avec le déclenchement plus ou moins rapide d'une sclérose en plaques!!!
    Bien entendu:toute vaccination des sujets auto-protègés serait mal venu, car cela assurerait un excès de défense déclenchant un problème
    de macrophage ( sep, fibromyalgie....)

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